La démocratie pour la dignité

Tous acteurs de son alimentation

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Publié le 27/02/2020
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Pour que les populations les plus vulnérables puissent prendre part aux décisions concernant l'accès à l'alimentation, une approche transversale – réunissant producteurs, transformateurs, distributeurs et mangeurs – s'impose.
Les bénéficiaires pensent  qu'ils servent de poubelle au système de production alimentaire français

Les bénéficiaires pensent qu'ils servent de poubelle au système de production alimentaire français
Crédit photo : phanie

En France, le dispositif législatif actuel concernant l'aide alimentaire date des années 1980, avec notamment la création des Restos du Cœur et de la Fédération des banques alimentaires. « Mais, à côté de ce modèle de distribution d'aide alimentaire, une part croissante de la population, consciente des enjeux de transition écologique, souhaite prendre la main sur les conditions de son alimentation. Cela en recourant notamment aux circuits courts de type Amap », souligne Dominique Paturel, chercheuse à l'Inra, UMR Innovation et développement dans l'agriculture et l'alimentation, pour qui notre société ne manque pas de paradoxes : « les agriculteurs, professionnels chargés de produire la nourriture en France, recourent aussi à l'aide alimentaire, faute de revenus. 30 % sont en situation de grande précarité ; ils perçoivent moins de 350 euros par mois. » Enfin, la valorisation du modèle alimentaire français, fondé sur la commensalité et le plaisir, se heurte aux messages de santé publique, qui opèrent une « nutritionnalisation » de l'alimentation.

Lors des États généraux de l'alimentation (EGA), l'atelier 12 a réuni des personnalités du monde agricole, des associations, des ONG, mais aussi des bénéficiaires de l'aide alimentaire autour d'une même table. « Cela aboutit à un ensemble de propositions pour lutter contre la précarité alimentaire, dont l’intégration d’un volet "Précarité alimentaire" dans les politiques nutritionnelles actuelles et dans les rapports de RSE des entreprises de l’agroalimentaire », note Dominique Paturel.

Une population captive

Entre 2009 et 2017, la France a connu une croissance exponentielle des bénéficiaires de l'aide alimentaire : de 2,6 millions à 5,5 millions de personnes. « Il s'agit d'une population captive qui reste de plus en plus longtemps en situation d'aide alimentaire. Il faut y ajouter les 4 millions de personnes, également en situation de précarité, mais ne souhaitant pas bénéficier de l'aide alimentaire. Cela pose la question suivante : notre objectif est-il d'avoir, à terme, près de 10 millions de personnes dans l'obligation d'accéder à l'alimentation via la politique d'aide sociale française (distribution de produit par les associations caritatives) ? N'y a-t-il pas d'autres solutions à imaginer pour faciliter l'accès des populations vulnérables à l'alimentation ? Le modèle à partir duquel l'aide alimentaire a été pensé est celui de la grande précarité. Or moins d'un million de personnes sont dans cette situation, et beaucoup ne souhaitent pas recourir à la distribution alimentaire pour manger », assure Dominique Paturel.

Car la question de la dignité humaine est essentielle. Les banques alimentaires accueillent les surplus des producteurs et de la grande distribution. « Nombre d'associations d'aide alimentaire passent leur temps à gérer les déchets et les invendus. Cette gestion du gaspillage doit-elle constituer ce qui doit nourrir les plus pauvres ? Malheureusement, les bénéficiaires d'aide alimentaire, avec qui nous nous sommes entretenus, pensent souvent qu'ils sont la "poubelle" du système de production alimentaire français », déplore Dominique Paturel.

Dans ces conditions, la démocratie alimentaire peut être une façon de faire avancer la question. Pour Tim Lang, chercheur britannique, elle permettrait aux populations de reprendre la main sur la façon dont elles veulent accéder à l'alimentation du pays où elles résident. « L'année dernière, dans le cadre d'un séminaire dédié à ce sujet, nous avons débattu de la question du droit à l'alimentation. Nous avons notamment mis en exergue la nécessité d'une approche transversale et systémique. Pour favoriser la démocratie alimentaire, producteurs, transformateurs, distributeurs et mangeurs devront, à l'avenir, travailler autour d'une même table et prendre des décisions partagées, bénéfiques à tous, notamment aux populations les plus vulnérables », indique Dominique Paturel.

exergue : Notre objectif n'est pas d'avoir 10 millions de personnes obligées de se nourrir via la distribution d'aide alimentaire

Cycle de conférences organisées par le Fonds français pour l'alimentation et la santé

Hélia Hakimi-Prévôt

Source : lequotidiendumedecin.fr