LE QUOTIDIEN : Les communications sur l’intérêt des arGLP1 dans l’arthrose se multiplient ces derniers temps. Depuis quand s’y intéresse-t-on ?
PR FRANCIS BERENBAUM : Il y a eu effectivement des communications en fin d’année à la SFR, l’ACR et l’Oarsi (1), ainsi qu’une thèse soutenue en 2022 (2). J’ai débuté les expérimentations en 2012, mais la première publication n’est arrivée qu’en 2022, après de nombreuses expérimentations in vitro et chez l’animal. Dès le départ, il me paraissait évident qu’un traitement de fond efficace dans l’arthrose devait être administré en intra-articulaire, pour une meilleure balance bénéfice/risque, ce qui d’autant plus justifié que l’arthrose ne touche souvent qu’une articulation à la fois.
Quelle était l’hypothèse de départ ?
Si les arGLP1 n’étaient initialement indiqués que dans le diabète ; ils ont rapidement montré un effet cardioprotecteur supérieur à celui des autres antidiabétiques. On savait aussi qu’ils exercent un effet protecteur sur les cellules bêtapancréatiques. D’autre part, sachant qu’on retrouve des récepteurs au GLP1, non seulement au niveau du pancréas mais aussi au niveau cardiovasculaire, nous avons émis l’hypothèse que si des récepteurs du GLP1 étaient présents dans les articulations, le GLP1 pourrait exercer un bénéfice. Or, on a mis en évidence ces récepteurs au niveau des chondrocytes, des synoviocytes et des macrophages du tissu synovial. D’où des travaux qui ont montré un effet extrêmement positif au niveau articulaire, avec à la fois une action anti-inflammatoire mais aussi protectrice, via une meilleure différenciation cellulaire.
On connaissait le rôle anti-inflammatoire du GLP1, mais pouvait-on s’attendre à cet effet chondroprotecteur ?
Ce versant « protecteur tissulaire » avait déjà été observé au niveau pancréatique, où les arGLP1 stimulent la différenciation des cellules bêta des îlots de Langerhans, améliorant le phénotype cellulaire. Nous avons également montré cet effet au niveau des chondrocytes, avec une augmentation de la différenciation cellulaire qui, associée à l’action anti-inflammatoire, rend compte des propriétés à la fois anticataboliques mais aussi anaboliques chondroprotectrices des arGLP1.
Les arGLP1 prescrits par voie générale chez le DT2 ou l’obèse apportent-ils une amélioration de l’arthrose, au-delà de celle liée à la perte de poids ?
On n’a pas de réponse directe, mais un essai clinique mené avec le sémaglutide (une injection SC par semaine) pendant un an chez des patients obèses atteints d’arthrose du genou met en évidence une réduction très significative de la douleur, associée à une importante perte de poids (3). Il n’est toutefois par possible d’en déduire un effet articulaire direct, l’étude n’ayant pas analysé spécifiquement l’articulation, et en particulier ne comportant pas de données sur l’IRM ou les biomarqueurs.
Une autre étude, publiée en 2023, avait comparé, dans la Shanghai osteoarthritis cohort study (4), les données chez les diabétiques atteints d’arthrose du genou après au moins deux ans de traitement, soit par un arGLP1 en SC, soit par un autre antidiabétique. Il existe une différence significative sur le nombre de prothèses ou de chirurgies chez ceux traités par arGLP1, avec certes une réduction pondérale notable, mais à laquelle pourrait se rajouter un effet indépendant du poids. Toutefois, il ne s’agit que d’un argument indirect.
Par ailleurs, pour bénéficier de la chondroprotection, nous considérons qu’il faut atteindre des concentrations articulaires de arGLP1 qu’on ne peut obtenir que par une injection locale. L’administration directe permet aussi un rythme d’injection plus espacé, vraisemblablement une fois tous les trois à six mois — et présente l’incontestable avantage de ne pas limiter le traitement aux obèses et aux diabétiques.
Quelles sont les études en cours ?
Les premières études menées avec un GLP1 en intra-articulaire (IA) sur des modèles animaux de douleur, mettaient en évidence un effet antalgique puissant, d’autant plus marqué que l’articulation était inflammatoire ; d’autres modèles traumatiques montrent que le GLP1, en particulier le liraglutide, protège les articulations de la destruction.
Compte tenu de ces résultats, et des données de sécurité des arGLP1, une première étude de tolérance a été menée chez 32 patients atteints d’arthrose du genou, avec des IA à des doses croissantes : la tolérance est bonne, en particulier à la dose efficace. Il existe un passage systémique, mais transitoire, dans les 48 heures après l’IA, et donc rassurant en termes de tolérance globale.
L’effet est majeur sur l’inflammation, en particulier sur la synovite, aussi l’essai clinique de preuve de concept d’efficacité sera-t-il mené dans les phénotypes d’arthrose du genou caractérisées par une inflammation importante vérifiée sur IRM. Cette étude, Inflam-Motion, devrait débuter cet été avec le liraglutide dilué en IA pendant trois mois, chez 130 personnes. Les résultats sont attendus pour 2026, avec comme objectif principal la douleur et, comme objectif secondaire, des critères IRM d’inflammation.
La FDA considérant l’arthrose comme une maladie sévère, elle permet maintenant le développement accéléré de médicaments ayant démontré une efficacité à la fois sur les symptômes et sur des marqueurs substitutifs de structure. Aussi, après cette phase 2A, une étude de phase 2B aura pour objectif de déposer un dossier pour une mise sur le marché accélérée, ce qui pourrait être le cas en 2029 ou 2 030 si les résultats sont concluants, d’autant que les données de tolérance sont bien connues.
Jusqu’ici, les différentes molécules envisagées dans l’arthrose n’ont jamais fait leurs preuves chez l’humain. Quels sont les a priori en faveur des arGLP1 ?
Avec la famille des arGLP1, on a une nouvelle cible, on connaît bien le mécanisme d’action, et le développement dans des indications plus larges que l’obésité et le diabète laisse penser que, dès qu’un tissu possède des récepteurs du GLP1, on peut en attendre des effets bénéfiques.
Jusqu’ici, on dispose, ou on a étudié, soit des antalgiques ou des anti-inflammatoires sans effet sur le cartilage, soit des chondroprotecteurs sans effets sur la douleur. Ce serait peut-être la première fois qu’un médicament cible à la fois la douleur, par le biais de l’inflammation, mais aussi la structure du cartilage, pour le protéger et retarder la dégradation liée à l’arthrose.
Quel est le rôle de 4Moving Biotech ?
Devant les résultats expérimentaux très positifs des arGLP1, nous avons, Mme Revital Rattenbach et moi-même, cofondé en 2020 une start-up, 4Moving Biotech, uniquement dédiée aux meilleures solutions thérapeutiques aux patients atteints d’arthrose, issu des travaux de Sorbonne Université, de l’Inserm et de l’AP-HP, avec un conseil scientifique d’experts internationaux. Elle permettra en particulier de développer notre propre liraglutide destiné uniquement à l’usage intra-articulaire, qui sera utilisé pour les essais suivants.
(1) Meurot C et al (Oarsi et ACR, abstract ID: 1868548) ; Berenbaum F et al, Revue du Rhumatisme 2022(89)1:pA97
(2) Meurot C, https://theses.fr/2022SORUS412
(3) Bliddal H et al. N Engl J Med 2024;391:1573-83
(4) Hongyi Zhu et al. Ann Rheum Dis 2023 Sep;82(9):1218-26
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