LE QUOTIDIEN : À l’horizon 2030, quelles évolutions médico-techniques pourraient intégrer la recherche ?
Pr ROBERT BENAMOUZIG : Les avancées majeures sont multiples : la génération de données – biologiques, radiologiques, etc. – massives, la recherche de polymorphismes favorisée par la généralisation du séquençage à haut débit du génome humain et celui du microbiote, mais aussi l’organisation de bases de données médico-administratives de type système national des données de santé (SNDS) et leur exploitation, rétrospective comme prospective, au moyen de logiciels d’intelligence artificielle, permettront, à une échéance de moins de cinq ans, de formuler des prédictions concernant les pathologies, les thérapeutiques et la prévention.
Un exemple parmi d’autres auquel je coopère, le projet French Gut, vise à collecter, dès ce mois d’octobre, 100 000 échantillons pour cartographier le microbiote intestinal et repérer les associations dysbioses-pathologies. Ce projet illustre en outre l’évolution de l’architecture de la recherche médicale. Si la recherche clinique traditionnelle reste essentielle, une autre méthodologie, purement électronique, se développe, qui met patients et chercheurs en contact direct, dans le cadre des maladies rares, notamment. Des cohortes de patients de type ComPaRe émergent : c’est le concept de science participative, fondée sur le binôme citoyen-chercheur.
Et dans le domaine du soin ?
La technologie évolue aussi dans les domaines de la robotique, avec par exemple la dissection sous-muqueuse endoscopique, dans les nanotechnologies, qui permettent la vectorisation de principes actifs, ou encore avec la multiplication des immunothérapies dans la pathologie dysimmunitaire et néoplasique.
Globalement, l’hépato-gastroentérologie est dynamique dans le domaine de la recherche scientifique biomédicale, à la pointe des évolutions technologiques qui intègrent déjà l’intelligence artificielle. Encore faut-il, notamment en endoscopie, que cette technologie soit implémentée, ce qui est loin d’être le cas en France pour des raisons de valorisation. La généralisation de l’endoscopie assistée par l’IA est l’enjeu des prochaines années.
Quelles perspectives entrevoyez-vous concernant l’organisation professionnelle ?
Il est probable que nous relirons ces lignes dans une dizaine d’années en portant un regard critique ou amusé. Mais il est certain que, pour relever tous ces défis, les quelque 4 000 hépato-gastroentérologues (HGE) français ne seront pas suffisants (1). 44 % des gastro-entérologues étaient âgés de plus de 55 ans en 2018 ; des « déserts gastro-entérologiques » existent déjà. L’augmentation significative du nombre d’hépato-gastroentérologues en formation est une nécessité.
Les dix ans qui viennent seront particulièrement difficiles. En formulant l’hypothèse d’un nombre stable de nouveaux entrants, les extrapolations évaluent à 5 % l’augmentation du contingent d’HGE entre 2018 et 2028, soit 0,5 % par an. Toutefois, compte tenu de la pyramide des âges, si le taux de renouvellement reste identique, il est probable que leur nombre diminue au-delà de 2028.
En parallèle, les projections chiffrent une augmentation de 40 %, 23 % et 8 % pour les pathologies digestives chroniques en lien respectivement avec la nutrition, les Mici et les cancers digestifs. Il est aussi prévu, entre autres, que le nombre de cirrhoses triple d’ici 2030. L’incidence des pathologies hépatiques secondaires à l’obésité et au syndrome métabolique ne cesse aussi d’augmenter.
Comment pourrait-on imaginer la consultation du futur ?
Toutes ces évolutions entraînent un bouleversement de notre organisation des soins, avec plus de travail en réseau. On pourrait imaginer très rapidement l’emploi d’outils électroniques de préconsultation, débouchant sur un diagnostic et la prescription de thérapeutiques ou d’explorations complémentaires. Cette préconsultation serait suivie d’une consultation de validation par le spécialiste. Du fait d’une participation de plus en plus active des patients dans la décision de soins, ce moment serait alors plutôt une discussion portant sur les options proposées par l’outil d’intelligence artificielle. En dehors, peut-être, des suivis sans problème particulier, où la délégation de tâche aurait alors tout son intérêt.
(1) Livre blanc de l’hépato-gastroentérologie, 2020
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