EN FRANCE, le taux de prématurité avoisine 7 % des naissances, soit plus de 50 000 nouveaux prématurés par an. Une naissance est dite prématurée lorsqu’elle survient avant 37 semaines d’aménorrhée (SA). La population des prématurés est très hétérogène : elle comprend des enfants dont l’âge gestationnel varie de 24 à 36 SA, et dont le poids de naissance se situe entre 400 g et plus de 2 kg. Plus le terme de naissance est précoce, plus les comorbidités sont nombreuses. Ainsi, 10 % des prématurés présenteront une hernie inguinale, mais l’incidence atteint 38 % chez les enfants nés à moins de 1 000 g.
Chez les enfants nés à terme, la chirurgie ambulatoire est actuellement envisageable en France à partir de 3 mois de vie, bien que de nombreux centres ne la proposent qu’à partir de 6 mois. Jusqu’à présent, la prématurité est un critère contre-indiquant l’ambulatoire avant l’âge de 60 semaines postconceptionnelles (SPC = terme de naissance + âge civil). Un enfant né à 36 SA atteint 60 SPC lorsqu’il est âgé de 5 mois et demi. À l’opposé, un enfant né à 24 SA n’atteint 60 SPC qu’à l’âge de 8 mois et demi. Récemment, devant la fréquence et la bénignité de la hernie inguinale du prématuré, il a été proposé de réexaminer les critères d’éligibilité à la prise en charge ambulatoire. Certaines structures envisagent d’opérer des anciens prématurés âgés de moins de 60 SPC en hôpital de jour… mais est-ce bien raisonnable ?
Un risque d’apnées fonction du terme et des comorbidités.
Le principal risque connu dans les 24 premières heures postopératoires pour les anciens prématurés de moins de 60 SPC est la survenue d’apnées, de composante à la fois centrale et obstructive. Ces apnées font craindre une hypoxémie, une bradycardie, voire un arrêt cardiorespiratoire.
Le seuil de 60 SPC est issu de la méta-analyse réalisée par C. J. Coté en 1995 (1), qui chiffrait le risque d’apnées postopératoires chez les anciens prématurés après une anesthésie générale. Le risque était d’autant plus élevé que le terme de naissance était précoce, que l’âge postconceptionnel était bas, et que les comorbidités étaient importantes. Ainsi, en considérant la limite supérieure de l’intervalle de confiance, pour les enfants nés à 32 SA, le risque d’apnées postopératoires devenait inférieur à 1 % à partir de 56 SPC. Pour les enfants nés avant 32 SA, cette limite de risque était modélisée à 60 SPC. Cependant, depuis les années 1990, les données du problème ont évolué. Tout d’abord, nous prenons en charge des patients de plus en plus jeunes, souvent nés à moins de 30 SA. Ensuite, parmi les agents anesthésiques les plus fréquemment utilisés dans ces études, on trouve l’halothane, le thiopental et le pancuronium, qui ont aujourd’hui cédé la place à des produits dont les durées d’action sont bien moindres. Enfin, le niveau de risque acceptable se situe actuellement bien en deçà de 1 %. Il semble difficile de se baser sur cette méta-analyse pour structurer nos pratiques en 2013.
Par la suite, avec l’essor de la rachianesthésie, la question s’est posée de savoir si cette technique permettait de diminuer l’incidence des apnées postopératoires. La méta-analyse de la Cochrane, publiée en 2003 par Craven (2), concluait en effet à une moindre incidence d’apnées après rachianesthésie, si on excluait de l’analyse les patients ayant reçu un sédatif. Mais là encore, les 3 seules études inclues dans la méta-analyse étaient antérieures à 2001, utilisaient des agents anesthésiques anciens, et ne portaient au total que sur 99 patients. Les auteurs de ces études précisent que leurs résultats, bien qu’encourageants, ne permettent pas réellement de conclure, et continuent de préconiser au moins 12 heures de surveillance quelle que soit la technique anesthésique utilisée.
L’une des publications qui ont fait évoquer l’ambulatoire pour les hernies inguinales des anciens prématurés est probablement la revue de Walther Larsen (2006) (3). Les auteurs y proposent un algorithme de surveillance postinterventionnelle, où l’on peut lire que les prématurés âgés de 46 à 60 SPC ne nécessitent que 6 heures de monitoring, soit une durée compatible avec l’ambulatoire. Mais là aussi, les 3 études référencées pour la conception de cet algorithme sont antérieures à 1998, de méthodologies imprécises, et retrouvent tout de même des taux d’apnées allant de 1 à 4 %.
Au total, les connaissances issues des études antérieures à 2001 ne nous permettent pas de formuler de recommandations fermes et sécuritaires pour la surveillance postopératoire des anciens prématurés.
Les études plus récentes, utilisant des protocoles d’anesthésie plus modernes, n’ont encore fait l’objet d’aucune méta-analyse. Après anesthésie générale, l’incidence des apnées varie de 1 à 11 % (4-7). Elles surviennent entre la sortie de SSPI et la 21e heure postopératoire. Même lorsque l’AG était réalisée sans morphinique, avec du sévoflurane et un bloc ilio-inguinal, le taux d’apnées atteignait 5,5 % (8). Certes, ces patients étaient âgés de moins de 49 SPC, et souffraient de comorbidités parfois lourdes. Après rachianesthésie isolée, l’incidence des apnées varie de 4 à 7 % (4,5,9,10). Enfin, une étude sur la caudale vigile (9) rapporte 8,9 % d’apnées chez des prématurés opérés avant 51 SPC.
Au total, pour ce qui concerne l’évaluation actuelle du risque d’apnées survenant après la sixième heure postopératoire chez les anciens prématurés, les données, même récentes, ne permettent pas d’avancer de chiffre précis. Tout au plus peut-on dire que ce risque n’est pas nul, quelle que soit la technique d’anesthésie utilisée. Si la question de l’ambulatoire peut être posée pour les anciens prématurés âgés de plus de 46 SPC et ne présentant aucune comorbidité, nous ne disposons à ce jour d’aucune étude suffisamment puissante et centrée sur ce sous-groupe de patients pour évaluer précisément la morbidité postopératoire. Un risque imprécis est-il aujourd’hui un risque acceptable ? Probablement pas.
Prendre en compte l’angoisse des parents.
D’autres questions sont à envisager avant de diriger les anciens prématurés vers les structures de chirurgie ambulatoire. Tout d’abord, d’un point de vue médico-économique, la gestion de la structure d’hospitalisation doit être optimisée. En effet, le basculement d’un patient d’un lit d’hospitalisation conventionnelle (HC) vers un lit d’hôpital de jour n’est rentable que dans deux cas de figure : le lit d’HC ainsi libéré doit à nouveau être occupé par un autre patient, ou bien il doit être fermé, en fonction des flux de patients drainés par l’établissement. Mais remplir un lit d’ambulatoire en laissant un lit d’HC ouvert et vide ne permet pas à la structure de soins de faire des économies.
Enfin, du point de vue des familles, il est loin d’être évident qu’un séjour ambulatoire soit l’option la plus appréciée. Dans beaucoup de ces familles, la naissance prématurée et le séjour en néonatologie constituent un véritable traumatisme. Les nourrissons sont considérés comme fragiles par leur entourage familial, et toute pathologie, aussi bénigne soit-elle, est génératrice d’angoisses. Pour un certain nombre de parents, passer la première nuit postopératoire sous surveillance médicale est probablement plus rassurant que de rentrer à la maison avec une liste de consignes motivant un retour aux urgences… mais cet aspect de la question n’a jamais été formellement étudié. Des enquêtes menées directement auprès des parents permettraient sans aucun doute d’enrichir les débats.
Ainsi, en attendant la publication de données solides concernant la sécurité et le vécu d’une éventuelle gestion ambulatoire de leur chirurgie de hernie inguinale, il semble plus prudent de maintenir les recommandations actuelles et de surveiller au moins 12 heures en milieu hospitalier les anciens prématurés jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de 60 semaines postconceptionnelles.
Médecin anesthésiste-réanimatrice, hôpital Armand-Trousseau, Paris.
(1) Coté CJ, Zaslavsky A, Downes JJ et al. Postoperative apnea in former preterm infants after inguinal herniorrhaphy. A combined analysis. Anesthesiology. 1995 Apr;82(4):809-22.
(2) Walther-Larsen S, Rasmussen LS. The former preterm infant and risk of post-operative apnoea: recommendations for management. Acta Anaesthesiol Scand. 2006 Aug;50(7):888-93.
(3) Craven PD, Badawi N, Henderson-Smart DJ et al. Regional (spinal, epidural, caudal) versus general anaesthesia in preterm infants undergoing inguinal herniorrhaphy in early infancy. Cochrane Database Syst Rev. 2003;(3):CD003669.
(4) Kim J, Thornton J, Eipe N. Spinal anesthesia for the premature infant: is this really the answer to avoiding postoperative apnea ? Paediatr Anaesth. 2009 Jan;19(1):56-8.
(5) Davidson A, Frawley GP, Sheppard S et al. Risk factors for apnea after infant inguinal hernia repair. Paediatr Anaesth. 2009 Apr;19(4):402-3.
(6) Laituri CA, Garey CL, Pieters BJ et al Overnight observation in former premature infants undergoing inguinal hernia repair. J Pediatr Surg. 2012 Jan;47(1):217-20.
(7) Murphy JJ, Swanson T, Ansermino M et al. The frequency of apneas in premature infants after inguinal hernia repair: do they need overnight monitoring in the intensive care unit ? J Pediatr Surg. 2008 May;43(5):865-8.
(8) Thong SY, Lim SL, Ng AS. Retrospective review of ilioinguinal-iliohypogastric nerve block with general anesthesia for herniotomy in ex-premature neonates. Paediatr Anaesth. 2011 Nov;21(11):1109-13.
(9) Shenkman Z, Erez I, Freud E et al. Risk factors for spinal anesthesia in preterm infants undergoing inguinal hernia repair. J Pediatr (Rio J). 2012 May;88(3):222-6.
(10) Hoelzle M, Weiss M, Dillier C et al. Comparison of awake spinal with awake caudal anesthesia in preterm and ex-preterm infants for herniotomy. Paediatr Anaesth. 2010 Jul;20(7):620-4.
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