La greffe d’îlots de Langerhans a fait son entrée dans les soins courants pour les formes sévères de diabète de type 1 (DT1). Les pouvoirs publics ont acté en avril 2021 son remboursement au « Journal officiel » quelques mois après l’avis favorable de la Haute Autorité de santé (HAS).
La technique, qui permet de restaurer une production endogène d’insuline, a prouvé qu’elle améliore significativement le contrôle glycémique à plus de 10 ans. « Il a fallu attendre presque 30 ans entre la preuve de concept en 1972 et la première application clinique en 2000, a rappelé le Pr François Pattou, chirurgien au CHU de Lille, lors d’une présentation au congrès de la Société française d’endocrinologie*. Vingt ans encore plus tard, les pouvoirs publics ont entériné la greffe d’îlots. Ce n’est pas si fréquent. En recherche, la plupart des traitements étudiés, imaginés et développés en laboratoire meurent de leur belle mort et n’arrivent pas à franchir ce barrage. »
Cette année a vu aussi le remboursement de la boucle fermée Diabeloop pour les formes sévères. Comment positionner les deux options ? « La greffe d’îlots reste un traitement d’exception réservée aux formes les plus sévères de DT1, explique le Pr Pattou. La boucle fermée est proposée à des formes moins sévères. Et certains patients n’acceptent pas le port d’un dispositif extérieur et préfèrent rester avec les stylos plutôt que les pompes. »
L’effort pour la greffe d’îlots a été collectif avec huit centres impliqués (Lille, Nantes, Paris, Strasbourg, Besançon, Lyon, Grenoble-Genève, Montpellier) et plus de 200 publications. « C’est une nouvelle greffe depuis 20 ans, un gros succès, souligne le Pr Pattou. L’Agence de la biomédecine (ABM) nous a beaucoup accompagnés. »
Environ 150 patients ont été greffés dans le cadre d’essais cliniques PHRC depuis 2004. On en attend une centaine par an désormais sur le territoire, la greffe peut se faire dès l’âge de 18 ans, mais en moyenne les patients ont plutôt entre 30 et 50 ans.
Les indications retenues sont les patients ayant une forme sévère de DT1 avec instabilité extrême et risque d’hypoglycémies sévères et ceux ayant un DT1 avec insuffisance rénale et receveurs d’une greffe rénale (déjà immunodéprimés).
« Le gouvernement reconnaît une troisième indication, marginale, la pancréatectomie avec autogreffe d’îlots », ajoute-t-il.
Liste d’attente nationale
Le remboursement arrive à point nommé. « Les essais ne prévoient qu’un petit nombre de patients et cela fait déjà un an qu’ils sont complets, rapporte le Pr Pattou. On peut désormais prendre en charge les patients et de façon plus légère, les essais cliniques nécessitant un grand nombre d’examens pour évaluer le traitement. Maintenant, on peut dire aux patients les choses comme elles sont, le traitement est validé par la HAS. »
Six villes avec une activité de greffe, sans doute huit, vont recevoir une autorisation de leur agence régionale de santé (ARS). Quant aux centres producteurs d’îlots, quatre sont en lice, deux (Lille et Montpellier) ont déjà reçu le feu vert des autorités (ABM, ARS, Agence du médicament) et Grenoble-Genève et Lyon sont en attente. « Cela fait longtemps que l’on a cette organisation dans le cadre de la recherche », indique le chirurgien pionnier de la greffe d’îlots en France.
Chaque centre de greffe doit comporter une équipe pluridisciplinaire, comme le décrit le texte de 2011 : un diabétologue ; un médecin spécialiste de la transplantation ; un chirurgien viscéral et digestif justifiant d’une expérience dans le domaine de la transplantation d’îlots (voie laparotomique) ou un radiologue formé en radiologie interventionnelle digestive ; un médecin spécialisé en anesthésie-réanimation ; et une équipe paramédicale.
L’inscription à la greffe se fait sur une liste nationale d’attente gérée par l’ABM. Les équipes doivent être disponibles 24 heures/24. Plus de 1 000 prélèvements de pancréas sont réalisés par an en France, avec environ 600-800 donneurs, par ailleurs de plus en plus âgés. « On dispose d’une nouvelle catégorie de donneurs avec le Maastricht 3, décédés très récemment et prélevés sur cœur arrêté et non en état de mort encéphalique », précise le Pr Pattou.
Pour la production d’îlots, la méthode est la même depuis les débuts. Le pancréas est d’abord digéré par une collagénase, puis s’ensuivent une dissociation mécanique et une purification par le gradient de densité. « Chaque îlot mesure quelques dixièmes de millimètres et se voit à l’œil nu, décrit-il. Il faut environ 250 000 îlots pour une greffe. Un dé à coudre de tissu suffit à couvrir les besoins en insuline. Quelques centaines à quelques milliers d’îlots créent la synchronisation pour une régulation souple et fine. »
Les îlots pourraient être greffés n’importe où, par exemple dans le muscle, plus accessible. Mais le choix s’est porté sur le foie. « La greffe intraportale dans le foie est plus invasive, mais plus efficace, car doublement vascularisée », détaille le Pr Pattou. L’infusion dure une vingtaine de minutes et les îlots vont se greffer de façon aléatoire dans le foie.
La fonction initiale du greffon, un facteur clé
Comment décrire le succès d’une greffe ? Du point de vue des médecins et des proches, c’est l’arrêt des hypoglycémies sévères. Si beaucoup d’équipes abandonnent l’idée d’un sevrage complet en insuline, ce n’est pas le cas des patients qui acceptent beaucoup d’efforts et rêvent d’arrêter les injections d’insuline. « Le consensus Ipita, d’il y a quelques mois, a eu pour objectif de s’affranchir de ce dilemme », explique le Pr Pattou. Le succès est défini selon quatre aspects composites, notamment le contrôle glycémique (HbA1c) et les hypoglycémies sévères.
Quant à la fonction rénale à 10 ans, la greffe d’îlots ne précipite pas l’évolution vers l’insuffisance rénale, c’était une inquiétude compte tenu de la toxicité des immunosuppresseurs. « C’est un bon signal à confirmer », se réjouit le Pr Pattou.
La survie des îlots à long terme semble corrélée à la fonction initiale obtenue (ou PGF pour Primary Graft Function). « Les résultats sont très différents selon si la fonction était optimale ou suboptimale, souligne le Pr Pattou. Cette hypothèse formulée il y a longtemps est confirmée dans le registre international de 1 000 patients. Le PGF apparaît comme un critère de jugement rapide qui pourrait être utilisé à l’avenir. D’ailleurs à Lille, une greffe itérative est proposée systématiquement et dans deux tiers des cas, une troisième infusion est réalisée. »
Des sources alternatives pour les cellules
Autre bonne nouvelle : les sources alternatives de cellules pour la greffe de cellules endocrines ont (enfin) le vent en poupe. « Il y a 10 ou 15 ans encore, c’était très hypothétique et cela semblait difficile, se souvient le Pr Pattou. La science du développement des cellules a beaucoup progressé. » Si la piste des cellules souches embryonnaires (CSE) autologues semble « illusoire », les CES allogéniques ont apporté la preuve qui leur manquait. « In vitro, les néoîlots répondent de façon adaptée et significative, indique le Pr Pattou. La recette pour produire des cellules insulinosécrétantes est reproductible, solide et robuste. »
La translation clinique est en route. La biotech Vertex a démarré, malgré le Covid, une étude clinique testant la greffe dans le foie d’îlots néoformés issus de CSE. Et quant au procédé d’encapsulation des îlots, qui s’est heurté à la réaction de fibrose lors de ses débuts il y a 10 ans, les choses semblent aussi avancer. La société ViaCyte a montré pour la première fois au congrès de l’Association américaine du diabète (ADA), que l’encapsulation pouvait ne pas être imperméable et qu’une vascularisation pouvait pénétrer : un patient greffé a présenté un taux de C-peptide six mois après la greffe très faible mais positif. « Cela semble possible », espère le Pr Pattou.
*Congrès 2021 de la Société française d'endocrinologie du 13 au 16 octobre au Havre
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