PAR LE Pr MARCEL CHAUVIN*
L’ACTE CHIRURGICAL, par la prolifération locale et générale de médiateurs de l’inflammation et par la création de lésions nerveuses, notamment, est à l’origine d’une sensibilisation des nocicepteurs périphériques, mais également du système nerveux central. Il est apparu que ces phénomènes génèrent la composante hyperalgésique qui s’installe au bout de quelques minutes et contribue à majorer la sensation douloureuse (hyperalgésie : sensibilité accrue à un stimulus nociceptif) et le risque de chronicisation des douleurs chirurgicales. Il est donc particulièrement important de prévenir cette sensibilisation centrale par des moyens adaptés et cela dès le peropératoire, voire le préopératoire.
Le premier moyen est du domaine de la chirurgie : limiter la taille de l’incision, privilégier la chirurgie non invasive quand cela est possible (laparoscopie plutôt que laparotomie, arthroscopie plutôt que chirurgie à ciel ouvert, etc.), respecter les trajets nerveux, infiltrer la plaie avec des anesthésiques locaux (rôle de blocage de la nociception et effet anti-inflammatoire local et général). De même, il a été montré que l’utilisation de l’anesthésie locorégionale dès le peropératoire, qu’il s’agisse d’analgésie péridurale ou de bloc périphérique, permet de limiter la sensibilisation centrale périopératoire ainsi que l’incidence de la chronicisation des douleurs d’origine chirurgicale par une action à différents niveaux :
– périphérique, par la réduction de la réaction inflammatoire locale et le blocage des influx nociceptifs ;
– général, par la limitation de la production de cytokines pro-inflammatoires ;
– et central, par un blocage des canaux et des récepteurs ionotropiques qui constituent autant de cibles mises en jeu dans ces phénomènes d’hyperexcitabilité neuronale.
L’épargne morphinique périopératoire participe également à cette stratégie antihyperalgésique. En effet, les morphiniques ne sont pas uniquement antinociceptifs, ils sont aussi prohyperalgésiants et peuvent majorer l’hyperalgésie centrale provoquée par la chirurgie, d’où l’importance d’une anesthésie équilibrée peropératoire – utilisant la complémentarité entre les agents de l’anesthésie générale (halogénés, propofol et N2O) et les opiacés – et d’une analgésie multimodale commencée dès le peropératoire. D’autres éléments semblent être importants pour limiter l’hyperalgésie morphinique, il s’agit d’arrêter progressivement le morphinique – la sensibilisation centrale morphinique apparaissant d’autant plus facilement que l’arrêt du morphinique est brutal – et d’éviter les variations fréquentes des débits de perfusion comme on peut être incité à le faire avec le rémifentanil.
Parmi tous les mécanismes retenus pour expliquer la sensibilisation centrale périopératoire (chirurgicale et morphinique), le système NMDA (N-méthyl-D-aspartate) semble jouer un rôle majeur. Ainsi, les antagonistes des récepteurs NMDA, comme la kétamine à dose faible (bolus IV peropératoire de 0,15 à 0,50 mg/kg, puis relais à un débit IV continu de 2 µg/kg/min en cas de chirurgie de plus de 2 heures et maintien d’un débit IV de 0,5 à 2 µg/kg/min en postopératoire durant 24 à 48 heures pour les chirurgies majeures), se sont montrés capables de prévenir l’hyperalgésie périopératoire avec une diminution des niveaux de douleur, de la consommation de morphine et de l’incidence des douleurs chroniques postchirurgicales. La kétamine potentialise également l’effet antinociceptif des morphiniques et atténue les phénomènes de tolérance aiguë morphinique.
Des chirurgies répondent mieux que d’autres à la kétamine.
Une métaanalyse récente (1) a permis de mieux définir les chirurgies « répondeuses » à la kétamine : il s’agit des chirurgies majeures thoraciques, abdominales (plus l’étendue de l’incision est importante est plus nette est l’effet de la kétamine) et orthopédiques (chirurgie ouverte de prothèse de genou, de hanche ou de rachis). En revanche, la kétamine est peu efficace pour les chirurgies moins « agressives » pour les tissus, comme les arthroscopies, les cœlioscopies et les chirurgies des amygdales, dentaire et de la tête et du cou.
Enfin, l’aspect régulateur de l’inflammation des antagonistes NMDA comme la kétamine est une propriété particulièrement intéressante qui mérite d’être évaluée dans le contexte du périopératoire.
La place des gabapentinoïdes (gabapentine et prégabaline) parmi les traitements antihyperalgésiques du périopératoire est plus difficile à définir. Les études sont très hétérogènes avec des résultats contradictoires, si bien que des incertitudes persistent, aussi bien pour la gabapentine que pour la prégabaline, sur la dose et la durée d’administration optimales, ainsi que le rapport bénéfice/risque pour un certain nombre d’interventions et pour certains terrains comme les sujets âgés et/ou les insuffisants rénaux.
Enfin, les corticoïdes, par leur aspect notamment de réduction de l’expression de différents médiateurs pro-inflammatoires, trouvent un regain d’intérêt au travers d’études récentes (2) pour le contrôle de l’hyperalgésie périopératoire en administration unique préopératoire immédiate et à une dose deux fois supérieure à la dose antiémétique (soit 0,1 mg/kg de dexaméthasone dilué dans 50 ml administré par voie IV sur 10 min).
*Service d’anesthésie-réanimation, INSERM U-987, centre d’évaluation et traitement de la douleur, hôpital Ambroise Paré, Boulogne-Billancourt ; université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.
(1) Laskowski K et al. A systematic review of intravenous ketamine for postoperative analgesia. Can J Anesth 2011;58:911-23.
(2) Oliveira GS Jr et al. Perioperative single dose systemic dexamethasone for postoperative pain. A meta-analysis of randomized controlled trials. Anesthesiology 2011;115:575-88.
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024