Le nouveau visage des infections invasives à méningocoque

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Publié le 04/10/2024
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Sous les effets conjugués de l’obligation vaccinale contre le sérogroupe C et de la pandémie de Covid-19, l'épidémie d'infections invasives à méningocoque a connu de profonds bouleversements. Les habitudes des médecins sont à revoir : finie l'idée qu'une infection à méningocoque se traduit toujours par une méningite.

Le CNR de Pasteur est l’un des trois centres collaborateurs de l'OMS sur le méningocoque, avec les laboratoires d'Oslo et d'Atlanta

Le CNR de Pasteur est l’un des trois centres collaborateurs de l'OMS sur le méningocoque, avec les laboratoires d'Oslo et d'Atlanta
Crédit photo : Damien Coulomb

À l’Institut Pasteur, le centre national de référence (CNR) des méningocoques et des Haemophilus influenza reçoit des échantillons de toute la France, provenant de patients avec suspicion d’infection à méningocoque invasive. Les chercheurs compilent les données de tous les cas diagnostiqués de cette maladie à déclaration obligatoire. Depuis 2019, le CNR le constate : l’épidémie a profondément changé de visage.

Il existe quatre sérogroupes majeurs de méningocoque : B, C, Y et W. Historiquement, le méningocoque C était dominant jusqu’à l’obligation vaccinale des nourrissons contre ce sérogroupe en 2018 (il était recommandé dès 2009). À cela s’ajoute l'effet du confinement qui a diminué de 75 % le nombre de nouveaux cas, avant un spectaculaire rebond entre les années 2020 et 2023 (1).

En 2023, 560 cas d’infections invasives à méningocoque ont été déclarés, soit une augmentation de 72 % par rapport à 2022, et un niveau supérieur aux 400 cas observés en moyenne avant la pandémie. Le méningocoque C est devenu rare, tandis que les sérogroupes Y et W représentent maintenant la moitié des cas. Or ces derniers sont associés à une plus forte mortalité, et une grande variété de formes cliniques souvent mal interprétées. Par exemple, en 2024, le CNR a reçu un nombre important de signalements d'épiglottites à méningocoque chez des adultes attribuées à tort à des Haemophilus influenzae de sérotype B.

Formes typiques et formes atypiques

« Dans les 19 premières heures, l'infection invasive à méningocoque a une présentation fruste et peu alarmante : fièvre, syndrome grippal, myosite, douleurs abdominales et marbrures, explique le Dr Samy Taha, du service des Maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Saint-Louis à Paris (AP-HP). À ce moment-là, moins de la moitié des personnes sont envoyées à l'hôpital. » C'est au cours des heures qui suivent que le patient peut évoluer vers des formes habituelles (méningite, sepsis, forme respiratoire et purpura fulminans) ou inhabituelles (péritonite, diarrhée, abdomen aigu, fasciite nécrosante, arthrite septique, épiglottite, ventriculite, péricardite).

« Les formes abdominales sont désormais plus fréquentes, en particulier chez les jeunes », explique le Dr Taha. Malgré le passage systématique à l'hôpital et une prise en charge intensive, le taux de mortalité est très élevé dans les formes atypiques : 13,5 % pour les pneumonies bactériémiques, 15,1 % pour les formes abdominales, et environ un quart des survivants souffrent de séquelles handicapantes. À titre de comparaison, la mortalité globale des infections à méningocoque (formes typiques et atypiques) est de 7,6 %.

« Beaucoup de médecins, y compris des grands noms français, font encore la confusion entre méningite et infection à méningocoque, et s'imaginent qu'il faut impérativement faire une ponction lombaire pour établir le diagnostic », explique le Pr Muhamed-Kheir Taha, directeur du CNR. Le spécialiste pointe du doigt la manière dont cette pathologie est enseignée : « Il faut connaître toutes les formes cliniques ! », insiste-t-il.

Pour le Dr Samy Taha, son fils, il faut mettre au point des algorithmes diagnostiques pour aider les médecins. « Si on envoie à l'hôpital tous les patients qui se présentent en consultation avec des douleurs abdominales, on risque de se faire des ennemis », sourit-il. Les facteurs de risque de formes graves sont, du reste, assez mal connus. La littérature en a pourtant identifié un certain nombre : certains déficits immunitaires, et en particulier le déficit en complément, l'asplénie, la greffe de cellules souches, l'infection par le VIH, l'âge, les professions de santé exposées, les voyages dans les zones endémiques, la carrière militaire… La pauvreté a également récemment été identifiée comme un facteur de risque. « Nous avions réalisé une étude au cours de laquelle nous avons déterminé qu’être bénéficiaire de la CMU-C (ancien nom de la complémentaire santé solidaire, NDLR) était un facteur spécifique d'hospitalisation à la suite d'une infection invasive à méningocoque », précise le Pr Muhamed-Kheir Taha.

Des tests invasifs et compliqués

Les infections invasives à méningocoque posent aussi le problème du test diagnostique : il n'est pas possible de se fier à des tests salivaires ou rhinopharyngés dans la mesure où 10 % de la population est porteuse de méningocoque dans la salive sans être malade pour autant, et que tous les patients victimes d'infection invasive ne présentent pas forcément de bactéries dans la salive. Il faut donc faire des prélèvements de sang, de liquide synovial ou de liquide céphalorachidien.

Les difficultés du diagnostic et la rapidité à laquelle une infection à méningocoque invasive peut tuer un patient poussent le Pr Taha à considérer la prévention vaccinale comme le seul moyen véritablement efficace de bloquer l'épidémie. Selon le nouveau calendrier vaccinal 2024, la vaccination tétravalente ACWY est désormais recommandée chez le nourrisson et les adolescents de 11 à 14 ans (avec un rattrapage vaccinal chez les 15-24 ans) . « On espère que ces nouvelles recommandations vont prendre, déclare le Pr Taha, En particulier chez les adolescents et les jeunes adultes pour qui la vaccination n’était pas recommandée jusqu'à présent. »

La stratégie a fait ses preuves. Le Royaume-Uni avait quatre à cinq fois plus de cas d'infection invasive à méningocoque que la France au début des années 2000, et en compte maintenant moins depuis que le pays a mis en place une politique de vaccination très agressive en 2015. « Il n'y a pas d’âge pour se faire vacciner !, insiste le Pr Taha. La mortalité est d'ailleurs plus élevée chez les personnes âgées. » Et le Dr Ala-Eddine Deghmane, responsable adjoint du CNR, d'ajouter : « Il y a trois pics de risque de contamination au cours de la vie : avant un an, entre 15 et 24 ans et chez les seniors à partir de 65 ans ».

Micro-infarctus viscéraux

Des travaux menés au sein du laboratoire du Pr Taha s'intéressent tout particulièrement aux formes viscérales de la maladie. « En 2012, nous avions eu le cas d'une jeune fille partie en Erasmus qui était rentrée en France à la suite de maux de ventre, se souvient le Pr Muhamed-Kheir Taha. Faute d’avoir compris assez vite l'origine des douleurs – on pensait à une intoxication alimentaire – elle est décédée pendant le transport vers l'hôpital. Ce cas tragique est la démonstration que, quand la maladie se déclare, c'est une question d'heures. »

Selon une étude menée il y a quelques années, 20 % des patients français admis à l'hôpital pour une présentation abdominale d'une infection invasive à méningocoque subissent une appendicectomie car on soupçonnait à tort une inflammation de l'appendice iléo-cæcal. « C'est non seulement inutile mais en plus c'est dangereux, renchérit le Pr Taha. En coupant un vaisseau infecté, on peut propager l'infection. »

Afin de mettre au point de nouvelles méthodes de diagnostic et de traitement, l'équipe du CNR explore l’une de leurs hypothèses sur des souris transgéniques : l'existence d'un tropisme du méningocoque pour les vaisseaux de l'épiploon. L'analyse de coupes histologiques a confirmé la présence de minuscules infarctus au niveau des vaisseaux sanguins entre les cellules adipeuses qui composent majoritairement ce tissu. La raison : la sécrétion d'endotoxines par le méningocoque provoque la production par les cellules adipeuses d'un facteur de coagulation. « Cette enzyme pourrait être ciblée par un traitement », prévoit le Pr Taha, qui espère ainsi « utiliser ce levier pour réduire la réponse inflammatoire et le risque hémorragique, et ainsi diminuer la mortalité en dessous de 10 % ». Ces résultats sont en cours de confirmation chez l’homme. Pour soutenir la recherche, le Pasteurdon aura lieu cette année du 9 au 13 octobre.

(1) S. Taha et al., Journal of Infection and Public Health, vol 16, n° 12, p 1954-1960, décembre 2023
Les recommandations de prise en charge sont disponibles sur le site du CNR Méningocoque et Hæmophilus influenza.


Source : Le Quotidien du Médecin