Environ un tiers des patients cirrhotiques sont aussi diabétiques. Et, selon une étude française réalisée à l’hôpital Avicenne auprès de 700 patients, de 1 à 2 % des patients diabétiques auraient aussi une cirrhose (avec un Fibroscan ≥ 13 kPa). « C’est une situation fréquente. Or, le fait d’avoir un diabète pour un patient cirrhotique est associé à une morbidité et une mortalité plus élevées, en raison de complications hépatiques. En l’occurrence, le risque de développer un carcinome hépatocellulaire est multiplié par deux à trois et ce, indépendamment de l’origine de la cirrhose », insiste le Dr Jean-Michel Petit, diabétologue (CHU Dijon), responsable depuis 2017 du Groupe de travail « foie et diabète » de la Société francophone du diabète.
Dans une étude multicentrique incluant notamment les États-Unis et l’Australie, la survie à cinq ans de ces patients est très altérée : elle est de 38 % chez les cirrhotiques diabétiques, contre 81 % chez les cirrhotiques non diabétiques. Le dépistage systématique du diabète est donc indispensable chez les patients cirrhotiques.
Gare au sous-diagnostic
Mais les outils habituellement utilisés pour diagnostiquer le diabète sont moins performants chez le patient cirrhotique. La glycémie à jeun est souvent normale, alors qu’avec une charge en glucose, on retrouve 20 % de diabétiques. C’est donc ce dernier test qu’il faut utiliser. Quant à l’hémoglobine glyquée, puisqu’elle est liée à la durée de vie du globule rouge, profondément altérée chez le patient cirrhotique, elle est faussement abaissée. « En cas de cirrhose avec une fonction hépatique préservée (Child A), on peut utiliser les mêmes tests que chez un diabétique standard. Mais, si les fonctions hépatiques sont dégradées (Child B ou C), mieux vaut utiliser la charge en glucose pour dépister le diabète », résume le Dr Petit.
Pour suivre l’équilibre glycémique, l’hémoglobine glyquée ne peut être réalisée que chez les cirrhotiques Child A, chez qui elle reste interprétable. Chez les autres patients cirrhotiques (Child B ou C et en cas d’anémie notamment), il faut recourir aux glycémies capillaires ou à la pose de capteurs qui enregistrent la glycémie interstitielle pendant quinze jours en continu : « c’est intéressant, notamment chez les patients qui reçoivent des traitements à risque d’hypoglycémie », note le Dr Petit.
La fructosamine (glycation des protéines plasmatiques), n’est pas performante et donc non recommandée : en effet, elle est liée à la glycation de l’albumine or, les patients cirrhotiques ont une hypoalbuminémie.
Quel traitement privilégier ?
Chez les patients cirrhotiques avec une fonction hépatique préservée (Child A), les critères de choix thérapeutique sont les mêmes que pour tout diabétique de type 2.
En cas de fonction hépatique altérée, il faut cibler une glycémie avant les repas comprise entre 1 et 2 g/l pour limiter au maximum le risque d’hypoglycémie. « Le gros problème de nos patients avec une cirrhose Child B ou C, ce sont les hypoglycémies nocturnes et le risque de dénutrition », insiste le Dr Petit.
Les études observationnelles montrent que les patients cirrhotiques et diabétiques sous metformine diminuent leur risque de carcinome hépatocellulaire : elle est donc à poursuivre chez un patient Child A, avec une fonction rénale normale. Les sulfamides et les glinides ne sont pas recommandés en raison de leur métabolisme hépatique et du risque inhérent d’hypoglycémie. Concernant les iGLT2, la littérature est encore assez pauvre, mais leur utilisation semble possible en cas de cirrhose Child A (il faut toutefois se méfier du risque d’acidocétose et de perte de poids), mais pas de cirrhose Child B ou C. Idem pour les agonistes du GLP1, qui exposent au risque d’une perte de poids conséquente, nécessitant une surveillance stricte de l’état nutritionnel.
Quant à l’insuline, elle n’a pas de contre-indication, d’où sa large utilisation. « Seul bémol, elle expose au risque d’hypoglycémie, car ces patients n’ont aucune réserve de glycogène hépatique. En cas de besoin de sucres nocturnes, ils vont utiliser leurs protéines musculaires, d’où un risque de sarcopénie. Pour lutter contre ces hypoglycémies nocturnes, une collation avant le coucher peut être utile et évite une glycémie trop basse au réveil. Il ne faut d’ailleurs surtout pas viser une glycémie inférieure à 1 g/l au réveil ! », prévient le Dr Petit.
Exergue : Les patients n’ont aucune réserve de glycogène hépatique
Entretien avec le Dr Jean-Michel Petit, diabétologue (CHU Dijon), responsable du Groupe de travail « foie et diabète » de la Société francophone du diabète
(1) Jérôme Boursier et al. Management of diabetes mellitus in patients with cirrhosis: An overview and joint statement. Diabetes & Metabolism 47 (2021) 101272
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