SI L’ANATOMIE du ligament croisé antérieur (LCA) du genou est apprise dès les premières années d’études de médecine, il faut reconnaître que la mémorisation de ses caractéristiques demeure relativement superficielle. Il s’agit effectivement d’un ligament appelé alternativement antéroexterne, dont l’attache tibiale se trouve sur la moitié antérieure de l’épiphyse du même nom. Quant à l’attache plus proximale, fémorale, complément logique de ce moyen d’union, elle se fait sur le condyle externe de l’épiphyse bicondylienne fémorale distale, après que ce ligament a traversé l’échancrure intercondylienne.
Cette anatomie élémentaire rend très imparfaitement compte du rôle important joué à la fois par la distribution spatiale particulière de ce ligament et par ses caractéristiques constitutionnelles intrinsèques spécifiques (longueur, composition fasciculaire…). La chirurgie reconstructrice cherchant à reproduire le plus fidèlement possible, ce ligament ne pouvait se contenter de notions anatomiques sommaires.
Une anatomie beaucoup plus complexe que prévu.
Plus les recherches anatomiques se sont concentrées sur ce ligament, plus elles ont mis à jour des spécificités complexes. Structurellement, en simplifiant, le LCA est constitué de deux (voire pour certains trois) faisceaux unitaires avec des caractéristiques aussi bien d’orientation que de mise graduelle en tension distincte. Ces deux faisceaux ont été baptisés, selon leur disposition, antéromédial et postérolatéral. Afin d’uniformiser leur technique de reconstruction, la majorité des chirurgiens a adopté une première simplification majeure : la reconstruction unifasciculaire.
Cette simplification est loin d’être la seule, car les techniques de reconstruction cherchent toutes à reproduire une anatomie la plus proche possible du modèle d’origine. Elles seront donc forcées d’adopter d’autres simplifications pour réaliser le meilleur compromis possible entre l’exécution technique et le positionnement optimal du transplant.
Des exigences parfois conflictuelles.
Une reconstruction ligamentaire consiste, après avoir prélevé un segment tendineux, à le positionner au plus près du trajet du ligament et à le fixer aux épiphyses osseuses de façon solide et pérenne. En pratique, le succès de ce type d’intervention dépend du respect de très nombreuses exigences. Le transplant tendineux doit conserver un degré de tension à l’intérieur de l’articulation semblable à celui du ligament naturel. De surcroît, il faut que la longueur du transplant, à laquelle est corrélée cette tension, soit maintenue durant l’amplitude de mobilité articulaire, ce qu’on appelle le principe d’isométrie du transplant. Cette isométrie n’est qu’une des exigences parmi bien d’autres : le substitut ne doit pas interférer avec la configuration architecturale intra-articulaire, en particulier celle de l’échancrure intercondylienne, et compromettre le jeu articulaire. L’élément tendineux fixé doit supprimer les mouvements anormaux générateurs d’instabilité et ce, dans les trois plans, à savoir :
– sagittal : le tiroir, essentiellement antérieur pour le ligament croisé antérieur ;
– frontal : le valgus/varus, à l’encontre desquels les ligaments périphériques paraissent plus contributifs que le ligament croisé ;
– et transversal : les phénomènes de ressaut rotatoires.
Des impératifs techniques pas toujours conciliables.
Afin de retrouver son trajet intra-articulaire, le transplant tendineux doit être inséré dans des tunnels épiphysaires (tibial et fémoral) où il sera ancré. La disposition de ces tunnels influence la position et l’orientation de la reconstruction ligamentaire finale, paramètres prépondérants des performances fonctionnelles du néoligament. Ces dernières sont la justification même de ce type d’intervention.
L’objectif de telles reconstructions étant de supprimer efficacement les phénomènes d’instabilité, il est apparu qu’il serait d’autant mieux réalisé que la « contrefaçon » est proche de l’anatomie d’origine ; c’est-à-dire que les insertions du néoligament s’éloignent le moins possible de « l’empreinte » d’insertion du ligament avant sa lésion, tant sur le plateau tibial que sur le massif condylien fémoral.
Mais, pour parvenir, de façon fiable et reproductible, à la mise en place d’une telle structure intra-articulaire, le plus souvent par arthroscopie plutôt qu’arthrotomie, on doit être en permanence à la recherche du compromis le plus avantageux. Les tunnels épiphysaires doivent-ils être indépendants ou peuvent-ils se permettre d’être confectionnés de façons linéaires, en « enfilade » l’un après l’autre ? Quelles sont les limites acceptables des zones d’ancrage du transplant, qui sont également les sorties ou entrée du tunnel dans l’épiphyse concernée ? Quelle variabilité peut-on autoriser à l’espace intertunnellaire occupé par cette greffe ligamentaire cherchant à reproduire un ligament naturel dont la longueur est de l’ordre d’une trentaine de millimètres ?
Plusieurs méthodologies d’évaluation.
Pour atteindre le meilleur compromis technique, en sus de la recherche anatomique descriptive déjà évoquée, différentes approches analytiques ont été utilisées, toutes améliorant nos connaissances sur une intervention déjà satisfaisante mais qui se veut toujours plus standardisée et plus performante dans son cahier de charges.
Les premières recherches expérimentales, menées en laboratoires, utilisent des modèles cadavériques agrémentés ou non d’un guidage sous navigation assistée par ordinateur. Elles font varier les multiples paramètres affectant la qualité prévisible de l’implant ligamentaire (direction des tunnels, dimension des tunnels, position des orifices tunnellaires, orientation spatiale ligamentaire…) et valident, ou non, ultérieurement par des tests biomécaniques de stabilité, la configuration ligamentaire adoptée. L’avantage de telles recherches en laboratoires est de pouvoir faire varier « pas à pas » ces différents paramètres d’influence.
Les obstacles de la recherche clinique.
La recherche clinique analyse rétrospectivement des reconstructions déjà réalisées et en évalue les critères de conformité avec des références considérées idéales. Il est rare que de telles études cliniques puissent atteindre un niveau de preuve exceptionnel dans la mesure où il est délicat de rassembler des échantillons homogènes de puissance numérique suffisante. De plus, ces études cliniques ne peuvent généralement pas être randomisées pour évaluer l’importance d’une modification de certains détails techniques, dans la mesure où la technique chirurgicale elle-même est souvent tributaire des conditions anatomiques ou anatomopathologiques rencontrées sur chaque patient.
L’imagerie tridimensionnelle – IRM, lorsqu’elle est exploitable (absence de vis métallique), ou scanner – permet de vérifier la configuration spatiale des trajets et ancrages ligamentaires et de les rapporter au résultat chirurgical obtenu. L’accumulation de telles études permet, à la longue, de dégager les profils de reconstruction les plus performants dans la récupération de stabilité du genou opéré.
Des questions persistantes.
Le Graal en matière de chirurgie reconstructrice du croisé antérieur monofasciculiare consiste en un positionnement du greffon similaire à celui d’un ligament normal. Cet objectif idéal n’a pas fini de soulever certaines interrogations techniques. Les détails de réalisation du tunnel idéal ne concernent pas une épiphyse unique plutôt qu’une autre, mais chacune d’entre elles de façon combinée et simultanée. Une fois cette quasi-prouesse technique accomplie, il est en principe acquis que la stabilité aussi bien antéropostérieure que rotatoire se trouvera rétablie ; reste cependant à vérifier la longévité d’une telle récupération de stabilité et, surtout, si à long terme cette restauration de stabilité s’accompagne d’une réduction du risque de développement ultérieur d’altération dégénérative arthrosique du genou opéré. Le transplant ligamentaire, malgré ses qualités anatomiques, ne peut avoir la prétention d’avoir remis en place à l’intérieur du genou un ligament identique au ligament d’origine, dans la mesure où les qualités neuro-proprioceptives du ligament originel ne peuvent, dans l’état actuel des techniques, êtres restituées.
Si la chirurgie reconstructrice du ligament croisé antérieur du genou continue, par son acharnement anatomique, à être de plus en plus satisfaisante dans ses résultats, elle doit rester prudente dans les promesses qu’elle est susceptible de tenir sur le très long terme.
D’après la conférence du Dr Pierre Chambat (Lyon).
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024