Diabétologie

Le rôle paradoxal des acides gras sur les cellules bêta pancréatiques

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Publié le 18/02/2022
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Les acides gras sont considérés comme étant des vecteurs responsables du développement du diabète de type 2, mais leur rôle délétère pourrait être finalement exagéré selon les travaux d'une équipe de l'université de Genève. Mieux : les acides gras stockés dans les cellules bêta pancréatiques permettraient de restaurer plus rapidement la production d'insuline.
Un cycle dynamique de stockage et d’utilisation des lipides est à l’œuvre dans les cellules bêta pancréatiques

Un cycle dynamique de stockage et d’utilisation des lipides est à l’œuvre dans les cellules bêta pancréatiques
Crédit photo : PHANIE

Depuis les années 1970, le concept de cytotoxicité présuppose qu'un apport important de gras peut détériorer les cellules bêta pancréatiques. « Cette idée provient des travaux du Pr Roger Unger de l'université du Texas », souligne Pierre Maechler, du département de physiologie et du métabolisme au centre du diabète de la faculté de médecine à l'université de Genève, et qui a dirigé une étude publiée dans « Diabetologia ». Ces travaux éclairent d'un jour nouveau le rôle des acides gras dans la baisse de la sécrétion d'insuline. À cette époque, « de nombreux travaux avaient été entrepris, à l'initiative de l'industrie sucrière qui voulait mettre en avant les effets délétères des lipides », contextualise-t-il.

Les personnes obèses ont un risque de 50 % de développer un diabète, le rôle de l'excès d'acides gras dans la prédisposition au diabète ne fait pas de doute. Pour autant, « son rôle dans la bascule entre l'insulino-résistance et le véritable diabète, caractérisé par la destruction des cellules bêta pancréatiques, n'est pas clair, insiste Pierre Maechler. Il y a actuellement tout un mouvement qui consiste à poser la question des preuves de la toxicité des lipides. » Avec son équipe, Pierre Maechler a tenté d'éclaircir la question en étudiant in vitro la réponse de cellules humaines et murines à un excès de sucre seul ou combiné à un excès d'acides gras.

Des lipides stockés pour les jours meilleurs

Des cellules insulinosécrétrices d'hommes et de rats ont ainsi été cultivées et exposées pendant trois jours à des concentrations élevées de glucose (5,5, 11,1 et 25 mmol/l), avec ou sans acides gras saturés (0,4 mmol/l de palmitate ou d'oléate).

Au cours des trois jours d'exposition, la production d'insuline s'est fortement réduite, qu'on ajoute ou non des acides gras. En revanche, une différence était observée une fois que l'on stoppait l'exposition, avec une restauration rapide de la production d'insuline des cellules co-exposées aux acides gras et au sucre. Les cellules exposées seulement au sucre présentaient toujours une sécrétion d'insuline dégradée.

Les chercheurs ont constaté que les acides gras étaient stockés sous forme de gouttelettes lipidiques. Des analyses complémentaires ont montré que ces gouttelettes ne sont pas statiques mais participent à un cycle dynamique de stockage et d'utilisation des lipides par les cellules bêta pancréatiques. « Les acides gras sont mobilisés par les cellules dans les jours qui suivent l'exposition et nous savons que ce n'est pas pour produire de l'énergie, explique Pierre Maechler, car nous avons bloqué le transporteur qui les achemine dans la mitochondrie. Leur mobilisation vise donc à adapter le fonctionnement de la cellule à l'excès de sucre. »

À ce stade, les chercheurs ne savent pas quels sont les mécanismes cellulaires impliqués. La théorie la plus probable est celle avancée il y a quelques années par le Pr Marc Prentki du département de nutrition de l'université de Montréal : les acides gras seraient des médiateurs qui faciliteraient le transport des précurseurs de l'insuline. « Il n'est pas non plus exclu que ces acides gras aient un effet autocrine ou paracrine », complète Pierre Maechler. Si cet effet était confirmé, il serait possible de le favoriser avec l'activité physique et le respect des jeûnes physiologiques, c'est-à-dire tout simplement en ne mangeant pas entre les repas.

Une extrapolation encore impossible

Plusieurs scientifiques ont réagi aux travaux de l'équipe suisse, à l'image du Pr Francesco Rubino, qui occupe la chaire de chirurgie bariatrique et métabolique du King’s College de Londres. « Une limitation intrinsèque de cette étude in vitro est qu'elle se limite à l'étude du fonctionnement des seules cellules bêta pancréatiques, explique-t-il. Alors que les mécanismes qui sous-tendent le diabète de type 2 impliquent d'autres tissus et organes ». Pour cet expert, il n'est donc pas possible de tirer des conclusions générales concernant le rôle des acides gras dans la physiopathologie du diabète de type 2.

« Il est évident qu'il y a beaucoup de facteurs confondants dans une étude in vitro, répond Pierre Maechler. Il faut aussi voir comment l'insuline qui sort de ces îlots interagit avec le foie ou les muscles. Un excès d'acides gras peut aussi avoir un effet à ce niveau-là. De manière générale, nos travaux ne remettent pas en cause la pertinence d'une réduction de la teneur en gras dans l'alimentation. »

L. Oberhauser et al, Diabetologia, janvier 2022. doi: 10.1007/s00125-021-05633-x

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin