Monsieur le Ministre,
Aujourd’hui, dans les rues, dans les magasins, maintenant les gens portent des masques, style baba cool, colorés, comme étaient fleuries les chemises des années 70. Beaucoup d’entre eux sont « faits maison » ou construits artisanalement. D’autres sont plus classiques, de type chirurgical, ou manufacturés, proposés par les mairies… Toute la population n’en porte pas, mais on en voit quand même bien plus que pendant la période du confinement.
La progression de la Covid, quant à elle, est ralentie. Ici ou là, quelques clusters. Des interrogations, avec la reprise de l’activité, y aura-t-il des résurgences ? Une seconde vague à la rentrée ? Tout cela est incertain. Mais ce qui est sûr, c’est que pour l’instant on se complique un peu la vie entre masques, gestes barrière, gel, distanciation… Des situations complexes voient le jour, notamment dans le domaine de la restauration, et cela devrait durer au moins quelque temps.
Côté économie, on réalise aussi que deux mois de confinement ont laissé pas mal de traces. Beaucoup de discours sont pessimistes, chômage, fermeture d’entreprises, incertitudes professionnelles, restaurateurs et cafetiers menacés, leur quotidien rendu compliqué, monde du spectacle paralysé… Pour résumer, le confinement a coûté des milliards au pays pour un résultat qui n’est que partiel ; l’épidémie a été freinée mais non éradiquée. Une récidive dans les mois qui viennent n’est pas improbable.
Alors, pouvait-on faire plus ? Il est légitime de s’interroger sur les conduites qui ont été tenues. C’est ce qui m’amène à vous poser les deux questions suivantes. Avez-vous utilisé au mieux cette période ? Était-il indispensable de la faire durer si longtemps ?
Le confinement a été une situation absolument inédite mais utile dans notre pays, comme dans tous ceux qui l’ont appliqué. Mais, ce que l’on peut regretter, c’est que le gouvernement n’ait pas fait preuve de plus de réactivité dès le début et se soit contenté d’une application que l’on peut qualifier de passive. En effet, ce moment était extrêmement propice pour agir puisque, seules quelques catégories professionnelles travaillaient en dehors de chez elles, et que les personnes confinées ne sortaient qu’à raison d’une heure par semaine ou tous les 15 jours pour s’approvisionner en nourriture.
Il est facile d’imaginer que si l’on avait imposé le port du masque, en ajoutant ensuite progressivement les tests, on aurait assurément pu réduire le nombre des entrées en réanimation et atteindre plus vite et plus complètement la fin de l’épidémie au lieu de simplement la freiner. Vous me répondrez certainement ici qu’il n’y avait ni masques ni de tests ! Certes, mais vous auriez pu pallier ce manque de moyens par une bien meilleure communication que celle qui a été faite par les autorités sanitaires et gouvernementales. Voici de quelle manière vous auriez pu procéder.
La nécessité d'un mea culpa
Le 16 mars, annoncer sur le mode d’un mea culpa alliant pragmatisme et modestie : « Nous n’avons pas de masques, nous reconnaissons de ce côté certaines erreurs… Mais aujourd’hui, pour faire face à cette pénurie, nous allons vous demander quelque chose d’insolite. Si vous nous suivez… nous vous promettons que nous allons faire ensemble ce qui peut se faire de mieux. Nous allons vous donner 10 jours pour que vous vous fabriquiez, chacun d’entre vous, 2 ou 3 masques. Nous vous donnerons un mode d’emploi extrêmement simple pour le faire, et quelques lignes supplémentaires pour vous expliquer comment les utiliser, etc. Nous vous donnerons également quelques conseils sur l’intérêt de la distanciation et le lavage des mains… »
Le 25 mars, démarrage d’une phase active : « Attention, à partir ce jour, le masque devient obligatoire pour tous les Français, lors de toute sortie du domicile et qu’elle qu’en soit le motif. Sachez que si vous appliquez correctement cette directive, et si chacun d’entre vous le fait consciencieusement, dès le 25 avril1, en théorie, l’épidémie pourrait être vaincue. Ceci signifie que lorsque les derniers malades sortiront les services de réanimation, il n’y aura plus de nouveaux à y rentrer, car vos masques auront fait barrage à la diffusion du virus ; et d’autres décès ne seront plus à redouter ! Ensuite, nous ajouterons les tests pour détecter et isoler les derniers sujets encore contagieux… Et ainsi, nous envisagerons une fin possible du confinement vers le 20 ou 25 avril.
Plutôt que d’imposer des directives de manière professorale, il aurait certainement été préférable de donner de l’espoir en proposant une solution réaliste et compréhensible par tous. Mettre en place tout ceci n’aurait exigé de votre part que l’ajout d’une ligne sur l’autorisation de sortie dérogatoire : « Port du masque obligatoire pour toute personne sortant de son domicile, quelle qu’en soit la durée et quel qu’en soit le motif. » (2) C’est-à-dire une mesure extrêmement simple, non coûteuse et non contraignante pour quiconque. Appliquée sur une période d’un mois, elle aurait, en théorie, suffi pour, sinon éteindre l’épidémie, tout au moins la ralentir considérablement et diminuer le nombre des victimes.
Et, en procédant de la sorte, Monsieur le ministre, vous auriez été à l’origine de trois autres avantages non négligeables : Une sortie beaucoup plus rapide du confinement sans les innombrables contraintes que nous connaissons aujourd’hui. Vous auriez fait l’économie de quelques milliards d’euros, obtenue en raccourcissant la période ; ce qui aurait aussi permis de sauver de nombreuses entreprises aujourd’hui menacées, tout en évitant à d’autres, de suivre le même chemin. Et pour finir, vous vous seriez offert le luxe ne plus être dans la même attente du vaccin salvateur (au risque bien sûr de décevoir les puissants lobbys qui ont flairé un marché aux colossales retombées).
Alors, Monsieur le Ministre, j'aimerais bien aujourd’hui avoir une réponse claire et sans langue de bois à cette interrogation : pourquoi n’avez-vous pas tenté une action de ce type durant une période si propice pour le faire ? Et, ce d’autant qu’en haut lieu, on semble désormais bien convaincu de l’intérêt du masque ; il y en aurait même aujourd’hui pléthore !
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1Il faut une vingtaine de jours pour qu’un sujet contaminé ne soit plus contagieux. Donc s’il n’y a pas de nouveaux cas dans ce laps de temps cela signifie que l’épidémie est en voie d’être 2Il est évident qu’il était plus simple de gérer le comportement d’une petite fraction de la population que celui de sa totalité.
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