PAR LE Pr THIERRY PASSERON (*)
DEPUIS PLUSIEURS années des données épidémiologiques suggéraient que le vitiligo était une maladie polygénique multifactorielle. Un premier gène appelé NALP1, impliqué dans la régulation du système immunitaire, a été décrit pour être associé à certaines formes familiales de vitiligo (Jin, Mailloux et al. 2007). Ce gène n’est clairement pas responsable de tous les vitiligos. Il souligne cependant le rôle clef du système immunitaire dans la physiopathologie du vitiligo. Plus récemment, les gènes PTPN22 (également impliqués dans l’immunité) (LaBerge, Bennett et al. 2008) et SMOC2 (dont la fonction est encore mal connue) (Birlea, Gowan et al. 2009) ont également été associés aux formes non segmentaires de vitiligo.
Le vitiligo (du moins dans sa forme non segmentaire) apparaît aujourd’hui comme une dermatose auto-immune affectant les mélanocytes, mais aussi les autres cellules cutanées et notamment les kératinocytes (Passeron and Ortonne 2005 ; Moretti, Fabbri et al. 2009). Les cytokines kératinocytaires, notamment le SCF (Stem Cell Factor) et le TNF-? (tumor necrosis factor alfa), semblent jouer un rôle dans la disparition des mélanocytes (Lan, Ko et al. 2009). Ainsi, les taux de TNF-? seraient augmentés dans les peaux atteintes par le vitiligo et en périphérie immédiate (Moretti, Spallanzani et al. 2002 ; Moretti, Spallanzani et al. 2002 ; Birol, Kisa et al. 2006 ; Kim, Jeon et al. 2007). De façon intéressante, le tacrolimus pommade diminuerait ces taux dans les plaques traitées par ce topique (Grimes, Morris et al. 2004). Parallèlement, des cas de dépigmentations de la peau, mais aussi des poils, très proches de celles observées dans le vitiligo ont été rapportées chez des patients traités par des inhibiteurs de tyrosine kinase (Etienne, Cony-Makhoul et al. 2002 ; Tsao, Kantarjian et al. 2003). Ces traitements utilisés pour traiter certains cancers agissent sur un récepteur appelé cKIT. Ces récepteurs sont présents à la surface des mélanocytes et leur liguant n’est autre que le SCF. Ces nouvelles données ouvrent donc de nouvelles perspectives thérapeutiques qui pourraient cibler ces récepteurs ou inhiber ces cytokines.
Prise en charge.
Contrairement aux idées reçues, le vitiligo doit être considéré comme une dermatose grave par le retentissement psycho-social souvent important qu’il entraîne (Kent and Al’Abadie 1996 ; Parsad, Dogra et al. 2003).
La photothérapie (psoralène + ultraviolet A (PUVA), ultraviolet B à spectre étroit (NB-UVB)) est efficace et reste le meilleur traitement pour les formes étendues (›10% de surface corporelle) (Njoo, Spuls et al. 1998 ; Gawkrodger, Ormerod et al. 2008 ; Whitton, Ashcroft et al. 2008). Une étude récente a montré la supériorité des NB-UVB par rapport à la PUVAthérapie dans cette indication (Yones, Palmer et al.2007).
Les méta-analyses de la littérature soulignent que les dermocorticoïdes de classe 3 sont le traitement de première intention pour les formes localisées de vitiligo (Njoo, Spuls et al. 1998 ; Gawkrodger, Ormerod et al. 2008 ; Whitton, Ashcroft et al. 2008). La photothérapie localisée avec lampes ou lasers excimer à 308 nm a également montré son efficacité dans les formes localisées (Baltas, Csoma et al. 2002 ; Spencer, Nossa et al. 2002 ; Leone, Iacovelli et al. 2003 ; Taneja, Trehan et al. 2003 ; Esposito, Soda et al. 2004 ; Ostovari, Passeron et al. 2004). Le coût de ces traitements est bien supérieur à celui des dermocorticoïdes et doit donc les faire réserver en cas d’échec ou de contre-indication de ces derniers.
Le tacrolimus pommade à 0,1 % en applications biquotidiennes a montré des résultats comparables aux dermocorticoïdes sans effet secondaire en termes de télangiectasies ou d’atrophie cutanée (Grimes, Soriano et al. 2002 ; Smith, Tofte et al. 2002 ; Lepe, Moncada et al. 2003 ; Tanghetti 2003 ; Travis, Weinberg et al. 2003). Les meilleurs résultats sont obtenus sur le visage et le cou. Des résultats similaires ont été rapportés avec le pimecrolimus à 1 % (Coskun, Saral et al. 2005 ; Dawid, Veensalu et al. 2006).
Les autres traitements reposent sur des données moins fiables. Ainsi, les résultats prometteurs des traitements antioxydants topiques, notamment la pseudo-catalase, n’ont jamais été confirmés dans des études contrôlées (Schallreuter, Wood et al. 1995 ; Patel, Evans et al. 2002 ; Bakis-Petsoglou, Le Guay et al. 2009). Les antioxydants systémiques, bien qu’encore prescrits par nombre de dermatologues, n’ont également jamais montré leur efficacité dans une étude contrôlée. L‘intérêt du calcipotriol en monothérapie semble lui aussi très limité (Chiaverini, Passeron et al. 2002). Certaines études suggèrent un intérêt en association avec la photothérapie mais des résultats contradictoires ont également été publiés (Kose, Riza Gur et al. 2002 ; Baysal, Yildirim et al. 2003 ; Anke Hartmann 2004 ; Ada, Sahin et al. 2005 ; Hartmann, Lurz et al. 2005 ; Arca, Tastan et al. 2006 ; Goktas, Aydin et al. 2006 ; Goldinger, Dummer et al. 2007).
Le traitement chirurgical par greffe de peau mince reste quant à lui le meilleur traitement des vitiligos segmentaires stables depuis au moins 3 ans (Ortonne and Passeron 2005 ; Gawkrodger, Ormerod et al. 2008 ; Whitton, Ashcroft et al. 2008). Les techniques par bulles de succion ou au punch sont parfois plus simples à réaliser, mais donnent généralement des résultats esthétiques inférieurs à ceux obtenus avec la greffe de peaux mince. La culture d’épiderme autologue ou de mélanocytes permet de traiter de plus large surfaces mais nécessite un plateau technique plus lourd.
L’avenir ?
•Les traitements combinés
Il est aujourd’hui clairement démontré que la réponse au traitement dépend fortement de la localisation des plaques de vitiligo traitées (Lepe, Moncada et al. 2003 ; Tanghetti 2003 ; Travis, Weinberg et al. 2003 ; Ostovari, Passeron et al. 2004 ; Ostovari N., Passeron T. et al. 2005). Le visage et, dans une moindre mesure, le cou sont des zones pour lesquelles des repigmentations complètes ou quasi complètes sont obtenus chez 40 à 75 % des cas selon les études et les traitements utilisés. Le reste du corps et particulièrement les saillies osseuses et les extrémités sont des zones qui demeurent très difficiles à repigmenter. L’intérêt d’associer diverses approches thérapeutiques afin d’obtenir une repigmentation optimale apparaît aujourd’hui clairement. Ainsi l’association de tacrolimus pommade à 0,1 % au laser excimer à 308nm induit une repigmentation significativement supérieure au laser en monothérapie (Passeron, Ostovari et al. 2004). Cet effet synergique a été confirmé avec le tacrolimus mais aussi le pimecrolimus et avec d’autres sources d’UV (Tanghetti 2003 ; Kawalek, Spencer et al. 2004 ; Mehrabi and Pandya 2006 ; Fai, Cassano et al. 2007 ; Hui-Lan, Xiao-Yan et al. 2009). Plus récemment, l’effet synergique des UVB et des dermocorticoïdes a également été rapporté (Sassi, Cazzaniga et al. 2008).
•Le laser hélium néon à 632,8 nm
Le laser hélium-néon émet une longueur d’onde à 632,8 nm qui correspond à de la lumière rouge visible. Il a été montré que ce laser favorise la prolifération, puis la différenciation des mélanoblastes en mélanocytes matures (Lan, Wu et al. 2006). Les données cliniques dans le vitiligo sont malheureusement très limitées et montrent une repigmentation esthétiquement satisfaisante chez seulement 20 % des patients traités et ce, au prix de très nombreuses séances (Lan, Wu et al. 2006). Ainsi, bien que potentiellement intéressants, les résultats obtenus sont encore insuffisants pour proposer ce traitement en pratique courante.
•La dermabrasion suivi de 5FU
Des résultats intéressants ont été publiés récemment en utilisant une dermabrasion par laser Erbium, suivie d’application de crème 5FU avant de faire une photothérapie UVB classique (Anbar, Westerhof et al. 2008). Des repigmentations complètes ou quasi complètes ont ainsi été obtenues, notamment dans des zones très difficiles à traiter tels que les mains et les pieds. Ces résultats doivent maintenant être vérifiés par d’autres études, mais ils sont très encourageants.
•Les prostaglandines topiques
Une étude préliminaire semble montrer l’intérêt des prostaglandines en topique dans le traitement du vitiligo (Kapoor, Phiske et al. 2009). Là encore ces résultats doivent être confirmés mais ils sont d’autant plus intéressants qu’ils constituent une voie de traitement totalement nouvelle et qui pourrait être associée aux traitements conventionnels pour obtenir des taux de repigmentation plus élevés.
Bien qu’encore insuffisants les progrès dans la connaissance de la physiopathologie du vitiligo et dans son traitement sont aujourd’hui réels. Les nouvelles perspectives thérapeutiques nécessitent encore d’être confirmées, mais elles sont séduisantes et laissent espérer des traitements sensiblement plus efficaces dans un avenir proche.
(*)Service de Dermatologie & INSERM U895 équipe 1. CHU de Nice.
Bibliographie
Anbar, T. S., W. Westerhof, et al. Photodermatol Photoimmunol Photomed 2008 ; 24: 322-9.
Jin, Y., C. M. Mailloux, et al. N Engl J Med 2007 ; 356: 1216-25.
Kapoor, R., M. M. Phiske, et al. Br J Dermatol 2009 ; 160: 861-3.
Lan, C. C., C. S. Wu, et al. J Invest Dermatol 2006 ; 126: 2119-26.
Lepe, V., B. Moncada, et al. Arch Dermatol 2003 ; 139: 581-5.
Ostovari, N., T. Passeron, et al. Lasers Surg Med 2004 ; 35: 152-6.
Passeron, T., N. Ostovari, et al. Arch Dermatol 2004 ; 140: 1065-9.
Sassi, F., S. Cazzaniga, et al. Br J Dermatol 2008 ; 159: 1186-91.
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Yones, S. S., R. A. Palmer, et al. Arch Dermatol 2007 ; 143: 578-84.
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