L’utilisation des antibiotiques en réanimation est devenue complexe. En effet, le message principal sur l’augmentation de la résistance bactérienne a des implications apparemment contradictoires. D’un côté toutes les études indiquent que le traitement de la forme la plus grave des infections (le choc septique) nécessite une antibiothérapie précoce (le dogme de chaque heure compte reste vrai dans des études récentes), souvent à large spectre et en association. De l’autre, le même message doit inciter à limiter au maximum l’exposition aux antibiotiques qui est majeure : plus de 50 % des patients de réanimation sont sous antibiotiques. Ceci peut prendre la forme d’un traitement différé à la réception des résultats bactériologiques ou d’un traitement à spectre étroit sur des arguments cliniques.
La dualité collectivité/patient individuel est arbitraire : un patient recevant un traitement trop long et de trop large spectre va modifier sa propre flore et peut devenir une véritable bombe à retardement de résistance pour lui-même.
Alors que faire ? Croire au futur ? Non, du fait de l’apparition de nouveaux antibiotiques. L’industrie pharmaceutique hésite en effet à investir dans le développement d’un nouvel antibiotique car, dès sa sortie, les spécialistes proposent, à juste titre, de le garder pour les souches résistantes. Plus on utilise un antibiotique, plus son efficacité risque de diminuer, phénomène qui n’existe pas pour d’autres classes thérapeutiques (on n’imagine pas un antidiabétique devenant moins efficace car trop prescrit). Les antibiotiques ne traitent pas directement le patient, mais tuent les bactéries. Le monde bactérien est capable d’évolution rapide : dès qu’un antibiotique sort, des cas cliniques de résistance sont publiés. Des pistes de recherche de molécules non antibiotiques (donc ne générant pas de résistance) existent, mais les essais cliniques commencent à peine.
Le futur réside peut-être plus dans la véritable révolution technologique que vit actuellement la microbiologie. Traditionnellement, l’adaptation du traitement se fait après un délai pouvant atteindre trois jours ou plus. Les méthodes actuelles permettent soit de faire le diagnostic en quelques heures après une phase de culture (une journée) par spectrométrie de masse, soit d’éviter la culture avec des temps de rendu de résultats souvent inférieurs à 8 heures (biologie moléculaire). Le coût de revient est bien sûr très supérieur.
Les résistances
L’Europe est sur ce plan très hétérogène avec un gradient Sud-Nord de la résistance et des pays qui ont des niveaux de résistance catastrophique comme la Grèce ou à un moindre degré le Portugal, l’Espagne ou l’Italie et d’autres comme les pays scandinaves qui sont protégés par une utilisation très rationalisée des anti-infectieux. La France fait partie de l’Europe du milieu avec des succès (baisse des staphylocoques résistants à la méticilline) et des cas encore sporadiques de résistance aux carbapénèmes, malgré quelques épidémies.
Quelques principes
• L’individualisme peut être une bonne chose.
Tous les malades en réanimation ne sont pas équivalents. À côté des chocs septiques, il existe toute une population de patient de gravité moindre chez qui une réflexion sur la nature des antibiotiques peut être menée. Deux conceptions s’opposent : le mixing, probablement meilleur (grande diversité de molécules utilisées dans un service) et le cycling (une antibiothérapie ou un nombre limité de schémas thérapeutiques avec rotation selon des cycles de durée prédéterminée, trimestrielle par exemple).
• L’utilisation de fortes doses.
Le risque de sous-dosage (générateur de résistance) guette beaucoup plus le patient en réanimation que le sur-dosage, du fait d’une augmentation du volume de distribution (Vd) en réanimation (inflation hydrique, perméabilité capillaire augmentée du fait de l’inflammation…).
• Les prélèvements sont nécessaires.
La nécessité absolue d’effectuer des prélèvements, bien sûr des hémocultures avec un volume de sang suffisant, mais aussi des prélèvements locaux, même considérés comme non nobles par les microbiologistes (par exemple, les classiques « crachats » dans les pneumopathies graves). En effet, le taux de positivité des hémocultures est très bas (autour de 30 % dans les pneumopathies communautaires).
• Réévaluation de l’antibiothérapie.
Elle doit se faire classiquement 48 à 72 heures après le début du traitement. Mais la réévaluation est parfois possible plus tôt, selon le germe et les techniques bactériologiques et c’est donc quotidiennement que doit se poser la question d’une éventuelle désescalade.
• La réduction des durées de traitement.
Un essai thérapeutique « mythique » dans les milieux de la réanimation française a permis de populariser la notion d’équivalence de 8 jours avec 15 jours dans le traitement des pneumopathies acquises sous respirateur. Il existe beaucoup de travaux montrant que dans certaines infections 5 jours peuvent suffire (par exemple péritonites opérées précocement avec contrôle de la source satisfaisant). Ici encore, il faut réévaluer tous les jours selon le germe, l’évolution clinicobiologique, en s’aidant éventuellement de biomarqueurs (dont la procalcitonine) pour évaluer l’efficacité du traitement.
• L’utilisation des carbapénèmes à bon escient.
Les carbapénèmes doivent être utilisés avec parcimonie, ce sont le dernier rempart avant les carbapénèmases qui posent un réel problème de traitement.
Les médecins exerçant en réanimation sont en première ligne dans l’utilisation des anti-infectieux, ce qui justifie que dans chaque service, un des praticiens développe une compétence particulière dans ce domaine, au mieux avec l’aide d’autres spécialités (infectiologues, microbiologistes, pharmaciens, hématologues…).
CHU Lyon
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