L’automne 2023 et le début de l’année 2024 marqueront un tournant dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (Mici) avec l’arrivée de nouvelles biothérapies, dont la place reste encore à préciser. La classe des inhibiteurs oraux des Janus kinases (anti-JAK) s’étoffe : au troisième trimestre 2023, l’upadacitinib (anti-JAK1) devrait rejoindre le tofacitinib (anti-JAK1 et 3) et le filgotinib (anti-JAK1) dans la rectocolite hémorragique (RCH). Et cette molécule devrait être la première de la classe indiquée dans la maladie de Crohn (MC). « À partir du deuxième trimestre 2024, l’upadacitinib constituera potentiellement une nouvelle option thérapeutique dans les fistules anales associées à la MC, au vu des premières données d’efficacité satisfaisantes vis-à-vis des lésions anopérinéales », s’avance le Pr Mathurin Fumery (CHU d’Amiens).
L’autre grande nouveauté est l’accès, dès fin 2023-début 2024, aux premiers inhibiteurs sélectifs de la voie de l’IL-23. Le risankizumab sera indiqué dans la MC et le mirikizumab dans la RCH ; l’un et l’autre seront ultérieurement indiqués dans les deux pathologies. L’IL-23 joue un rôle central dans l’instauration et la perpétuation de l’inflammation intestinale, en stabilisant la différenciation des lymphocytes T vers un profil de sécrétion cytokinique Th17 à potentiel pro-inflammatoire.
Le risankizumab a démontré son efficacité en induction et en entretien chez les patients naïfs et en échec de précédentes biothérapies (1). Quant au mirikizumab, il affiche lui aussi des résultats prometteurs dans la RCH (essai Lucent 1). « Cette famille de molécules est très bien tolérée, souligne le Pr Fumery. Leur place dans l’arbre thérapeutique reste débattue, notamment par rapport à l’ustékinumab (anti-IL-12/IL-23). En dermatologie, l’efficacité des IL-23 dépasse largement celle des anti-IL-12/IL-23. À partir d’études chez l’animal, cibler plus spécifiquement l’IL-23 fait sens. Les anti-IL-23 seraient particulièrement intéressants chez les patients en échec des anti-TNFα, d’autant que ces nouvelles molécules seront prescrites en seconde ligne, quoi qu’il arrive. »
Des précisions seront apportées prochainement par l’essai Sequence, qui compare le risankizumab à l’ustékinumab dans la MC. Divers essais face à face sont en cours, portant également sur le mirikizumab et le guselkumab (anticorps monoclonal dirigé contre l’IL-23). Ce dernier est évalué en phase 3 dans la RCH et la MC, avec des premiers résultats positifs dans la RCH. Dans les formes modérées à sévères, les résultats de phase 2b avaient déjà obtenu un différentiel de réponse clinique de 30 % sous guselkumab 200 et 400 mg à la semaine 12 par rapport au placebo (61,4 et 60,7 % vs 27,6 % ; p < 0,001).
Des essais de stratégies vont devoir être menés pour définir les meilleures séquences de traitement. C’est d’ailleurs la question posée par l’essai multicentrique randomisé français Starter dans la RCH modérée à sévère (coordonné par le Pr Antony Buisson, Clermont-Ferrand) et qui doit débuter fin 2023 grâce au Getaid.
Arrivée des combiothérapies
Fin 2022, le concept de combiothérapie (combinaisons de biothérapies ou associations biothérapies/anti-JAK) s’est concrétisé grâce à l’étude Vega (2) dans la RCH modérée à sévère chez des patients naïfs de traitements biologiques. Elle comparait l’anti-TNFα golimumab, l’anti-IL-23 guselkumab et l’association des deux. À la semaine 12, le double blocage de l’IL-23 et du TNFα induisait plus efficacement une réponse et une rémission clinique, une amélioration endoscopique et des résultats composites histologiques-endoscopiques que l’une ou l’autre monothérapie seule, sans signal en termes de tolérance.
De plus, en phase d’entretien, le guselkumab auquel on a retiré le golimumab faisait mieux que le guselkumab qui avait été en monothérapie en induction. Un espoir pour enfin percer le plafond de verre de l’efficacité ? « L’étude Vega apporte une preuve de concept mais cette piste est à confirmer, explique le Pr Fumery, et, surtout, le mécanisme à préciser, ainsi que la tolérance à long terme, car il semblerait que ce soit bien plus complexe qu’un simple effet additif. »
Ces avancées thérapeutiques permettent d’ores et déjà de formuler des objectifs plus ambitieux. Les recommandations internationales Stride-II ouvrent la porte à des cibles thérapeutiques comme la cicatrisation transmurale dans la MC et la cicatrisation histologique dans la RCH, au-delà de la rémission clinique et la cicatrisation muqueuse utilisées aujourd’hui (3). « Ces objectifs ultimes, encore exploratoires, pourraient être visés pour un nombre croissant de patients à l’avenir », annonce le spécialiste.
À noter qu’en parallèle, la prise en charge est de plus en plus holistique, grâce au concours des infirmières de coordination, des diététiciens, des psychologues et de l’ETP. Cette dynamique va dans le sens des recommandations Stride-II, qui demandent de prendre en compte la qualité de vie et le handicap du patient dans la conduite thérapeutique.
(1) Ferrante M et al. Lancet. 2022 May 28;399(10340):2031-46
(2) Feagan BG et al. Lancet Gastroenterol Hepatol. 2023 Apr;8(4):307-20
(3) Turner D et al. Gastroenterology. 2021 Apr;160(5):1570-83
L'incidence se stabilise en France
D’après les données du registre Epimad (en cours de publication), l’incidence des Mici semble s’être stabilisée en France, après une phase de forte croissance. Leur prévalence devrait donc continuer à croître au cours des prochaines décennies, avant de se stabiliser. D’ici à 10 ans, 0,6 à 0,7 % de la population française souffrirait d’une Mici (jusqu’à 1 % dans les pays scandinaves et au Canada !).
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