Le microbiote intestinal (MI) représente une extraordinaire biodiversité, puisqu’il se compose de 1013 bactéries, soit autant que le nombre de cellules du corps humain. Le compartiment bactérien est le mieux connu mais on a beaucoup à apprendre sur les autres micro-organismes et les interactions entre eux, comme les phages dirigés contre les bactéries.
Chaque être humain a son propre microbiote, c’est-à-dire qu’il existe un « core » commun, avec des variations individuelles qui rend chaque microbiote unique. Pratiquement inexistant à la naissance, le MI va se constituer en quelques mois jusqu’à former ce système spécifique qui s'avère relativement stable dans le temps. « Le fonctionnement de l’organisme est régi par les interactions entre ses cellules et ses gènes, mais il faut prendre aussi maintenant en compte cet élément extérieur qu’est le microbiote, ce « non soi » qui va moduler de nombreux métabolismes », déclare le Pr Seksik (hôpital Saint-Antoine, Paris).
La dysbiose, un large champ d’études
Parmi les différents micro-organismes du MI, les bactéries sont les mieux connues, dont plus de 70 % ne peuvent être étudiées par les méthodes classiques de culture. C’est la biologie moléculaire qui a permis de les recenser puis de les caractériser. Après avoir analysé les populations bactériennes dans divers contextes physiologiques, on a pu mettre en évidence des modifications dans la composition du MI au cours de certaines situations pathologiques. « Il faut cependant nuancer ces données, car en l’absence d’accord sur la structure d'un MI sain, il est difficile de parler d’anomalies. Cependant dans des modèles animaux on a montré que des MI particuliers sont associés au développement de certaines pathologies et surtout que la restauration d’un MI pouvait donner de bons résultats thérapeutiques », avertit le gastro-entérologue. Les anomalies observées sont quantitatives et qualitatives, avec à la fois une perte de la biodiversité par la disparition d’une ou plusieurs populations bactériennes et l'expansion d’autres groupes bactériens. Ce déséquilibre altère la coopération des bactéries entre elles et cause de potentielles dysfonctions.
Chez les personnes atteintes de maladie chronique, la dysbiose se caractériserait non seulement par la perte de la diversité mais aussi par l’instabilité du MI, témoignant d’une moindre résilience. Ainsi, les antibiotiques modifient le MI, mais s'il revient normalement à son état antérieur, ce n'est pas le cas dans la dysbiose chronique ; celle-ci va probablement s'aggraver, pouvant entraîner une poussée ou une aggravation de la maladie.
Le microbiote dans tous les domaines
La dysbiose est impliquée dans de nombreuses maladies digestives : MICI, maladie cœliaque, colites, mais aussi NASH, stéatose, cirrhose, cancer du foie, etc. Elle a surtout été décrite dans les MICI, et l’analyse du microbiote devrait rapidement permettre d’identifier les signatures de ces maladies même si ce n’est pas encore utilisable en pratique.
« Les anomalies du MI participeraient aussi au processus de cancérisation de l’épithélium colique ou rectal. En association avec certains facteurs environnementaux et génétiques, ces anomalies contribueraient à réduire la capacité de réparation des cellules épithéliales, favorisant à long terme leur cancérisation. On a montré chez des animaux prédisposés que la transplantation du MI d’un sujet atteint de cancers coliques provoque rapidement l’apparition de tumeurs coliques », explique le spécialiste.
Le MI est aussi impliqué dans les maladies métaboliques -surpoids, obésité-, dans l’immunité en favorisant les pathologies inflammatoires rhumatologiques, cutanées, voire neurologiques comme la SEP. On sait qu’après une chirurgie bariatrique, les résultats spectaculaires ne sont pas uniquement liés à l’action mécanique du by-pass mais aussi médiés par les modifications du MI.
L'axe tube digestif/cerveau est au centre de toutes les attentions, les dysbioses pouvant potentiellement être impliquées dans des troubles du comportement, de l’humeur, les performances et certaines maladies comme l’autisme. Le fonctionnement de cet axe intestin/cerveau relève de divers mécanismes, directement liés au passage de la barrière hémato-encéphalique par des métabolites agissant comme des neurotransmetteurs ou, indirectement, par le biais de leur action sur certains centres neurologiques.
« Et les découvertes ne s’arrêtent pas là, puisqu’on découvre aussi maintenant le microbiote cutané, vaginal, buccal, etc. avec des liens entre eux qu’ils restent à explorer ».
Des voies de recherche thérapeutique
Sur le plan thérapeutique, tout l’enjeu est de restaurer l’eubiose afin de prévenir l’apparition ou l’aggravation de certaines pathologies.
Avant d’envisager d’intervenir sur le MI, il est nécessaire d'explorer les mécanismes déclencheurs de la maladie. Actuellement, seule la transplantation fécale permet de restaurer l’eubiose, sans qu’on en connaisse exactement les mécanismes moléculaires. Chez l’homme, elle donne d'excellents résultats dans les infections à Clostridium difficile, y compris chez les patients prédisposés à la récidive. Son utilisation dans le domaine des MICI reste actuellement du domaine de la recherche mais s'avère prometteuse.
Les probiotiques pourraient aider à restaurer certaines fonctions du MI mais leur efficacité n'est pas probante. L’analyse précise des perturbations du MI associées à certaines pathologies pourrait amener à développer des probiotiques de nouvelle génération plus ciblés. On pourrait aussi envisager de moduler le MI soit par l’alimentation, soit par des antibiotiques très spécifiques d’une population bactérienne, soit par des phages, virus tueurs de bactéries. Autres intéressantes pistes de recherche, l’utilisation des métabolites produits par le MI, comme la MAM (molécule anti-inflammatoire du microbiote), le tryptophane, les acides biliaires, etc. impliqués dans certaines fonctions et potentiellement modifiés par la dysbiose. On a aussi mis en évidence dans le MI certains biomarqueurs : la réponse aux chimiothérapies varie en fonction du MI ce qui pourrait faire envisager de le moduler chez les personnes non répondeuses, voire de choisir le traitement en fonction du MI.
D’après un entretien avec le Pr Philippe Seksik, service de gastroentérologie et nutrition (hôpital Saint-Antoine, Paris)
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