Est-il réellement utile de traiter le diabète gestationnel avant le sixième mois de grossesse ? Si c'est le sens des pratiques actuelles - au vu de l'association entre hyperglycémie précoce et croissance fœtale accélérée entre 24 et 28 semaines d'aménorrhée (SA) -, les preuves d'un bénéfice à traiter précocement manquaient jusque-là.
L'étude randomisée internationale Tobogm, coordonnée par des Australiens, répond à la question par l'affirmative dans « The New England Journal of Medicine » (1), d'après le suivi de 800 femmes enceintes traitées ou non pour un diabète gestationnel avant 20 SA.
Outre le dépistage du diabète gestationnel entre 24 et 28 SA, il est recommandé en France, chez les femmes à risque, de réaliser une glycémie à jeun au premier trimestre afin de détecter un diabète préexistant ignoré. Un diabète gestationnel précoce peut ainsi être mis au jour : il est défini par une glycémie augmentée (≥ 0,92 g/l) mais inférieure à la valeur retenue en dehors de la grossesse (1,26 g/l) qui définit le « diabète avéré découvert pendant la grossesse ». La découverte déclenche alors une prise en charge précoce sur le modèle de ce qui se fait à un terme plus avancé, mais sans certitude sur les effets réels à en attendre.
Moins de complications néonatales
Dans ce travail, le risque de complications néonatales (prématurité, traumatisme à la naissance, poids de naissance > 4,5 kg, détresse respiratoire, recours à la photothérapie, mort fœtale in utero ou décès néonatal, dystocie des épaules) était plus faible dans le groupe des femmes prises en charge immédiatement par rapport à celles traitées à partir de 24 SA. Le taux de ce critère composite s'est révélé significativement abaissé de 5,6 points, soit une incidence « modérément plus faible », selon les auteurs.
« Ces résultats, qui étaient assez attendus, ne sont pas négligeables », estime pour sa part le Pr Emmanuel Cosson, endocrinologue à l'hôpital Avicenne de Bobigny (AP-HP) et coordinateur de deux programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC) dans le diabète gestationnel.
À noter que l'étude, qui comportait deux autres critères principaux de jugement, ne permet pas de retrouver en revanche de différence entre les groupes pour ce qui est des complications hypertensives en cours de la grossesse (prééclampsie, éclampsie, hypertension gravidique), ni quant à la masse maigre néonatale.
Un diabète confirmé dans deux tiers des cas
Près de 17 hôpitaux en Australie, Autriche, Suède et Inde ont participé au recrutement chez des femmes de plus de 18 ans avec grossesse unique (entre 4 SA et 19 SA et 6 jours) et présentant des facteurs de risque d'hyperglycémie (antécédent de diabète gestationnel, indice de masse corporelle > 30 kg/m2, âge ≥ 40 ans, antécédent de diabète chez un parent au premier degré, antécédent de macrosomie, syndrome des ovaires polykystiques ou origine non caucasienne).
Le diagnostic de diabète gestationnel était posé sur l'hyperglycémie provoquée par voie orale à 75 g de glucose (HGPO) avant 20 SA selon les seuils de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), à savoir une glycémie à jeun ≥ 0,92 g/l, une glycémie à 60 minutes ≥1,80 g/l et/ou une glycémie à 120 minutes ≥ 1,53 g/l. Si une valeur était anormale, le diagnostic était posé et les femmes incluses. Étaient exclues les femmes ayant un diabète préexistant, une glycémie à jeun ≥ 1,10 g/l ou une glycémie à 120 minutes ≥ 2,0 g/l, ainsi que celles ayant une pathologie médicale considérée comme une contre-indication par les investigateurs locaux.
La randomisation s'est faite en 1:1 entre le groupe pris en charge immédiatement (406 femmes) et celui traité de façon retardée ou non traité, selon la deuxième HGPO de contrôle entre 24 et 28 SA (396). La prise en charge du diabète reposait sur les mesures hygiénodiététiques et l'autosurveillance glycémique, un traitement pharmacologique était mis en place selon les recommandations habituelles.
Dans cet essai, l'HGPO a été réalisée en moyenne à 15,6 SA (avant 14 SA pour un quart des participantes). Le contrôle entre 24 et 28 SA a confirmé le diabète gestationnel chez deux tiers des patientes (67,0 %). Selon le premier critère principal de jugement, une complication néonatale est survenue chez 94 des 378 femmes du groupe traitement immédiat (24,9 %) versus 113 des 370 femmes du groupe contrôle (30,5 %).
Une balance bénéfices/risques à préciser
Le Dr Michael Greene, gynécologue-obstétricien au Massachusetts General Hospital et de la faculté de médecine de Harvard à Boston, reste mesuré. Ces bénéfices « modestes » combinés aux résultats négatifs de l'essai Eggo (2) « remettent en question les recommandations actuelles pour un dépistage et un traitement précoce parmi les femmes à haut risque », écrit-il dans un éditorial associé (3), appelant à recueillir davantage de données sur le sujet.
Le Pr Cosson souligne, quant à lui, que le diabète gestationnel n'était pas confirmé après 24 SA chez un tiers des patientes. « Les bénéfices à traiter sont certainement plus marqués chez des femmes ayant des chiffres plus élevés au premier trimestre, explique-t-il. Le seuil de 0,92 g/l pour la glycémie à jeun est sûrement trop bas, il faudrait probablement le relever à 0,95 g/l. » Ce d'autant qu'un régime strict peut entraîner un retard de croissance, rappelle-t-il, même si l'effet ne ressort pas statistiquement significatif dans l'étude.
La balance bénéfices/risques devrait aussi tenir compte du fait qu'une prise en charge précoce du diabète gestationnel pourrait améliorer la prise en charge après la grossesse « avec de meilleures habitudes hygiénodiététiques et une meilleure activité physique », rapporte l'endocrinologue.
Ces résultats ne semblent pas de nature à changer les pratiques pour l'instant, si ce n'est à rappeler que « le dépistage du diabète gestationnel n'est recommandé qu'en cas de facteurs de risque », rappelle le Pr Cosson. Une grande étude nationale sur la glycémie à jeun de début de grossesse, appelée Lema-GDM, est en cours dans l'Hexagone sous la coordination de la Pr Anne Vambergue du CHU de Lille. Retardé après son lancement par la crise Covid, ce travail devrait fournir de nouveaux éléments de réflexion d'ici à deux à trois années.
(1) D. Simmons et al, NEJM, 2023. DOI:10.1056/NEJMoa2214956
(2) L. Harper et al, Am J Obstet Gynecol, 2020; 222(5):495.e1-495.e8
(3) M. Greene et al, NEJM, 2023. DOI:10;1056/NEJMe2304543
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