Les chiffres, révélés en mars par le Centre fédéral d'expertise des soins de santé (KCE), sont sans équivoque : la santé sexuelle des Belges se dégrade. En cause, alerte l'institution dans un rapport détaillé, les infections sexuellement transmissibles (IST), dont « le nombre de nouveaux diagnostics augmente dans des proportions inquiétantes ».
Trois IST, en particulier, inquiètent. La chlamydia, d'abord, qui compte pour la moitié des diagnostics. Entre 2002 et 2016, les cas sont ainsi passés de 1 000 à 6 500, soit une multiplication par six en moins de 15 ans. Même tendance pour la gonorrhée, qui a bondi de 270 à 1 500 cas. Complète le podium une infection qui était pourtant devenue rare en Belgique : la syphilis. Le nombre des diagnostics, de 46 en 2002, est passé à 940 en 2016 ; soit une multiplication par vingt.
Le préservatif moins systématique
Chlamydia, gonorrhée et syphilis ne frappent pas uniformément, précise Sabine Stordeur, experte au KCE, et co-auteure du rapport. « La chlamydia est plus fréquente chez les jeunes femmes, tandis que la gonorrhée et la syphilis le sont davantage chez les HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, ndlr) ». Parmi les populations les plus à risque, l'experte cite également « les travailleurs et travailleuses du sexe, mais aussi les étudiantes qui, pour arrondir les fins de mois, pratiquent ponctuellement des services sexuels », un phénomène en expansion en Belgique.
S'il est difficile d'isoler une seule cause de cette recrudescence, une certitude : les IST profitent du recours moins systématique au préservatif. « Les grandes angoisses liées au VIH, aujourd'hui considéré comme une maladie chronique dont on ne meurt plus, se sont estompées, témoigne Sabine Stordeur. Les jeunes générations baissent la garde et s'exposent davantage aux IST ». En France, une étude menée en 2018 par la Smerep en témoigne : un étudiant sur deux y confiait ne pas utiliser systématiquement de préservatif lors de ses rapports sexuels.
Briser le tabou de la santé sexuelle
Les autorités l'ont compris, l'urgence est au dépistage. « Il y a un grand déficit en la matière, souligne l'experte du KCE, notamment auprès de celles et ceux qui ne se sentent pas à risque ». En effet, si les HSH, mieux informés, ont davantage le réflexe du dépistage, ce n'est pas le cas du reste de la population, pourtant elle aussi largement concernée par les IST.
Pour y parvenir, le KCE a choisi de cibler un corps de métier : les médecins généralistes. Ces derniers sont jugés trop peu actifs, délégant la santé sexuelle aux centres spécialisés ou s'abstenant tout simplement d'en parler, par gêne ou manque de connaissances. Les experts leur ont créé un guide de sensibilisation et d'information, pour les inciter à ouvrir le dialogue et proposer plus simplement les dépistages.
Médecins mal à l'aise
« Seules 15 % des IST sont diagnostiquées par le généraliste, c'est trop peu », confirme Thierry Van der Schueren, généraliste lui-même et responsable de la cellule Sexualité et santé à la Société scientifique de médecine générale. « Les médecins ne sont pas suffisamment formés, et ne sont donc pas toujours à l'aise. Or si le médecin n'est pas à l'aise, il y a peu de chance que le patient le soit. Résultat, on n'en parle pas. »
Un mutisme que peut accentuer le type de sexualité. « Beaucoup d'hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes n'en parlent pas à leur généraliste », témoigne Stephen Barris, coordinateur chez Exæquo, la seule association bruxelloise de promotion de la santé auprès du public HSH. « Ils craignent d'être jugés et discriminés, et de devoir affronter un discours hétéronormé qui ne permet pas un échange constructif. Or c'est dommage, car le généraliste est en première ligne, et qu'on ne parle jamais assez de sexualité ».
Élargir le dépistage aux partenaires
Le guide produit par le KCE sera bientôt complété d'un outil informatisé, utilisable par le médecin durant sa consultation : il lui indiquera quelles questions poser, quelles situations à risque doivent alerter, mais aussi quels dépistages effectuer. Selon les pratiques sexuelles (pénétration vaginale ou anale, sexe oral, etc.), les « sites » à tester varient en effet (gorge, urine, anus). De même, selon les symptômes observés, l'outil peut indiquer au médecin procéder au traitement immédiatement sans attendre les résultats d'analyse.
En outre, en cas de dépistage positif, médecins et patients disposent d'ores et déjà d'un système d'alerte des partenaires : le premier fournit au second un code qui lui permet de prévenir anonymement, via un site internet (partneralert.be), ses précédents partenaires sexuels et les inciter au dépistage.
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