La prévalence du diabète au cours des essais thérapeutiques et des études de cohorte consacrés à l’insuffisance cardiaque (IC) varie de 24 à 48 % dans l’IC à fraction d’éjection réduite (ICFEr) et de 30 à 43 % en cas de fraction d’éjection préservée (ICFEp). Elle est plus élevée dans les essais les plus récents, du fait de l’épidémie d’obésité actuelle. Au cours de l’ICFEr, dans l’étude PARADIGM (1), 35 % des patients ont un diabète connu, 13 % un diabète méconnu (hémoglobine à HbA1c strictement supérieur à 6,5 %) et 26 % sont prédiabétiques (hémoglobine à HbA1c entre 6 et 6,4 %). Au cours de l’ICFEp, dans l’étude PARAGON, 43 % des patients ont un diabète connu et 49 % une obésité (2).
Un cercle vicieux
L’existence d’un diabète assombrit le pronostic au cours des deux types d’IC, mais sa valeur pronostique semble plus marquée dans l’ICFEp comme l’a montré le programme CHARM. L’âge influence la valeur pronostique du diabète au cours de l’IC. Ainsi, si l’existence d’un diabète multiplie par deux le risque de décès à cinq ans des IC de moins de 75 ans, cette relation n’est plus retrouvée au-delà. Quant à l’intolérance au glucose, sa prévalence est de 12 % dans l’ICFEr comme dans l’ICFEp et sa valeur pronostique similaire à celle du diabète. Au cours de l’IC aiguë, la prévalence d’un diabète connu est de 39,8 %. L’hyperglycémie à jeun > 1,26 g/l ou la découverte d’une HbA1c ≥ 6,5 % sont retrouvées dans 9,6 % des cas (3). Par rapport aux patients non diabétiques, le diabète augmente de manière indépendante de 77 % la mortalité hospitalière, de 16 % la mortalité à un an et de 32 % les re-hospitalisations à un an. De plus, une glycémie élevée est un prédicteur indépendant de mortalité à un mois, après une hospitalisation pour IC aiguë autant dans l’ICFEr que dans l’ICFEp.
Ces deux pathologies sont à l’origine de la création d’un cercle vicieux. D’une part, l’IC en favorisant une insulinorésistance est un facteur de risque d’apparition d’un diabète. Celui-ci, peut être d’autre part, à l’origine d’une cardiomyopathie diabétique, dont la physiopathologie complexe est dominée par les phénomènes de glucotoxicité, de lipotoxicité et par la dysfonction mitochondriale, favorisés par une perte de la flexibilité métabolique myocardique. En effet, le cœur utilise quasi exclusivement les acides gras pour produire de l’énergie, ce qui va aggraver la cardiopathie sous-jacente en générant une dysfonction systolique et diastolique. Ainsi, l’existence d’un diabète multiplie par 2,1 l’incidence de l’IC après ajustement sur l’âge, le sexe, l’hypertension et la maladie coronarienne dans les registres les plus récents (4). Ceci confirme les données de l’étude de Framingham où le risque était multiplié par 2,4 chez les hommes et 5 chez les femmes.
Pas d’effet de classe avec les inhibiteurs de la DPP4
L’utilisation des traitements hypoglycémiants au cours du diabète de type 2 est modifiée par l’existence d’une IC. Les effets des différentes classes d’hypoglycémiants sur le risque d’apparition ou d’aggravation d’une IC sont très hétérogènes. Certains, comme les glitazones, ont des effets négatifs qui majorent le risque de décompensation cardiaque par un mécanisme de rétention hydrosodée (et non par action directe sur la fonction myocardique), ce qui a conduit à les contre-indiquer chez les patients insuffisants cardiaques. Parmi les inhibiteurs de la DPP4, la saxagliptine augmente de 27 % (significatif) le risque d’IC versus placebo, et l’alogliptine de 19 % (non significatif). Ce risque est majoré par un taux élevé de peptides natriurétiques à l’inclusion et des antécédents d’IC. Quant à la sitagliptine et la vidagliptine, elles n’ont aucune action. Ainsi, il n’existe pas d’effet de classe des inhibiteurs des DPP4 sur le risque de développement d’une IC.
Les bénéfices des inhibiteurs de SGLT2
D’autres ont des effets positifs, comme les inhibiteurs sélectifs du co-transporteur 2 du sodium-glucose (iSGLT2), tels que l’empagliflozine, la canagliflozine et la dapagliflozine. Probablement du fait de leurs propriétés diurétiques, ils diminuent significativement, de 30 % environ, le nombre d’hospitalisation pour IC lors des essais EMPA-REG OUTCOME (5), CANVAS (6) et DECLARE-TIMI58 (7). Ce bénéfice est retrouvé aussi bien chez les patients avec ou sans antécédents d’IC. Ainsi, il existe un effet de classe des inhibiteurs SGLT2 sur la prévention du risque d’hospitalisation pour IC. Celui-ci est confirmé par une méta-analyse des trois études, où est retrouvée une diminution de 23 % du risque de décès cardiovasculaires ou d’hospitalisation pour IC (8), associée à une réduction des évènements rénaux. Cet effet y apparaît dépendant du niveau de la fonction rénale initiale : la réduction du risque d’hospitalisation pour IC est d’autant plus marquée que le débit de filtration glomérulaire est bas. Une autre méta-analyse, portant sur les études en vie réelle et incluant 1 155 604 diabétiques, souligne également ce bénéfice. En effet, elle montre une diminution de 34 % du risque d’hospitalisation pour IC chez les patients recevant un iSGLT2, avec ou sans antécédents d’IC et quel que soit l’état de leur fonction rénale (9). Les effets cardiovasculaires des iSGLT2 sont largement indépendants de l’abaissement de la glycémie. Ainsi, outre l’effet natriurétique lié à une action au niveau du tubule proximal bloquant la balance glomérulo-tubulaire, d’autres mécanismes pourraient expliquer leur bénéfice sur la prévention des hospitalisations pour IC. De fait, l’effet sélectif de déplétion des fluides interstitiels par rapport aux pertes de volume plasmatique (les distinguant des diurétiques de l’anse), l’action directe au niveau des cardiomyocytes sur l’échangeur Na+/H+ et sur l’expression des marqueurs profibrotiques, ainsi que l’augmentation de la production d’ATP par le biais de l’oxydation du glucose (et non de la voie des acides gras) aboutiraient à une amélioration de la fonction cardiaque.
Ces résultats favorables ont conduit à tester les iSGLT2 chez les patients présentant une IC. Dans les suites immédiates d’une IC aiguë, l’essai SOLOIST-WHT avec la sotagliflozine, réalisée uniquement chez des patients diabétiques, s’est révélé positif avec une diminution de 33 % des décès cardiovasculaires et des hospitalisations ou visites aux urgences pour IC. Dans l’ICFEr (FE ≤ 40 %) stable, deux études, EMPEROR-Reduced avec l’empagliflozine à 10 mg/j (10) et DAPA-HF avec la dapagliflozine à 10 mg/j (11), menées chez des patients diabétiques ou non, ont montré une diminution significative de leur co-critère primaire (décès cardiovasculaires et hospitalisations pour IC) de 25 % et 24 % respectivement. La méta-analyse de ces deux études met en évidence une réduction de 13 % de la mortalité toute cause (12). Ces effets bénéfiques concernent aussi bien les patients diabétiques que non diabétiques.
La metformine en première ligne
Quant à la metformine, son utilisation est associée dans des études observationnelles réalisées chez des patients insuffisants cardiaques à une amélioration du pronostic, y compris dans l’ICFEr. Si des biais sont toujours possibles dans ce type d’étude, ce résultat était attendu du fait de l’amélioration de l’insulinorésistance qu’elle entraîne. Ainsi, selon les dernières recommandations, la metformine peut être utilisée en première ligne de traitement pour contrôler la glycémie des patients insuffisants cardiaques diabétiques en l’absence de contre-indication, notamment d’insuffisance rénale sévère (classe IIa, niveau C).
Éviter les sulfamides
Enfin, certains hypoglycémiants ont des effets neutres, comme les analogues du GLP1 et les sulfamides. Cependant, ces derniers doivent être évités, si possible, chez l’insuffisant cardiaque en raison du risque d’hypoglycémie induit. En stimulant le système nerveux sympathique, en diminuant la variabilité sinusale et en allongeant l’intervalle QT, les hypoglycémies sévères pourraient en effet générer des troubles du rythme, à l’origine d’une augmentation du risque de mort subite chez les insuffisants cardiaques (13). Pour cette raison, la cible de l’HbA1c à atteindre est entre 7 et 8 % chez les insuffisants cardiaques. De plus, un contrôle intensif de la glycémie n’a pu démontrer une réduction du risque de développer une IC.
Ainsi, le traitement des patients diabétiques de type 2 insuffisants cardiaques doit évoluer avec, en association à la metformine, une utilisation préférentielle des iSGLT2 et une moindre prescription de sulfamides, comme en attestent les récentes recommandations de la Société européenne de cardiologie (14).
*Fédération des services de cardiologie, CHU Toulouse-Rangueil
**UMR UT3 CNRS 5288 Evolutionary Medicine, Obesity and heart failure: molecular and clinical investigations. INI-CRCT F-CRIN, GREAT Networks
***Université Paul Sabatier-Toulouse III; Faculté de Médecine (Toulouse)
(1) Kristensen SL, et al. Circ Heart Fail 2016;9(1):e002560
(2) Solomon SD, et al. Circ Heart Fail 2018;11 :e004962
(3) Targher G, et al. Eur J Heart Fail 2017;19:54-65
(4) Klajda MD, et al. Mayo Clin Proc 2020;95(1):124-33
(5) Fitchett D, et al. Eur Heart J 2016;37:1526-34
(6) Rådholm K, et al. Circulation 2018;138(5):458-68
(7) Wiviott SD, et al. N Engl J Med 2019;380:347-57
(8) Zelniker TA, et al.Lancet 2019;393(10166):31-9
(9) Yamani N, et al. Eur J Prev Cardiol 2020 ;27(6):667-70
(10) Packer M, et al. N Engl J Med 2020;383(15):1413-24
(11) Zannad F, et al. Lancet 2020;396:819-29
(12) McMurray JJV, et al. Eur J Heart Fail 2019;21(5):665-75
(13) Fitzpatrick C, et al. Diabetes Obes Metab 2018;20(9):2168-78
(14) The task force for diabetes, pre-diabetes, and cardiovascular diseases of the European Society of Cardiology (ESC) and the European Association for the Study of Diabetes (EASD). 2019 ESC Guidelines on diabetes, pre-diabetes, and cardiovascular diseases developed in collaboration with the EASD. Eur Heart J 2020;41(2):255-323
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