Courrier des lecteurs

Le Covid-19, source de discrimination pour certaines populations

Publié le 07/05/2020

Le COVID-19 a permis à de nombreuses administrations de tester le télétravail. La Sécurité Sociale n’a pas été la dernière structure à se lancer dans cette aventure. Ainsi, nous avons pu observer l’efficacité des agents de cette caisse qui inondent nos boîtes mails de messages divers, et de recommandations (certaines ayant été déjà envoyées par d’autres structures).

De cette manière, nous avons pu apprendre qu’il avait été décidé de renouveler de manière automatique les attestations d’AME (ce ne sont pas des cartes à puce, mais des attestations plastifiées) qui arrivaient à expiration. Cependant, les détenteurs de ce sésame (le plus souvent des étrangers en situation irrégulière) éprouvent de grosses difficultés pour avoir accès aux soins. Les PASS (permanence d’accès aux services de soins) sont fermées, et de nombreux médecins généralistes de terrain refusent la carte plastifiée de ces personnes. Cette attitude n’est pas conditionnée par un quelconque idéal politique, mais une réalité de terrain bien plus triste.

Lorsqu’un soin est effectué pour un détenteur de l’AME, le praticien doit établir une feuille de soins qu’il envoie dans le centre de référence du patient. Il est par ailleurs impossible avec des numéros commençant par un 8, 7… de trouver sur le fichier d’Améli la caisse de rattachement du patient car il n’est pas référencé sur ces fichiers. Le médecin qui arrive à trouver la caisse de rattachement envoie la feuille, et il se fait rembourser au bout de 2 à 3 mois.

Risque de retards de paiement

Imaginez les retards de paiement que pourront observer les médecins, qui en période de pandémie de Covid-19 envoient leurs lettres à la Poste. Outre les retards dus à « la réorganisation » de la Poste, le traitement de ces feuilles du fait du télétravail sera sérieusement retardé !

Une autre solution très simple consiste à laisser son courrier dans une boîte à lettres de la CPAM du département. Malheur, car dans notre département elles sont tout bonnement scotchées et collées du fait d’intrusions multiples dans cette brèche. Le directeur de la CPAM a-t-il peur des bras musclés du virus qui peut agresser les rares agents de la Sécu sur le terrain, ou manque de personnel pour relever le courrier ?

Tout cela pour dire que les médecins acceptant ces patients (on ne fait aucune ségrégation), s’exposent à des retards de paiement, mais ils tiennent encore à soigner tous les patients ! Comble de malchance pour ceux-là, ils bénéficient du fait de leur investissement vis-à-vis de ces populations de recommandations au téléphone de la part d’une préposée de la CPAM qui suit le listing informatique des « mauvais télétransmetteurs » reçu sur son ordinateur. En fait, cet agent de la Sécurité Sociale leur demande, de manière assez insistante, les raisons qui les poussent à ne pas réduire le nombre de feuilles de soins, et ne pas effectuer 90 % de télétransmissions ; une politique de rééducation comme du temps de Mao.

Eh oui, le monde n’est pas constitué que de clones ayant les mêmes comportements, mais visiblement l’administration ne le comprend pas car elle est dans sa tour d’ivoire ! Malheureusement ce comportement « trop administratif et peu imaginatif » marginalise encore plus une frange de la population. Or, il ne faut pas l’oublier c’est de cette façon que nous observons certaines pathologies autrefois en voie d’éradication ; tout simplement car elles ne sont plus dépistées.

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EXERGUE : Les détenteurs de l'AME - le plus souvent des étrangers en situation irrégulière - éprouvent de grosses difficultés pour avoir accès aux soins.

Dr Pierre Frances, Médecin généraliste, Banyuls-sur-mer (66)

Source : Le Quotidien du médecin