Nous étions préoccupés par la Covid-19 et nous avons voulu alerter, sans alarmer, en notre âme et conscience. Notre article initial « La Covid-19 est un réel danger », publié sur le site du « Quotidien du Médecin » le 6 mars 2020, a fait écho, au-delà même du lectorat médical (> 400 000 vues de l’article sur le site du « Quotidien du Médecin » en 4 jours). Une propagation de l’information virale en quelque sorte ! De nombreux acteurs de la santé et citoyens s’en sont emparés, très naturellement et sans panique. En confiance avec cette démarche citoyenne, ils sont les premiers concernés et constituent les cohortes statistiques et épidémiologiques qui éclairent.
Dès lors, nous avons décidé de suivre l’évolution des circonstances et données, méthodiquement, jour après jour, pour comprendre les changements stratégiques proposés. La situation évolue de telle sorte que l’empêchement de la diffusion du virus n’est plus d’actualité, remplacée dorénavant par le ralentissement de celle-ci, pour ne pas dépasser les capacités sanitaires. Les conséquences stratégiques conduisent à dépister de moins en moins de gens, à l’exception des cas sévères et de certaines catégories socio-professionnelles, puisqu’il n’y a pas de traitement spécifique. Nous souhaitons partager nos réflexions à partir des données publiées et du contexte actuel.
Les soignants en première ligne
Le Docteur Wenliang, premier lanceur d’alerte injustement accusé de répandre des fausses rumeurs et de perturber l’ordre social, est décédé à l’âge de 34 ans, près d’un mois après son hospitalisation pour la Covid-19. Des milliers de personnels soignants en Chine ont été contaminés par le SRAS-CoV-2, parmi lesquels près de 15 % de cas classifiés comme sévères ou critiques. À nouveau, rien à voir avec la grippe pour laquelle un vaccin existe, même si tous les personnels soignants ne se font pas vacciner. Dans notre pays, l’accès à la téléconsultation a récemment été assoupli. C’est une excellente mesure et nous avons nous-même reçu ces derniers jours le témoignage de praticiens mettant d’ores et déjà en place cette disposition.
On ne répétera jamais assez combien nous sommes redevables au personnel médical et paramédical formé, performant, dévoué et altruiste. Face à une situation inédite et à une pathologie que l’on connaît mal, ils sauront faire preuve de sang-froid, de bon sens et de discernement, dans un contexte structurel et humain difficile. Et l’exercice n’est pas aisé ! Par exemple, quid du patient poly-pathologique qui ne correspond pas au cas clinique type mais qui, finalement très classique, consulte le médecin du quotidien ?
L’évaluation de la mortalité du Covid-19 : que penser ?
Les risques et la gravité de la Covid-19 sont évalués mondialement et pris en compte sérieusement, conduisant les médias à réduire le discours comparatif à la grippe saisonnière. À l’instant où nous finalisons ce texte, le SARS-CoV-2, virus de la Covid-19 a touché 128 000 individus dans le monde avec 4 700 décès et 68 000 patients qui ont récupéré. Il faut, sur les courbes publiées, intégrer le paramètre cinétique du phénomène. En effet la Chine, premier pays touché, est en avance d’un mois sur le reste du monde. L’Italie, l’Espagne, et la France ont des courbes de croissance très proches et très pentues, décalées dans le temps avec la Chine. Les pentes de ces courbes dépendent aussi de la qualité de la réaction et les moyens disponibles dans les différents pays.
Mais quid de la réalité derrière les chiffres, les valeurs absolues, les pourcentages ? Quelle signification ? Pour les uns, le taux de mortalité de la Covid-19 serait surévalué en raison de l’impossibilité de pratiquer un dépistage systématique pour l’ensemble de la population et parce que beaucoup de cas asymptomatiques ou morts au cours de pathologies intercurrentes passeraient inaperçus. En conséquence, le dénominateur de la fraction n morts/n cas reste inconnu. Pour d’autres, l’évaluation actuelle de la mortalité pourrait se confirmer et, même, être sous-évaluée. En effet, des patients malades ou très malades inclus dans les études peuvent décéder au-delà de la courte durée des études observationnelles actuellement disponibles et ne sont donc pas comptabilisés à l’instant t de l’arrêt des comptages. Il faudra guetter la publication des informations à propos du bateau de croisière « Diamond Princess », car il est de fait un modèle quasi expérimental de l’épidémie, constituant une cohorte de suivi.
Répétons-le ici encore, la Covid-19 a des caractéristiques propres. Ainsi, le risque de récidive apparaît beaucoup plus élevé pour la Covid-19 que pour la grippe, des patients infectés peuvent porter le virus plusieurs semaines avant l’apparition des premiers symptômes (contre un à deux jours pour la grippe), la Covid-19 peut perdurer plusieurs semaines (contre une seule en moyenne pour la grippe), la Covid-19 conduit à des formes sévères nécessitant une hospitalisation dans 15 à 20 % des cas (ordre de grandeur 10 fois supérieur à celui de la grippe) et certains patients peuvent décéder plusieurs semaines après l’apparition des premiers symptômes.
Enfin, nous devons garder à l’esprit que la Covid-19 pourrait elle-même constituer une comorbidité et produire des dommages collatéraux 1) en affaiblissant l’état général des malades et 2) parce que, dans l’hypothèse d’un système de soin débordé et dégradé, les patients non infectés, mais souffrant de pathologies aiguës classiques sont susceptibles d’être moins bien pris en charge. Une hypothèse et un risque qui restent néanmoins à évaluer avec précision, au cas par cas et pour chacune des zones géographiques concernées.
Il semble exister une certaine disparité géographique de la gravité de la Covid-19. Les cartes épidémiologiques montrent la forte progression Est-Ouest et la faible progression Nord-Sud. Ce n’est pas lié à un défaut de surveillance ni d’alarme. S’il y avait une recrudescence de cas graves, comme lors de l’épidémie Ebola, l’alarme serait donnée. Uniquement sept articles scientifiques publiés récemment dans le PubMed NIH concernent le continent africain contre quelques centaines pour la chine, l’Europe et les États-Unis. Il est donc raisonnable de penser que le continent africain soit de fait peu concerné, pour le moment avec peu de cas. Cet aspect est une excellente nouvelle, motif de motivation pour comprendre les spécificités et subtilités du SARS-CoV-2 et de la maladie. Pour les pays contaminés à l’ouest de la Chine, les courbes épidémiologiques sont très similaires pour l’Italie, l’Espagne, la France, etc. On peut donc s’attendre à une transmission comparable. En revanche, la mortalité engendrée pourrait être différente en fonction des systèmes de santé développés et des stratégies mises en place.
Ce sera donc rétrospectivement, à la fin de la crise, que l’on pourra connaître les fameux numérateur et dénominateur du calcul du taux de mortalité. Pour l’instant, Il nous semble donc inutile de disserter, débattre et pire, d’inquiéter sur le taux de mortalité de 1 à 4 % dans la population globale ou de 18 % chez nos séniors. Il est de toute façon, à l’échelle des nations, suffisamment important pour justifier l’action. Cela invite chacune et chacun à se concentrer sur ce qui est devenu maintenant essentiel : détecter, soigner et… gagner du temps !
Tester : stop ou encore ?
Vaste débat, en particulier si on regarde les choix faits par les différents pays. La stratégie globale peut osciller entre la prise en compte de l’adéquation maladie/capacité sanitaire ou bien de la nécessité d’adapter les décisions à fort impact économique à la réalité de la maladie ou de l’épidémie. En Corée du Sud, on teste très largement, quand la France limite les tests aux patients hospitalisés et à des populations dites à risque.
Deux raisonnements peuvent s’opposer. Le premier est basé sur l’argument de l’absence de traitement antiviral spécifique, ce qui rendrait « de facto » le dépistage inutile. De plus, on est passé du stade de blocage de l’épidémie à celui de ralentissement. Alors, tester largement ne présenterait aucun intérêt. Le second, au contraire, consiste à indiquer plus largement les tests pour un maximum de citoyens comme en Corée du Sud, en priorité ceux avec ou sans symptômes qui ont été en contact avec des sujets infectés. Les enfants sont à cet égard une population importante. Parfois porteurs du virus en grandes quantités, ils ne font que peu ou pas de symptômes, mais peuvent contaminer les autres.
Plusieurs avantages donc à ce dépistage sur une large échelle. Il apporterait, le cas échéant, un élément de réponse objectif quant à la délicate question de la fermeture ou non des établissements scolaires et universitaires et à la décision de confinement. Il aiderait à connaître le fameux dénominateur déjà mentionné. Il aiderait aussi à découvrir les chaînes de transmission invisibles et insoupçonnées. Il permettrait de décider des mesures appropriées, notamment pour les entreprises, en termes de confinement, de manière éclairée et au cas par cas. Les porteurs sans symptôme, ou pauci-symptomatiques, dès lors identifiés, pourraient être informés, suivis et confinés. Enfin, le dépistage a un intérêt de santé publique pour évaluer la progression, la trajectoire et la sévérité de l’épidémie. Avec ce raisonnement, il faut être averti que beaucoup de résultats seront négatifs, forcément mais pas inutilement. Ainsi, ils renseigneront sur la géolocalisation du SARS-CoV-2.
Bien sûr, un tel changement d’échelle du dépistage et du paradigme serait ambitieux, mais fondamental, comme l’atteste l’Éditorial du 16 février 2020 publié dans le New England Journal of Medicine par le Professeur Lipsicht. Il a montré son efficacité dans d’autres pays tels que la Corée, le Japon et Singapour. Pour qu’il soit contributif, il importe que les moyens humains et techniques (kits de prélèvement, normes et sécurité) suivent. Cette décision appartient aux pouvoirs publics. L’identification plus systématique des sujets porteurs pourrait contribuer significativement à l’écrasement ou étirement du pic épidémique tel que recherché aujourd’hui pour éviter la saturation du système de santé.
Gagner du temps
Considérant le SARS-CoV-2 peu mortel dans la population générale avec souvent peu ou pas de symptômes, on serait tenté de se contenter de mesures limitées. Mais, à la fois, le virus SARS-CoV-2 engendre des cas graves qui alimentent le moteur de la crainte. Paradoxe du SARS-CoV-2 : beaucoup de cas asymptomatiques, mais très contagieux, voyageant souvent incognito, infectant un très grand nombre d’individus (un malade en Corée du Sud a pu infecter 83 patients, cas exceptionnel) et pouvant ainsi conduire à un nombre absolu de cas sévères et de décès élevé.
Selon les modélisations de l’Université d’Harvard, le SARS-CoV-2 va continuer à progresser et à se propager. Les Américains avaient pourtant mis en place des mesures spéciales pour bloquer l’entrée du virus sur leur territoire (interdiction d’entrée des ressortissants chinois et mises en quarantaine à l’arrivée pour les ressortissants en provenance des zones à risque). Rien n’y a fait, et comme estimé dans un article de The Harvard Gazette du 4 mars 2020, près de 2/3 des porteurs entrants sont passés au travers du dispositif de détection, pourtant considérable, à l’entrée aux États-Unis.
Alors que certains prédisent que le SARS-CoV-2 sera difficile à arrêter, il est tout de même encore et toujours possible d’agir pour contenir et ralentir sa progression. En d’autres termes, gagner du temps en attendant des jours meilleurs, ceux de l’arrivée d’un traitement curatif, d’un vaccin ou de conditions climatiques moins favorables au SARS-CoV-2. Les gestes barrières, simples mais exigeants, prennent ici toute leur place et leur importance : se laver fréquemment et méticuleusement les mains, entretenir et désinfecter la maison avec une attention particulière pour les toilettes et les salles de bain, laisser chaussures et vêtements de ville au vestibule pour celles et ceux qui reviennent de l’extérieur, aérer régulièrement en ouvrant les fenêtres lorsque c’est possible et, pourquoi pas, quand il sait se montrer généreux, exposer au soleil et à son rayonnement UV les effets et objets potentiellement contaminés.
C’est d’ailleurs sur ce bon vieux soleil et sur l’air sec que l’on compte pour aider à enrayer le SARS-CoV-2. Si la progression de l’épidémie décroissait avec le beau temps, marquant un coup d’arrêt au SARS-CoV-2, il sera donc confirmé avoir été parfaitement indiqué d’avoir agi efficacement et précocement, pour limiter les chaînes de transmission et franchir les quelques mois qui nous séparent de la belle saison.
La question délicate du confinement
Comme l’ont spectaculairement montré les mesures chinoises, le « confinement » est efficace quand l’épidémie ne s’est pas encore propagée partout dans la population. Nous souhaitons un même résultat à nos partenaires européens qui ont mis en place et suivent actuellement cette disposition. Le télétravail, aujourd’hui possible, est un atout considérable et si, beaucoup de nos travailleurs restent utiles sur leur lieu de travail, beaucoup également peuvent travailler à distance. Pourquoi s’en priverait-on ? On amenuiserait ainsi la possibilité de créer des nouvelles chaînes de transmission.
Cependant, le confinement peut être très contraignant et s’accompagne immanquablement de dommages sociaux et économiques. Au-delà des précautions et des gestes barrière, chacune et chacun doit se préparer mentalement à une période de restriction des déplacements et d’isolement. Sans préparation, cet épisode peut être vécu très douloureusement, comme un enfermement. À l’inverse, il peut prendre un tour nouveau, et pourquoi pas éducatif et attractif, comme un challenge que l’on accepte de relever ou une expérience inédite que l’on sera finalement fier d’avoir traversée.
Au plan national, ne pourrait-on donc pas avancer la date des vacances de Pâques, pour permettre la mise en place d’une quatorzaine en famille ? L’idéal pour nos concitoyens serait alors d’être en capacité de considérer cet épisode comme une occasion unique pour aérer son esprit, réfléchir, faire le point et reprendre sa vie en main. En tirer avantage pour régler tous ces petits riens qui se sont accumulés et pour lesquels nous n’avons jamais assez de temps. Entreprendre un grand ménage à la maison, le nettoyage des allées du jardin, le rangement des placards, le graissage de la porte qui grince et ferme mal, le remplacement de l’ampoule dont on ne se souvient même plus quand elle a grillé, le tri des papiers en souffrance depuis des mois, la lecture de tous ces livres prometteurs accumulés dans la tablette ou sur la table de chevet et qui attendent depuis trop longtemps d’être feuilletés… Aussi et surtout, en profiter pour retrouver un peu de temps pour soi, sa famille et ses amis. Téléphoner à ses proches pour prendre des nouvelles et échanger les informations. Comme on se l’était vainement promis chaque matin sur le chemin du travail, rédiger et envoyer enfin ces fameux emails à parents et amis pour leur rappeler qu’on les aime. Visionner au calme les anciennes vidéos de la famille pour réaliser combien les petits ont grandi et voyager sans modération devant les belles images du film des dernières vacances au paradis. En résumé, être inventif pour multiplier ses activités à la maison en attendant… l’été prochain !
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