LE QUOTIDIEN : Pourquoi êtes-vous opposé à l’allongement du délai légal de 14 à 16 semaines d’aménorrhée ?
PR AUBERT AGOSTINI : Je ne suis pas opposé à l’allongement du délai de l’IVG en tant que citoyen, c’est-à-dire décider jusqu’à quel terme une femme a le droit d’interrompre sa grossesse. Je suis opposé à ce qu’on utilise des arguments médicaux pour expliquer cet allongement du délai. C’est principalement pour cette raison que le CNGOF s’est opposé à ce qu’on justifie l’allongement du délai, au lieu de régler des problèmes plus importants, que sont la difficulté d’accès aux soins, le manque de soignants, de leur formation, l’obligation des structures publiques à mettre en place une offre de soins adaptée et la valorisation des soins liés à l’IVG. Le débat sur le délai est donc totalement biaisé, non seulement car il est faussement argumenté pour raisons médicales, mais aussi parce qu’il prive l’ensemble de la société de discuter sereinement de cette question, qui concerne le citoyen et non le médecin. Dans les pays où se pratique l’avortement, les délais peuvent varier de 10 à 24 semaines d’aménorrhée (SA), preuve que cette question relève avant tout d’un choix de société.
Concrètement, que faudrait-il faire pour permettre aux femmes d’avoir plus facilement recours à l’IVG ?
Il me semble qu’il faudrait déjà faire respecter les lois existantes, en contrôlant davantage ce qui se passe dans les services de gynécologie et d’obstétrique des hôpitaux, comme c’est le cas par exemple pour la cancérologie. Aujourd’hui, les agences régionales de santé (ARS) n’ont pas le pouvoir de regarder si les hôpitaux tiennent leurs obligations en matière d’IVG : ce n’est pas normal. C’est comme ça qu’on se retrouve avec de fortes disparités territoriales, avec des zones géographiques importantes où aucune structure hospitalière ne pratique l’IVG. Il faudrait donc que les services de gynécologie et d’obstétrique aient une obligation de réalisation.
Un autre argument avancé par le CNGOF pour contester l’allongement du délai légal est le fait que les médecins ne souhaiteront pas le pratiquer à 16 semaines. Est-ce pour des questions de complexité du geste ?
Non, le geste n’est selon moi pas plus compliqué à 16 SA qu’à 14, il s’agit d’une question de formation. Il me semble que souligner la potentielle désaffection des professionnels de santé est surtout une façon de montrer notre opposition à cette disposition, de marquer notre désaccord car, une fois de plus, elle ne règle rien et n’améliorera pas la situation des femmes. Ce qui est important, pour les femmes, c’est que l’IVG soit réalisée rapidement une fois qu’elles ont fait leur choix. En effet, lorsqu’une IVG est faite tôt, la femme a davantage le choix de la méthode, du lieu et du moment où elle veut la réaliser. En revanche, quand elle est faite tardivement, plus elle est difficile à organiser.
Il est également question d’étendre la pratique de l’IVG instrumentale aux sages-femmes. Quelle est votre position sur le sujet ?
Le CNGOF émet une position très favorable sur cette disposition, à condition bien sûr que les expérimentations menées soient concluantes. En effet, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 prévoit déjà cette extension aux sages-femmes en établissement de santé, dans le cadre d’une expérimentation pour trois ans, sous réserve du suivi d’une formation complémentaire spécifique et d’une pratique suffisante. Si les résultats sont satisfaisants, cela pourrait se généraliser à partir de 2022. Une dynamique validée par le CNGOF, d’autant plus qu’elle devrait permettre d’avancer sur la question de l’accessibilité.
La proposition de loi prévoit également la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG. Êtes-vous favorable à cette disposition ?
Contrairement à ce que pense parfois le grand public, la clause de conscience n’est pas uniquement réservée à la pratique de l’IVG. Tout médecin a le droit de refuser de s’occuper d’un patient en dehors de l’urgence, sans que le pronostic de ce patient soit modifié par un retard de prise en charge s’il est correctement orienté vers un confrère. La clause de conscience peut donc s’appliquer à tous les soins non urgents, qu’il s’agisse d’une IVG ou d’un tout autre acte. Cette répétition spécifique dans le cadre de l’IVG ne semble donc pas utile.
La Haute autorité de santé (HAS) a actualisé mi-avril ses recommandations concernant l’IVG par méthode médicamenteuse. Pourront-elles également favoriser son accessibilité ?
Dans ses nouvelles recommandations, la HAS valide la possibilité de proposer aux femmes une IVG médicamenteuse à domicile jusqu’à neuf semaines d’aménorrhée (contre sept auparavant). C’est un point positif car la faisabilité et l’acceptabilité d’une telle mesure ont été largement vérifiées dans d’autres pays. En outre, c’est un « plus » pour les patientes puisqu’elles ont deux semaines de plus pour faire ce choix, sachant qu’il n’y a pas de surrisque à réaliser l’IVG médicamenteuse chez soi.
Une seconde annonce importante concerne la possibilité de prescrire une IVG médicamenteuse par téléconsultation. Un mode de consultation qui, on le sait, se développe de plus en plus et qui permet, là aussi, de faciliter l’accessibilité à l’IVG, pour les femmes qui, par exemple, habitent loin du cabinet de leur spécialiste. L’IVG étant réalisée à domicile, la HAS recommande aux professionnels de santé d’évaluer, avant de prescrire, la possibilité pour la patiente de contacter rapidement, 24 heures sur 24, un établissement de santé qui puisse prendre en charge d’éventuelles complications.
Exergue : « Les agences régionales de santé n’ont pas le pouvoir de regarder si les hôpitaux tiennent leurs obligations en matière d’IVG : ce n’est pas acceptable »
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