CONTRIBUTION - À la lumière de l'épidémie récente, il faut repenser de façon globale réformes et adaptations du système de santé. Se contenter d’accroître de façon plus ou moins simpliste les moyens alloués à tel ou tel secteur du système de santé comme on l’entend trop souvent mais sans une réflexion globale préalable sur l’offre de soins ne constituerait qu’un palliatif temporaire. Utilisée isolement, cette façon de faire condamnerait les réformes envisagées à ne constituer qu’un simple replâtrage avec un risque persistant d’inefficacité et d’injustice à terme.
Comme souvent, ce sont ceux qui crient le plus fort qui peuvent seuls espérer se faire entendre. Ce n’est certainement pas satisfaisant. En effet, pour un minimum d’efficacité à moyen et long terme, il ne sera pas possible de faire l’économie d’une réflexion globale sur le fonctionnement de notre système de santé actuel dans son ensemble sur ce qui doit être corrigé et ce que la société souhaite obtenir à terme.
Pénurie de masques : un révélateur
Qu'est-ce que l'épidémie de coronavirus a mis en évidence sur le plan de la santé ? La primauté délétère quoiqu’ancienne donnée au curatif par rapport au préventif. L’adage « mieux vaut prévenir que courir » a été négligé depuis cinquante ans avec de graves conséquences économiques. L’absence de masques, pour prendre un exemple récent, a obligé à confiner brutalement la grande masse des citoyens pendant de longs mois pour freiner le développement de l’épidémie. Les conséquences financières, économiques et sociales en seront d’une extrême gravité et demanderont des années pour être réparées. Il faut retenir la leçon de cette catastrophe économique.
Il est à noter que cette négligence du préventif se retrouve dans d’autres domaines : gestion peu cohérente des inondations par exemple.
Trop d'hospitalocentrisme
L’hospitalo-centrisme forcené, d'abord. On n’a parlé que de la « crise de l’hôpital » comme si ce dernier constituait l’alpha et l’oméga de la prise en charge sanitaire de la population. Cela ne fait que témoigner de l’aveuglement des dirigeants de tous ordres politiques et administratifs qui réduisent leur réflexion au seul système hospitalier. Pourtant l’hôpital, aussi important qu’il soit, ne constitue cependant qu’un maillon de la chaîne des soins. La médecine « générale » constitue un autre maillon de cette chaîne et les articulations entre les deux doivent être repensées.
Notre système de santé hospitalier est brillant mais marqué par une extrême lourdeur organisationnelle. La réactivité remarquable mais inattendue dont l’hôpital a su faire preuve dans la prise en charge du coronavirus ne constitue sans doute qu’un sursaut et ne saurait masquer les graves défauts structurels dont il souffre :
L’organisation médicale est constituée de longue date en « silos » de spécialités verticales sans guère de passerelles transversales pourtant indispensables (médecine interne ou infectiologie notamment). Ceci conduit à des inadaptations trop fréquentes de prise en charge coûteuses sur les plans humains et économiques. Rigidité extrême des organes de décision administratifs qui ne sont médico-administratifs que de nom conduisant à des difficultés et des lenteurs extrêmes d’adaptation du système. La crise récente a obligé (temporairement ?) à rompre cette rigidité pour pouvoir s’adapter de façon rapide.
Enfin, que dire de cette très forte dépendance industrielle à l’égard d’autres pays étrangers ? Celle-ci est ancienne mais elle est devenue criante lors de l’épidémie. Une réflexion et des décisions sont donc nécessaires pour déterminer ce qui est stratégique et doit donc être conservé ou relocalisé.
Encourager l'initiative individuelle
Si l'on veut tirer la leçon des événements récents, il est urgent de libérer les têtes de ces différents carcans.
Il faut encourager l’initiative individuelle. La question des masques et des protections mécaniques diverses a bien montré que, même les soignants libéraux n’ont pas su se libérer de ces schémas au départ et inventer tandis qu’ils se trouvaient en première ligne et tandis que les pouvoirs publics étaient contraints à les négliger initialement au profit de l’hôpital. Ils continuaient encore à tout attendre de l’État.
Rares dans les premières semaines ont été les initiatives individuelles pour confectionner des protections de fortune. Or celles-ci, bon marché, faciles à imaginer et à mettre en œuvre les auraient aidés malgré leur caractère évidemment imparfait. De même, ils n’ont que rarement recherché activement au début d’autres aides autour d’eux alors que de nombreuses autres professions possédaient des masques de protection (tatoueurs, dentistes ). Ceux-ci n’ont pas été sollicités suffisamment pendant les premières semaines.
En finir avec une logique descendante
Au niveau hospitalier, il faut s’appuyer sur des sachants proches du terrain si l’on veut évoluer. Si le système hospitalier souhaite retrouver efficacité et souplesse, il est nécessaire que les réformes et adaptations soient accompagnées par l’administration et non décidées uniquement d’en haut par celle-ci. La création des départements médicaux qui ne correspondaient pas à un besoin organisationnel médical mais à une construction administrative ayant sa logique propre en constitue un exemple pertinent. Les départements sont d’ailleurs venus se surajouter aux services médicaux qui n’ont pas disparu pour autant. Il en est résulté un nouvel alourdissement du système avec épaississement du mille-feuille administratif et décisionnel.
Au pouvoir de décision qui va ainsi, de façon délibérée sans doute, exclusivement du haut vers le bas (direction-soignants), il faut décider de permettre désormais la réapparition de forces de propositions structurées allant également en sens inverse (soignants-direction) si l’on veut retrouver de l’efficacité. On verrait alors disparaître le sentiment de découragement des soignants car ils pourraient s’exprimer dans un nécessaire dialogue. Cette situation était la règle naguère mais a disparu progressivement il y a une vingtaine d’années lorsque les pouvoirs publics ont souhaité contrôler toujours plus étroitement le fonctionnement économique des hôpitaux.
La crise récente, qui a contraint soignants libéraux et hospitaliers à s’adapter pour collaborer de façon efficace, doit être méditée. Elle a fait sauter tous ces freins ce qui a permis une adaptation très rapide et remarquable. Les enseignements de cette leçon ne doivent pas être perdus.
La prévention en priorité
Une réflexion globale est absolument indispensable. Le volet préventif des soins est le grand oublié depuis de trop nombreuses années. Cette situation est paradoxale car la prévention pourrait générer d’importantes économies.
Certes, avec la lutte contre les infections nosocomiales les mesures d’hygiène hospitalière ont enregistré des progrès considérables. La prise en charge de l’alcoolisme et du tabagisme ont fait également des progrès sensibles. Cependant, la régression de l’usage des vaccinations est de plus en plus préoccupante. La population n’est plus protégée efficacement contre les grands fléaux infectieux évitables. On pourrait faire un constat semblable pour la médecine scolaire totalement négligée. Ceci est d’autant plus étonnant que le coût de la prévention est négligeable par rapport au curatif. Elle permet en outre de très importantes économies en limitant justement le recours au curatif.
Plutôt qu’une déploration inefficace et rituelle, il convient de s’interroger sur le Pourquoi de ces constatations si l’on veut lutter avec efficacité. Il existe en effet tout à la fois dans la population une importante diminution de la confiance en la science et un essor de l’égoïsme individuel. Interrogeons les sociologues, les historiens, les philosophes et autres spécialistes des sciences de l’homme pour en identifier les causes et proposer des lignes d’action.
Sans doute faut-il replacer également ces constatations dans un contexte plus large et remettre les cours d’éducation civique scolaires à l’honneur. Ceux-ci sont loin d’être surannés. Ils sont nécessaires au contraire à l’apprentissage de la vie dans une société qui doit redevenir plus policée et plus respectueuse de l’environnement et des autres. Il est certainement nécessaire de revaloriser le statut matériel et moral des enseignants du primaire.
Redonner de la place au généraliste
Le volet curatif des soins doit être repensé pour en améliorer l’efficacité. Il faut tout faire pour rendre ses lettres de noblesse à la médecine générale. Devenue le parent pauvre de la santé, elle a au contraire une fonction irremplaçable pour assurer une prise en charge de qualité nécessaire aux besoins globaux de la population dans son ensemble et réguler le système.
La médecine générale a perdu peu à peu sa fonction régulatrice. Or elle permet seule un recours avisé aux soins spécialisés et aux urgences hospitalières, facteur essentiel d’efficacité et donc d’économies substantielles. Elle doit retrouver son rôle pivot dans l’organisation des soins. Il faut décider de lutter enfin efficacement contre le recours individuel scandaleux car souvent injustifié aux urgences hospitalières. Ce recours individuel trop facile mais souvent inapproprié asphyxie l’hôpital, le désorganise sévèrement et génère nombre de dépenses inutiles. Il faut donc identifier avec détermination les causes de l’abandon de la médecine générale et du développement des déserts médicaux pour espérer pouvoir agir efficacement.
Réduire le poids de l'administration
En ce qui concerne l’hôpital il est nécessaire de choisir quelle est l’évolution souhaitée à terme. Si l’on veut retrouver une institution plus souple et plus adaptable, il faut réduire le poids d’une administration volontairement déconnectée de la réalité des soins.
Ce faisant, on retrouvera également un temps médical précieux en libérant les praticiens de tâches administratives ingrates mais qui mobilisent beaucoup de leur temps, ne serait-ce qu’en réunions aussi multiples qu’inefficaces et en lourdes tâches administratives improductives et que l’on aurait intérêt à déléguer.
On constate d’ailleurs que, pour échapper à un travail de plus en plus ingrat, les médecins les plus expérimentés ont tendance à fuir leurs fonctions soignantes pour se réfugier dans une sorte de spécialisation administrative qui ne dit pas son nom qui est assez stérile mais plus confortable. Eu égard au prix financier considérable de la très longue formation d’un médecin c’est pour la société un énorme gâchis économique et organisationnel. Ces mêmes lourdes tâches administratives engloutissent également beaucoup de temps infirmier aux dépens de leur présence effective au chevet des malades. Il est largement temps de s’interroger sur cette dérive de plus en plus marquée et si l’on veut rendre aux soignants la possibilité d’exercer le métier pour lequel ils ont été longuement formés.
Il est paradoxal que le volet préventif des soins soit négligé alors qu’il s’agit pourtant d’une importante source d’économies. Il est urgent de remettre la médecine générale à une place déterminante dans l’organisation des soins. Les reformes systémiques souhaitables ne pourront pas réussir sans l’y associer étroitement.
Les hôpitaux souffrent d’une suradministration lourde, onéreuse et peu efficace. Un choix sociétal est inéluctable entre pesanteur et contrôle étroit d’un côté ou efficacité accrue de l’autre mais au prix d’un allègement partiel du contrôle par les « tutelles » dont le nom est d’ailleurs significatif en soi.
Le système de santé constitue fonctionnellement un tout. Chaque réforme d’un secteur affecte les autres. On, ne saurait donc concevoir de réforme isolée.
Le regard que portent nos sociétés sur la valeur de la vie humaine a bien changé en 50 ans. Quelle est la valeur marchande que celles-ci sont prêtes à dépenser pour sauver une vie ? Ou placer le curseur ? Les conséquences économiques majeures du confinement récent doivent faire réfléchir sans tabou car elles doivent servir de leçon. Est-il possible enfin de retrouver une moindre dépendance industrielle dans le domaine de la santé ?
Les réponses à ces questions ne sont bien évidemment pas du ressort des seuls soignants mais du corps social dans son ensemble.
Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par un intervenant extérieur. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.
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