Avec l’avancement en âge de la population, le nombre de personnes porteuses d’une prothèse articulaire (hanche, genou) est en croissance exponentielle. La hantise obsessionnelle du soignant est de voir survenir un événement, certes rare, mais catastrophique : l’infection périprothétique. La genèse d’une telle infection peut tirer sa source de diverses portes d’entrée mais l’une d’elles occupe le devant de la scène en raison de son caractère universel, la sphère dentaire. Tout praticien garde le souvenir d’un patient occasionnel, jusque-là en parfaite symbiose avec sa prothèse, qui a développé une infection prothétique consécutive à un soin dentaire.
De telles observations ont conduit, tout au long du dernier quart de siècle, à la mise en place de recommandations nord-américaines conjointes de la part de l’Académie de chirurgie orthopédique (AAOS) et de l’Association dentaire (ADA). Il y est préconisé une antibiothérapie probabiliste de couverture, de quelques jours, en cas de soins dentaires « gingivo-invasifs », et ce, au minimum dans l’année suivant l’implantation de la prothèse. Il est impossible de dire si de telles recommandations furent émises pour des raisons de « médecine défensive anti-réclamation judiciaire » ou pour des raisons préventives bactériologiques, sachant que même un simple brossage de dents répand dans la circulation des centaines de milliers de bactéries susceptibles de coloniser l’environnement prothétique. Une appréhension confortée par le fait que des infections prothétiques ont été signalées, de façon certes exceptionnelle, après coloscopie.
Une enquête basée sur 600 000 patients
Afin de vérifier la validité des recommandations existantes, des épidémiologistes, des chirurgiens orthopédistes et des chirurgiens-dentistes en Corée du Sud ont mené une enquête censée répondre aux trois questions suivantes : les interventions dentaires augmentent-elles l’incidence des infections de prothèses articulaires (première intention ou reprise) ? une antibioprophylaxie avant le geste dentaire modifie-t-elle le risque ? quels sont les éventuels facteurs de risque associés ? Du fait de l’intrication d’innombrables variables, les chercheurs ont utilisé une méthodologie statistique particulière, construite sur l’établissement préalable d’un score dit de propension. Ceci exige une énorme base de données, que les Coréens sont arrivés à constituer avec près de 600 000 patients extraits du fichier de leur assurance-maladie nationale.
Les conclusions de leur étude ne manquent pas d’interpeller, puisqu’il fut impossible de prouver une association certaine entre l’exécution de soins dentaires et la survenue d’une infection. Les chercheurs ajoutent que les fondements rationnels à une antibioprophylaxie systématique en cas d’intervention dentaire se révèlent insuffisants, avec le bémol supplémentaire de possibles effets indésirables. Certains sous-groupes de porteurs de comorbidité particulière, tel qu’un diabète, relèveront de toute façon des recommandations antérieures. Ces conclusions suffiront-elles à changer les choses ? L’étude ne le dit pas mais la crainte des infections périprothétiques pourrait pousser certains praticiens à conserver leurs anciennes habitudes.
Kim J. G. et al., Clinical Orthopaedics and Related Research, mars 2024, vol 482(3), p 407-410
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