LA SÉCURITÉ des patients exige que toute nouvelle molécule soit soumise à surveillance en pré- et en post-marketing à la recherche de possibles effets indésirables, graves surtout, qui viendraient en faire arrêter ou grandement en restreindre l’usage. Ceci vaut dans le domaine du diabète pour la classe thérapeutique des incrétines, à savoir les inhibiteurs de la DPP4 et les agonistes du récepteur du GLP1.
Pour tout antidiabétique oral ou injectable, il y a aujourd’hui l’obligation de s’assurer de l’absence de surrisque cardiovasculaire, (voir mon article dans le supplément EASD 2013 du 4 novembre dernier). Ensuite, il existe de possibles effets indésirables propres à une classe. Concernant les incrétines en particulier, elles sont surveillées pour leurs possibles conséquences pancréatiques néfastes : pancréatite, cancer du pancréas et, à un bien moindre degré, cancer de la thyroïde. À cela plusieurs raisons.
Pancréas diabétiques.
D’abord, un tropisme du GLP1, peptide à la base ces thérapeutiques, pour le pancréas endocrine et exocrine – puisque des récepteurs y sont identifiés – avec un rôle trophique reconnu du GLP1 pour le tissu pancréatique dans son ensemble.
Toutefois, l’analyse des cas rapportés s’est heurtée d’emblée à des limitations. D’abord, ces pathologies pancréatiques sont plus fréquentes chez les diabétiques en général, quel que soit le traitement reçu. Ainsi, on note 50 % de plus de décès par cancers du pancréas chez les sujets porteurs d’un diabète (1). Ceci reste vrai une fois les facteurs confondants pris en compte : IMC, âge, tabac, alcool. Il en est de même pour les pancréatites (2).
Première alerte.
La première alerte sérieuse sur le risque pancréatique fut lancée peu après introduction des incrétines sur le marché aux États-Unis, en 2005 et 2006. Des cas de pancréatites aiguës furent rapportés, dont quelques décès de patients sous exenatide et sitagliptine et pour lesquelles aucune autre cause ne semblait retenue.
M. Elashoff et PC. Butler ont, en 2011, étudié la base de données de la FDA (Database US Food and Drug Administration de 2004-2011) concernant les deux incrétines (3). Il en ressortait des chiffres très préoccupants, puisque le risque de pancréatite sous ces deux molécules était multiplié par six, le risque de cancer du pancréas multiplié par deux à trois par comparaison au contrôle diabétique sans incrétine.
De même, un risque accru de cancer de thyroïde a été retenu alors.
Mais cette étude fut très critiquée pour des biais méthodologiques, au premier rang desquels une probable surdéclaration des événements indésirables graves « attendus ou surveillés », donc préspécifiés, qui faisaient l’objet d’une surveillance particulière et furent probablement plus rapportés par les médecins lorsque le sujet prenait une incrétine plutôt qu’un autre antidiabétique.
D’autres grandes études fondées sur des bases de données avaient précédé et n’avaient pas retrouvé de signal d’alarme (4).
La bombe.
Puis au printemps 2013 éclata « la bombe » : à savoir la publication des travaux d’anatomopathologiques d’Alexandra Butler et coll. (5), qui ne pouvaient que marquer les esprits et alarmer.
En effet, ce travail rapportait les données histologiques comparant des pancréas autopsiques de sujets diabétiques de type 2 (DT2), huit ayant reçu des incrétines, (exenatide ou sitagliptine principalement) et huit autres, dits contrôles, n’en ayant pas reçu.
Les DT2 qui avaient reçu des incrétines, même sur une courte durée, présentaient des anomalies aussi spectaculaires que préoccupantes : une augmentation de la masse pancréatique de 40 %, un accroissement par six de la masse bétacellulaire, par cinq de la masse alphacellulaire, et une co-expression d’insuline et de glucagon dans les mêmes cellules bien plus marquée que chez les sujets n’ayant pas eu d’incrétines.
Enfin, pour les DT2 sous incrétines, quatre sur huit, soit 50 %, avaient des micro-adénomes à glucagon dont un lié à une tumeur neuroendocrine.
Il fut retenu une augmentation de la réplication des cellules exocrines. L’augmentation de masse était accompagnée de prolifération des cellules exocrines qui étaient de plus, dysplasiques avec des aspects de néoplasie intraépithéliales. En somme des données accablantes !
Constitution des groupes.
Mais lorsqu’on se penche, comme l’a fait Steven Kahn (6), sur les caractéristiques des patients, on note que les deux groupes de DT2 étaient fort différents. Ceux sous incrétines étaient plus âgés – âge moyen 58 versus 40 ans –, il y avait 75 % d’hommes contre 28 % dans l’autre groupe.
Dans le groupe contrôle, cinq patients sur hui avaient été diagnostiqués comme diabétiques à l’âge de 20 ans et même avant, et deux étaient décédés d’acidocétose. De plus, quatre des huit DT2 du groupe contrôle étaient sous insuline en monothérapie (50 %) et quatre aussi avaient des auto-anticorps anti-îlots. Le tout laissa planer un doute sur le fait que, dans ce groupe, il se soit authentiquement agi de DT2.
Trop spectaculaire ?
Les différences constatées de masse pancréatique, en particulier endocrine, pourraient ainsi être interprétées tout autrement. En effet, s’il s’avère que le groupe « sans » incrétine est pour moitié des diabétiques de type 1 (DT1), la différence de masse s’explique alors sans que les incrétines y soient pour quelque chose !
Est-il possible que la situation préterminale des patients soit à l’origine de réplication de cellules de toutes sortes, comme cela a été montré par le groupe de D. Pipeleers chez 363 donneurs d’organes (7) ?
La fréquence des lésions pancréatiques dans cette série (un tiers des DT2 exposés) et la rapidité d’installation d’adénomes à glucagon est si spectaculaire et –puisqu’habituellement les tumeurs endocrines du pancréas sont très rares (0,0005 %)– ici si fréquente, qu’on aurait dû assister, avec plusieurs millions de DT2 exposés depuis 2005 et 2006, à une épidémie de telles tumeurs.
Sans compter les by-pass chirurgicaux, réalisés pour l’obésité avec ou sans DT2 : ayant comme conséquence de multiplier par trois au moins le taux circulant de GLP1, ils auraient dû, bien plus que les gliptines, avoir de même des conséquences mesurables en termes de santé publique.
En somme, la rapidité d’installation et la sévérité des anomalies notifiées ont laissé plus d’un analyste très perplexe.
Position actuelle… en attendant la suite.
Depuis, et lors du congrès de l’ADA et de l’EASD, de nouvelles données ont été rapportées et des sessions dédiées. À l’automne, les publications des études SAVOR (saxagliptine) et EXAMINE (allogliptine) ont rassuré sur le risque pancréatique ; le suivi médian n’était toutefois que de 2,1 années (8).
Des milliers d’autres sujets sont surveillés par des études post-marketing et nombre de données déjà poolées permettent de se faire une opinion à ce propos. Ainsi, Juris Meier à l’EASD 2013 de Barcelone, a fait une synthèse très mesurée, toute en nuance, dont on retiendra que les données actuelles ne plaident pas en faveur d’un surrisque pancréatique avec les incrétines. Certes on observe une tendance –un OR « vers la droite », voir tableau– donc vers surrisque, mais cette tendance est non significative. Dès lors, qu’en dire ? S’il s’agissait d’un bénéfice, il nous serait vite rétorqué que cela ne prouverait rien. J. Meier a insisté sur le fait que le risque de pancréatites est si faible qu’il faudrait aujourd’hui 38 000 sujets par groupe, suivis plusieurs années, pour monter une étude sérieuse.
Il y a néanmoins un rationnel, des liens possibles entre GLP1 et pancréatite, comme un flot pancréatique inhibé sous ce traitement, pouvant entraîner une fuite de lipase au niveau basolatéral, et le fait que la perte de poids, comme le GLP1, peut favoriser la constitution de lithiases biliaires, etc.
Conseils pratiques.
Au total, le message fut « rassurant mais prudent », accompagné de conseils pratiques précis et avisés :
1. pas d’incrétines s’il existe un antécédent personnel ou familial de pancréatite chronique ou aiguë ;
2. arrêt immédiat des incrétines en cas de pancréatite ;
3. mais pas de contre-indication s’il existe une hypertriglycéridémie, une lithiase biliaire ;
4. enfin, pas de surveillance des enzymes pancréatiques – lipase ou amylase – sous traitement, en l’absence de signes d’appel.
Cette position sera réévaluée après que les innombrables travaux en cours et analyses de grandes bases auront communiqué leurs résultats. Citons en particulier l’étude en cours comparant plusieurs bithérapies « GRADE Research Group: Rationale and design of the Glycemia Reduction Approaches in Diabetes » (9).
Les effets des uns… et des autres.
Je ne peux terminer sans aborder cette question sous un autre angle. Compte tenu de l’extrêmement faible incidence de ces événements pancréatiques, la plupart des très rares pancréatites aiguës se terminant bien, le problème demeure donc le cancer du pancréas. Et ainsi, en regard de ces effets nuisibles non démontrés et sinon exceptionnels, quels bénéfices pourraient apporter les incrétines ne serait-ce qu’en évitant des hypoglycémies sévères à risque létal ! Toutes ne se terminent pas mal non plus : certes, mais en 2009, parmi les DT2 hospitalisés aux États-Unis, plus de 9 274 sont décédés suite à des hypoglycémies sévères, dont une partie sous antidiabétiques oraux (10) ! Donc sortons nos balances pour peser les risques des uns et des autres. Ce serait justice.
* Endocrinologie, CHU de Grenoble.
(1) Seshasai SRK, Kaptoge S, Thompson A, et al. Diabetes mellitus, fasting glucose, and the risk of cause-specific death. A meta-analysis of 97 studies which have examined the risk of cancer in diabetes, provides risk estimates for various malignancies for cancer deaths and deaths because of vascular disease. N Engl J Med. 2011;364:829-41.
(2) Noel RA, Braun DK, Patterson RE, Bloomgren GL. Increased risk of acute pancreatitis and biliary disease observed in patients with type 2 diabetes : a retrospective cohort study. Diabetes Care 2009;32:834-8.
(3) Elashoff M, Matveyenko AV, Gier B, Elashoff B et Butler PC. Pancreatitis, pancreatic, and thyroid cancer with glucagon-like peptide-1-based therapies. Gastroenterology 2011;141:150-6.
(4) Dore DD, Seeger JD, Arnold Chan K. Use of a claims-based active drug safety surveillance system to assess the risk of acute pancreatitis with exenatide or sitagliptin compared to metformin or glyburide. Curr Med Res Opin 2009;25:1019-27.
(5) Butler AE, Campbell-Thompson M, Gurlo T, Dawson DW, Atkinson M, Butler PC. Marked Expansion of Exocrine and Endocrine Pancreas with Incretin Therapy in Humans with increased Exocrine Pancreas Dysplasia and the potential for Glucagon-producing Neuroendocrine Tumors. Diabetes 2013;62:2595-604.
(6) Kahn SE. Incretin therapy and islet pathology – a time for caution. Diabetes 2013;62(7): 2178-80.
(7) In’t Veld P, De Munck N, Van Belle K et al. béta-cell replication is increased in donor organs from young patients after prolonged life support. Diabetes 2010;59:1702-8.
(8) Scirica BM, Bhatt DL, Braunwald E, et at ; the SAVOR-TIMI 53 Steering Committee and Investigators. Saxagliptin and Cardiovascular Outcomes in Patients with Type 2 Diabetes Mellitus. N Engl J Med. 2013 (3) ;369:1317-26.
(9) Nathan DM, Buse JB, Kahn SE, Krause-Steinrauf H, Larkin ME, Staten MA, Wexler D, Lachin JM ;GRADE Research Group. Rationale and design of the Glycemia Reduction Approaches in Diabetes : A Comparative Effectiveness Study (GRADE). Diabetes Care 2013.
(10) Singh G et al. NIS hospitalisations in the US due to hypoglycemias in 2009 in type 2 DM. Poster EASD Berlin 2012.
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