De Lyon à Nankai, la révolution à venir de la greffe d’îlots de Langerhans 2.0

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Publié le 31/10/2024
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Véritable percée dans la prise en charge du diabète de type 1, la greffe d’îlots de Langerhans reste peu pratiquée. Des pistes de recherche sont explorées par plusieurs équipes dans le monde, notamment à Lyon, où le laboratoire Adocia développe un implant en hydrogel destiné à rendre les îlots indétectables par le système immunitaire de l’hôte.

La technologie d’Adocia consiste à intégrer des îlots de Langerhans dans une matrice en hydrogel brevetée

La technologie d’Adocia consiste à intégrer des îlots de Langerhans dans une matrice en hydrogel brevetée
Crédit photo : ADOCIA

La France est l’un des premiers pays à avoir autorisé et remboursé la greffe d’îlots de Langerhans chez les patients diabétiques de type 1. Mais, en raison du traitement immunosuppresseur nécessaire et des problèmes de disponibilité des greffons, cette option est encore réservée aux patients les plus sévères, après échec de plusieurs modèles de pompe à insuline, ou à ceux qui sont par ailleurs greffés du rein. Plusieurs équipes à travers le monde travaillent sur des dispositifs pour en élargir les indications, y compris en France avec le laboratoire Adocia, basé à Lyon, qui développe un implant destiné à protéger les greffons du système immunitaire.

Selon une enquête menée en 2022 dans plusieurs régions du monde où cette greffe est autorisée, seuls 0,2 % des patients atteints de diabète de type 1 ont bénéficié d'une greffe d'îlots de Langerhans, malgré sa capacité à restaurer une réponse physiologique au glucose. Dans la récente étude française récente Kaiak, il a été démontré une amélioration de la survie de 14 mois des patients diabétiques doublement greffés rein/îlots de Langerhans comparés à ceux seulement greffés du rein.

Parmi les travaux entrepris pour développer la greffe d’îlots, le laboratoire pharmaceutique Vertex, connu pour avoir mis au point une thérapie génique de la mucoviscidose, a publié il y a deux ans les premiers résultats chez des patients humains greffés avec des îlots de Langerhans obtenus non pas à partir de donneurs mais de cellules souches embryonnaires (CSE). Deux de ses produits font actuellement l’objet d’une étude clinique : le VX-880 (étude Forward) et VX-264 (étude Upward). Cette dernière présente une particularité : les îlots de Langerhans cultivés à partir de CSE sont encapsulés dans un dispositif censé les protéger du système immunitaire du receveur.

Première greffe d’îlots de cellules IPS

Le 25 septembre, les médecins de l’hôpital général de Tianjin et de l'université de Nankai, en Chine, ont publié dans Cell une première mondiale : la greffe réussie d'îlots de Langerhans produits à partir des propres cellules pluripotentes induites (IPS) issues de la patiente greffée.

Injectées entre le muscle droit de l'abdomen et la couche de graisse abdominale, ces cellules ont permis à la patiente de ne plus avoir besoin d’injections d'insuline 75 jours plus tard. Indépendance qui se poursuivait un an après l'opération. « Ce sont des résultats préliminaires obtenus chez une patiente qui n'est pas une malade tout-venant, prévient le Pr François Pattou. Elle a eu une greffe de foie et est donc toujours sous immunosuppresseur. Il faudrait confirmer ces résultats chez des patients qui ne nécessitent pas une greffe d'organe. » Biologiste du laboratoire Adocia, Ouardane Jouannot appelle à la prudence en raison du caractère très proliférant des CSE et des cellules IPS. « Cela peut poser des problèmes si elles ne sont pas reconnues par le système immunitaire, explique-t-il. Par ailleurs, pour ce qui est des CSE, les protocoles de différenciation entre les quatre types de cellules des îlots de Langerhans ne sont pas simples. »

En France, à Lyon, la biotech Adocia (1) prépare la première phase clinique de AdoShell Islets, une technologie qui consiste à intégrer des îlots de Langerhans dans une matrice en hydrogel brevetée. L’intérêt de la manœuvre réside dans la faculté de l’hydrogel à laisser passer des macromolécules de petite taille – oxygène, nutriments et glucose dans un sens, glucagon et insuline dans l'autre – et empêcher les plus grosses d'entrer en contact des îlots, à commencer par les immunoglobulines et les lymphocytes. Cette barrière physique rend les îlots de Langerhans indétectables par le système immunitaire, le recours à un traitement immunosuppresseur devenant inutile.

Une fois encapsulés dans l’hydrogel, les îlots gardent leurs propriétés essentielles

Anne-Lise Gaffuri
Responsable du département biologie chez Adocia

Les chercheurs ont développé ce matériau, fruit de la combinaison de deux polymères biocompatibles non toxiques. La polymérisation de l’hydrogel est une réaction de chimie douce qui s'inspire des principes de « chimie click » qui ont valu un prix Nobel aux Américains Barry Sharpless et Carolyn Bertozzi et au Danois Morten Meldal. « La dose et l'épaisseur de l'implant sont importantes, affirme Ouardane Jouannot. Si on accumule trop de cellules dans un espace contraint, la vascularisation va mal se faire. »

Cloué au péritoine

Le mélange hydrogel/îlots de Langerhans est inséré dans neuf anneaux en silicone, rassemblant plusieurs centaines de milliers d’îlots provenant de donneurs décédés, « mais cette technologie peut être appliquée à des îlots de n'importe quelle origine », assure Nicolas Laurent, chef du département de chimie du laboratoire.

« Nous avons vérifié que les îlots gardaient leurs propriétés essentielles, une fois encapsulés dans l'hydrogel, explique Anne-Lise Gaffuri, responsable du département biologie d'Adocia. Ils produisent toujours de l’insuline et du glucagon. » Les données in vitro ont démontré qu’ils répondent à une forte exposition au glucose et reviennent à la normale une fois la concentration revenue à l'état basal. Testée chez des rats diabétiques et immunocompétents, la greffe de ces îlots encapsulés est associée à une amélioration de la survie et une diminution de la glycémie. Des observations confirmées chez des porcs, greffés entre le péritoine et le muscle sous-jacent (2).

À la suite de premiers échanges avec l'Agence nationale de sécurité du médicament, Adocia envisage de passer à la phase clinique en 2025. « Nous allons recruter un premier patient greffé rénal, explique le Pr Pattou. S’il se confirme que ces implants ne requièrent pas d’immunosuppresseurs, on pourra le proposer à des patients non immunodéprimés. »

(1) Ce nom provient d'une éponge de mer connue pour avoir les capacités de régénération les plus importantes du règne animal
(2) L'implant est enroulé sur lui-même, inséré par laparoscopie dans la cavité abdominale, puis déplié et agrafé sur le péritoine


Source : Le Quotidien du Médecin