Les dosages des hormones thyroïdiennes et de la TSH sont prescrits pour la reconnaissance et la surveillance des anomalies de la fonction thyroïdienne, spontanées ou sous traitement. On sait que, lors de la rédaction de l’ordonnance visant au dépistage comme au suivi des affections thyroïdiennes, est trop souvent de demander à la fois un dosage de TSH et d’une ou plusieurs hormones thyroïdiennes. Il existe, certes, une grande diversité d'opinions sur la stratégie de leur utilisation.
8 % du budget laboratoire en ville
Une enquête conduite récemment aux États-Unis a montré que les bilans thyroïdiens représentaient 4 % de tous les dosages réalisés par des laboratoires, pour des patients en ambulatoire. Du fait de leur coût, ils représentaient 8 % des prix de l’ensemble des examens de laboratoires.
La prescription chez l'adulte de la T4 libre (T4L) ou totale (T4T) et de la triiodothyronine T3 libre (T3L) ou totale (T3T) a fait l'objet, en France, de quatre références médicales opposables (RMO) aux médecins libéraux. Les recommandations établies par l'agence nationale d'évaluation médicale (ANDEM) pour la prise en charge du nodule thyroïdien vont dans le même sens. Elles déclarent sa prescription injustifiée dans les suspicions cliniques d'hypothyroïdie ou pour la surveillance d'un traitement hormonal substitutif. Dans la plupart des pays, les recommandations soutiennent des prescriptions en cascade, c’est-à-dire commencer par demander un dosage de TSH.
Une question demeure : quelle plage de normalité admet-on, autorisant à se limiter à ce dosage de la TSH, sans prendre le risque de laisser échapper des diagnostics d’hyper ou d’hypothyroïdie ? Les auteurs ont constaté que le test de la fonction thyroïdienne utilise souvent la mesure de la TSH en premier, suivie d'un dosage de T4 libre (T4L) si celle-ci est en dehors de la plage de référence. L'utilité de différents seuils de TSH pour déclencher d’autres dosages thyroïdiens reste inconnue.
Des dosages moins nombreux sans conséquence clinique
L’objectif de cette étude australienne est donc d’examiner différentes limites de la TSH pour les tests T4 sans réflexe. La TSH a été analysée concomitamment aux résultats de T4 libre, chez 120 403 individus et un seul laboratoire d'Australie occidentale (cohorte dite clinique) et de 4 568 participants à l'étude dans un centre de santé (cohorte dite communautaire).
Dans la cohorte clinique, restreindre la mesure de T4 libre aux individus avec TSH < 0,3 ou > 5,0 mU/l a entraîné une réduction de 22 % des tests de T4 libre par rapport à une plage de référence de 0,4 à 4,0 mU/l. L'utilisation des seuils de 0,2 et 6,0 mU/l de TSH a entraîné une réduction de 34 % des dosages de T4 libre. Mais, dans la cohorte dite communautaire, l'effet correspondant était moindre : réduction de 3,3 % et 4,8 % des dosages de T4L.
Dans la cohorte clinique, en utilisant des seuils de TSH de 0,2 et 6,0 mU/l, une T4 libre élevée ne serait pas détectée chez 4,2 % des individus, avec des niveaux de TSH de 0,2 à 0,4 mU/l. Dans la plupart des cas, la T4 libre était légèrement élevée et il est peu probable qu'elle indiquait une hyperthyroïdie cliniquement pertinente. En outre, une T4 libre abaissée ne serait pas détectée chez 2,5 % des individus avec des niveaux de TSH de 4 à 6 mU/l. Dans 94 % des cas, la T4 libre était légèrement diminuée et il est peu probable qu'elle indique une hypothyroïdie cliniquement pertinente.
Au total, fixer des seuils de TSH de 0,1 à 0,2 mU/l inférieurs et de 1 à 2 mU/l supérieurs aux limites de la plage de référence a conduit à des dosages de T4 libre significativement moins nombreux sans impact réel sur la recherche de situations thyroïdiennes pathologiques. On imagine les réductions de dépenses de santé qui en découleraient.
Nous avons tous besoin de renforcer notre formation thyroïdienne
Cette conclusion vaut tant pour la médecine ambulatoire que pour les hôpitaux, où nul n’ignore qu’en France les prescriptions des dosages de T4L et/ou T3L sont très excessifs.
On doit de plus insister sur la modération des prescriptions complémentaires, qu’il convient d’apporter face à une TSH et des hormones thyroïdiennes modérément pathologiques (T4L). Il faut raison garder quant aux autres explorations à demander ! La prescription d’examens tels que des anticorps (TPO ou TRAK), T3L, thyroglobuline, sans parler des échographies et des cytoponctions, doit être bien réfléchie.
Les situations thyroïdiennes, supposées ou réelles, sont si nombreuses (asthénie, dépression, variation pondérale, chute de cheveux, anomalies morphologiques minimes de la glande thyroïde) que certains prescripteurs sont souvent conduits à demander une TSH, puis à pousser plus avant les explorations. Les authentiques pathologies thyroïdiennes sont fréquentes, mais on les incrimine à tort plus souvent encore. C’est pourquoi les FMC et/ou DPC sur ce thème, pour un grand nombre de praticiens, devraient presque être rendues obligatoires !
Car ces prescriptions génèrent, on le sait, des dépenses de santé inutiles et souvent une anxiété du patient, aux conséquences péjoratives sur sa santé psychique et physique. Et, au final, bien trop de prescriptions de traitement par hormones thyroïdiennes ! Ne vient-on pas de traverser en France un tsunami médiatico-médical très perturbant autour de cette question ? N’en tirerons-nous aucun enseignement ?
Professeur émérite université Grenoble Alpes
Henze M, et al. Rationalizing Thyroid Function Testing: Which TSH Cutoffs Are Optimal for Testing Free T4? Rationalisation des tests explorant la fonction thyroïdienne : quels seuils de TSH sont optimaux pour doser la T4 libre? J Clin Endocrinol Metab. 2017. 1
er novembre;102(11):4235-41.doi: 10.1210/jc.2017-01322
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