PAR LES Prs SERGE MOLLIEX1 ET JACQUES RIPART2
L’INSTALLATION DU PATIENT au bloc opératoire est un préalable à toute intervention chirurgicale et représente une des obligations les plus communes du médecin anesthésiste-réanimateur. À ce titre, chacun peut se prévaloir d’une expérience conséquente, gage en théorie d’un niveau de risque propre lié à cette activité très faible. Si l’on considère les statistiques du groupe des assurances mutuelles médicales, l’imputabilité potentielle de la posture dans la survenue d’une complication postopératoire ayant fait l’objet d’une déclaration de sinistre est stable sur la dernière décennie. Elle peut être envisagée dans seulement 3 à 5 % des déclarations des médecins anesthésistes affiliés. Doit-on pour autant considérer le risque postural comme maîtrisé ? La lecture de la littérature relatant régulièrement des complications posturales sources de séquelles fonctionnelles ou d’invalidité majeures pour des chirurgies considérées comme mineures, nous incite à répondre négativement.
Quelle stratégie mettre alors en œuvre pour réduire le risque ?
La connaissance théorique des installations et positions à risque, des limites générales de la tolérance anatomique ou physiologique d’un patient sous anesthésie est un prérequis indispensable, mais cependant insuffisant, pour expliquer que dans la même équipe, pour la même intervention, une installation soit à l’origine d’une complication chez un patient donné, alors qu’elle est utilisée en toute sécurité chez la majorité des autres. L’individualisation de facteurs de risque associés à la survenue d’une complication posturale est une approche complémentaire indispensable, soulignée dans plusieurs études récentes de la littérature. Dans un travail monocentrique colligeant, sur une décennie, les atteintes nerveuses périphériques (complications posturales les plus fréquentes) survenues hors contexte d’anesthésie locorégionale, l’existence de comorbidités, telles que le diabète, l’hypertension artérielle ou le tabagisme, majore le risque de survenue d’une neuropathie postopératoire, l’odds ratio pour chaque facteur étant compris entre 2 et 2,5. Tout se passe comme si le nerf sensibilisé par l’atteinte métabolique ou vasculaire préalable devenait plus sensible à un étirement ou une compression qui, chez un sujet indemne, ne générerait aucune atteinte fonctionnelle postopératoire.
Cette théorie fait référence à celle du « double écrasement » où une première contrainte mécanique paucisymptomatique fragilise le nerf, qui devient moins tolérant à une autre contrainte mécanique du fait d’une perturbation des transports axonaux de nutriments ou de l’architecture des neurofilaments.
Une autre étude publiée en 2011 recense les atteintes cervicales médullaires, radiculaires ou osseuses ayant fait l’objet de suites médico-légales en Amérique du Nord. Si l’hyperextension cervicale est le facteur postural le plus fréquemment observé dans cette série, il est cependant constamment associé à l’existence d’une spondylose cervicale. Plusieurs observations publiées ces dernières années ont aussi rapporté des paraplégies secondaires à une installation en hyperlordose lors de chirurgies abdominales basses. Un canal lombaire étroit symptomatique existait chez la plupart de ces patients. Ainsi, la prévention des lésions posturales nerveuses périphériques, médullaires mais aussi vasculaires centrales (AVC) passe par une recherche systématique des facteurs de risques associés : atteintes métaboliques ou vasculaires systémiques, cervicarthrose, athérome des vaisseaux cervicaux, canal lombaire ou cervical étroit… Au moindre doute, devant une symptomatologie incomplète ou une anamnèse insuffisante, il est légitime de vérifier en consultation d’anesthésie la tolérance de l’installation chez le sujet éveillé. La genèse de paresthésies ou de véritables douleurs indiquera les limites posturales à ne pas dépasser. Cette recommandation est en particulier reprise par le groupe de réflexion de la Société américaine d’anesthésie dans la mise à jour 2011 des éléments de prévention des lésions nerveuses posturales.
L’identification de ces différents facteurs de risque associés au risque postural doit donc aboutir, chaque fois que possible, à une définition individuelle de l’installation, c’est-à-dire à une personnalisation du compromis entre impératifs chirurgicaux, contraintes techniques et tolérance réelle du patient concerné.
À côté de cette approche individualisée de réduction du risque, d’autres approches mettent l’accent sur l’intérêt d’une démarche institutionnelle d’amélioration de la qualité et de réduction du risque postural. Ainsi, les lésions cornéennes sont les atteintes oculaires les plus fréquentes, responsables dans 16% des cas de troubles visuels définitifs. Leur prévention repose sur l’occlusion palpébrale et la vérification de son maintien peropératoire. Dans un hôpital américain, devant une incidence élevée de ce type de lésion, une première analyse a révélé que l’inexpérience du personnel était un facteur de risque de survenue de cette complication en analyse multivariée. L’information, puis la formation des médecins et des infirmières, la visualisation obligatoire d’une vidéo rappelant les éléments de prévention avant obtention d’un rendez-vous de consultation ophtalmologique, ont abouti en 3 ans à une réduction de 70% de l’incidence de ces lésions.
1 Département d’anesthésie-réanimation, hôpital Nord, CHU de Saint-Étienne, université Jean Monnet, Saint-Étienne, université de Lyon.
2 Division anesthésie-réanimation-douleur-urgence, GHGU Carémeau, CHU de Nîmes, faculté de médecine Montpellier-Nîmes, université Montpellier 1.
L’installation du patient au bloc opératoire est un compromis entre la tolérance anatomique et physiologique et les impératifs chirurgicaux
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