La cirrhose compensée est largement sous diagnostiquée. La mise en place de mesures de prévention (règles hygiénodiététiques, traitements étiologiques, bêtabloquants non cardiosélectifs en cas d’hypertension portale) réduit le risque de décompensation, définie par la survenue d’une ascite, d’un ictère, d’une hémorragie digestive ou d’une encéphalopathie.
Décompensation aiguë ou non ?
Des concepts récents distinguent la décompensation non aiguë (apparition progressive d’une ascite, d’une encéphalopathie ou d’un ictère) et aiguë, dont la forme la plus sévère est désignée par l’acronyme ACLF (Acute on Chronic Liver Failure) [2]. Un facteur précipitant, telle qu’une infection bactérienne ou une hépatite alcoolique aiguë, est dans ce cas le plus souvent identifié. Il s’agit d’un tableau d’insuffisance hépatique aiguë dans un contexte d’inflammation systémique, de vasodilatation splanchnique et de défaillances d’organes associées. La mortalité précoce est élevée, variant entre 18 et 25 % pour les grades I et II (une ou deux défaillances d’organe) et de 68 à 89 % pour les grades III (au moins trois défaillances d’organe) [2].
Définir le pronostic individuel
Quel que soit le mode de présentation de la décompensation, il est essentiel d’établir précisément le pronostic des malades pour évaluer s’ils ont une chance de retour à un état de cirrhose compensée. À côté des scores de Child Pugh et MELD, la détermination de l’état nutritionnel, du degré de sarcopénie et le calcul de l’indice de fragilité appelé « frailty liver index » permettent d’affiner l’estimation du pronostic individuel. La possibilité d’un traitement étiologique (sevrage en alcool, antiviraux contre le virus de l’hépatite B ou C) doit également être prise en compte. En cas d’ACLF, le score CLIF-C ADs a une performance supérieure à ceux du Child-Pugh et du MELD. Il peut aussi aider au processus complexe de sélection des malades éligibles à la transplantation hépatique rapide (3). La décision de transplanter doit prendre en compte le risque de mortalité post-transplantation (qui s’accroit selon le nombre de défaillances d’organes), la disponibilité des greffons, et les aspects éthiques surtout en cas d’ACLF due à une hépatite alcoolique aiguë.
Des avancées thérapeutiques
En dehors de la transplantation et du traitement étiologique, de nombreux progrès thérapeutiques ont vu le jour ces dernières années, notamment en raison de nouveaux concepts et d’une meilleure utilisation de moyens existants. Selon les recommandations des Sociétés françaises d'hépatologie (AFEF) et d'anesthésie et de réanimation (SFAR) de 2018, la présence d’une cirrhose ne doit pas être un motif de refus d’admission en soins critiques. Il est recommandé de rechercher systématiquement une infection, en particulier du liquide d’ascite. En cas de sepsis, il convient de débuter précocement une antibiothérapie probabiliste, adaptée à l’écologie bactérienne locale et au caractère nosocomial ou non de l’infection. En effet, un retard de quelques heures entraîne un surcroît de mortalité.
L’albumine permet une expansion volémique efficace après ponction d’ascite de grand volume ou en cas d’infection d’ascite. Elle possède de nombreuses autres propriétés (transport des médicaments, immunomodulation) et une utilisation plus large, en particulier chez les malades ayant une ascite modérée, paraît être associée à un bénéfice en survie (4).
En cas d’ascite réfractaire, la mise en place d’un shunt portosystémique intra-hépatique par voie transjugulaire (TIPS) doit être envisagée. Cette procédure est également efficace en sauvetage, lors d’hémorragie réfractaire. Chez les malades les plus sévères (Child C) présentant une rupture de varice, un TIPS dit « pré-emptif » (posé dans les 72 heures après une hémostase endoscopique satisfaisante) améliore la survie (5).
Par ailleurs, la rifaximine, qui modifie le microbiote intestinal, est un traitement efficace de l’encéphalopathie hépatique et réduit le risque d’encéphalopathie post-TIPS (6).
Et à l’avenir ?
La prévention, c’est-à-dire la détection précoce de la cirrhose et la mise en place de mesures d’hépato-protection, sera essentielle. En cas de décompensation, les axes de recherche sont multiples : assistance hépatique (foie artificiel), régénération (thérapie cellulaire à base de cellule souche), traitements anti-inflammatoires (agonistes TLR 7 et 8, inhibiteurs de cytokines ou de la cyclo-oxygénase) … De nombreux essais cliniques sont déjà ouverts aux inclusions. L’espoir de progrès très significatifs pour nos malades, dont le pronostic reste aujourd’hui très sévère, est réel !
Hôpital Henri Mondor, UPEC, INSERM U955, Créteil
(1) Livre blanc de l’hépato-gastroentérologie, 2020
(2) D’amico G et al. J Hepatol 2021, Jun 19;S0168-8278(21)00438-4
(3) Trebicka J et al. J Hepatol 2020, Oct;73(4):842-54.
(4) Caraceni P et al. Lancet 2018, Jun 16;391(10138):2417-29
(5) Thabut D et al. J Hepatol 2017, Dec 14;68(1):73-81.
(6) Bureau C et al. Ann Intern Med 2021, May;174(5):633-40
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