« La consommation excessive d'alcool est la principale cause de cancer du foie, rappelle la Pr Jessica Zucman-Rossi. En France, l'alcool est à lui seul responsable de la moitié des cancers hépatiques, loin devant l'hépatite C, en recul, responsable d'environ 15-20 % des cas. Quant à la prévalence des cancers hépatiques liés à la NASH, elle va croissant mais reste encore faible. Néanmoins, tous les gros buveurs ne développent pas de tumeurs ».
En effet, la toxicité de l'alcool sur le foie est le fruit de plusieurs mécanismes : une réduction de la longueur des télomères (3), une toxicité directe sur l'hépatocyte, l'induction de variants génétiques (mutation) somatiques et un impact épigénétique. « C'est pourquoi on sait distinguer par analyse génomique (recherche des variants), sans même connaître l'alcoolisme éventuel du sujet, les hépatocarcinomes liés à l'alcool des autres. Ils sont en effet associés à une " signature" génomique caractéristique », révèle la Pr Zucman-Rossi.
Un quatrième variant identifié
« Trois variants communs des gènes (PNPLA3, TM6SF2 et HSD17B13) sont connus pour majorer le risque d'hépatocarcinome chez les patients alcooliques, explique la directrice du centre de recherche des Cordeliers. Ce sont aussi des variants impliqués dans la sévérité de la NASH. Nous venons de mettre en évidence un quatrième locus associé, dans sa version (allèle) minoritaire, à un effet protecteur de la survenue de ces tumeurs du foie ». L'allèle minoritaire de ce locus WNT3A-WNT9A-rs708113 (T) est en effet associé à une protection vis-à-vis de l'hépatocarcinogenèse chez les sujets d’origine européenne ayant une consommation excessive d’alcool. Ainsi, les patients porteurs de variations génétiques particulières au niveau des gènes WNT3A-WNT9A ont moins de risque de développer un CHC lié à la consommation chronique d’alcool (plus de quatre verres par jour). Ce variant serait retrouvé dans un tiers des cas.
« Cet allèle est en revanche sans effet sur la survenue et la sévérité de la maladie chronique du foie liée à l'alcool », ajoute la Pr Zucman-Rossi. Il n'exerce pas non plus d'action protectrice vis-à-vis des hépatocarcinomes liés à d’autres facteurs de risque, comme les infections virales.
La première étude d'association pangénomique menée sur le sujet
La mise en évidence de ce locus est le fruit d’une étude cas contrôle pangénomique d'association (Genomic Wide Association Study, GWAS). Elle s'est attachée à comparer, sans a priori, le génome de milliers d'individus ayant en commun une consommation excessive d'alcool. Il s’agit d’une cohorte européenne de 4 000 adultes recrutés dans plusieurs CHU français et belges. Depuis le recrutement (1993 à 2017), 775 patients ont développé un hépatocarcinome. Ils ont été comparés à 1 330 cas contrôles n’ayant pas eu de cancer du foie. Sur les presque huit millions de variants testés, un nouveau locus (A-WNT9A-rs708113 ; p = 1,1.10-9) a été identifié comme lié au risque d'hépatocarcinome. Dans cette étude, ont été validés les locus déjà connus pour majorer le risque : TM6SF2 (rs58542926, p = 6.10-10), PNPLA3 (rs7388409 ; p = 9.10-7) et HSD17B13 (rs72613567 ; p = 2,5.10-4).
Dans la cohorte de validation comprenant 874 cas appariés à 1 060 contrôles, les quatre variants ont été validés : WNT3A-WNT9A, TM6SF2, PNPLA3 et HSD17B13. « Tous les quatre sont significatifs quand on fait une méta-analyse des deux cohortes, même après ajustements sur les items cliniques. Ils exercent en outre un effet additif », souligne la Pr Zucman-Rossi. En effet, la présence simultané de variants à risque au niveau de ces quatre gènes accroisait le risque de CHC lié à l’alcool.
Vers une meilleure compréhension du risque individuel d’évolution tumorale
« Notre travail a mis en évidence un nouveau locus, non pas de susceptibilité, mais de protection vis-à-vis des hépatocarcinomes chez les patients consommateurs excessifs d’alcool, relève la chercheuse. Sur le plan clinique, cette découverte pourrait permettre de mieux connaître le risque individuel d'évolution vers un cancer. Elle pourrait aussi à l'avenir permettre de mieux personnaliser les traitements des hépatocarcinomes liés à l'alcool ».
« Enfin, sur le plan fondamental, l'emplacement de ce variant, à cheval sur deux locus connus pour participer à la voie des Wnt-bêta-caténines, suggère que cette voie joue un rôle précoce dans la carcinogénèse hépatique liée à l'alcool. Il est d'ailleurs intéressant de noter que cet allèle minoritaire " protecteur" est associé sur les coupes histologiques de foie à une augmentation des cellules immunes et une réduction des mutations somatiques tumorales de type CTNNB1 chez les sujets ayant développé un hépatocarcinome », divulgue la Pr Zucman-Rossi.
D'après un entretien avec la Pr Jessica Zucman-Rossi (directrice du centre de Recherche des Cordeliers, université de la Sorbonne, INSERM, Paris )
(1) Trépo E et al. Common genetic variation in alcohol-related hepatocellular carcinoma: a case-control genome-wide association study. Lancet Oncol 2021; DOI:https://doi.org/10.1016/S1470-2045(21)00603-3
(2) Stickel F, Hampe J. Rs708113 in WNT3A-WNT9A and hepatocellular carcinoma risk. Lancet Oncol 2021;DOI:https://doi.org/10.1016/S1470-2045(21)00663-X
(3) Ningarhari M et al.Telomere length is key to hepatocellular carcinoma diversity and telomerase addiction is an actionable therapeutic target. Journal of Hepatology 2021;74:1155-66.
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