« Medice, cura te ipsum ». Les médecins doivent-ils exiger d’eux-mêmes ce qu’ils exigent des autres ? Si c’était avéré, les soignants devraient vivre bien plus longtemps que leurs congénères. Pourtant, ce n’est pas tout à fait le cas, même si les données manquent nettement dans ce domaine, et en particulier en France.
Que sait-on de façon objective ? Qu’en 1999 au Japon, l’espérance de vie des médecins nés après 1926 s’établissait à 77 ans (contre 80,5 ans dans la population générale). Mais cette statistique ne prenait en compte ni les médecins morts pendant la deuxième guerre mondiale, ni les femmes. Pourtant, dès 1995, la revue Lancet s’alarmait déjà devant l’inégalité de survie entre les deux sexes mettant en avant l’influence du stress et du burn-out chez les femmes médecins.
3 068 faire parts analysés
Depuis 2016, avec la parution d’une grande étude britannique sur la mortalité des médecins, on connaît un peu mieux les facteurs qui majorent ou minorent le risque de décès prématuré. Les investigateurs ont analysé 3 068 faire-part de décès publiés dans le British Medical Journal entre 2003 et 2012 (350 par an en moyenne, ce qui représente la moitié des décès de médecins dans le pays). En moyenne les médecins anglais sont décédés à 78,5 ans (contre 81 ans dans la population générale).
Une fois de plus, les investigateurs ont noté que les hommes médecins vivaient plus vieux que les femmes : en moyenne de 3,8 ans. Mais les femmes ne représentaient que 15 % de l’échantillon analysé. Dans cet article, aucune explication n’est donnée à cette différence en dehors d’un possible effet protecteur du nombre des enfants. En effet, chaque enfant (dans la limite de 5) majore l’espérance de vie de 1,1 an. Seuls les pédiatres n’ont pas vu leur espérance de vie majorée avec la parentalité.
Pour analyser l’impact d’une éventuelle maternité, les auteurs ont pris en compte la vie matrimoniale puisque dans cette génération la parentalité hors mariage était rare. Dans cette cohorte 96 % des médecins hommes étaient ou avaient été mariés contre 82 % des femmes ; et ces chiffres allaient de 99 % pour les gynécologues hommes à 58 % pour les femmes chirurgiens.
Les anesthésistes à risque, les médecins de santé publique protégés
La spécialité exercée influe-t-elle sur la durée de vie ? Indéniablement. En prenant la référence de l’âge moyen de décès de 78,5 ans, les auteurs différencient des spécialités protectrices qui majorent la survie : santé publique +5,1 ans, gynécologie-obstétrique +3,1 ans et biologie +2,3 ans. À l’inverse, les pédiatres perdent 2,8 ans, les radiologues 3,5 ans, les psychiatres 3,8 ans et les anesthésistes 5,2 ans.
Bref, les anesthésistes vivent moins longtemps que les mineurs de charbon ou les ouvriers du bâtiment (76,6 ans).
Dans cette étude, un chiffre interpelle : les urgentistes décèdent en moyenne à 57,5 ans. Mais la cohorte n’a inclus que 17 urgentistes sur les 3 342 et cette spécialité est nouvelle en Grande Bretagne aussi, ce qui pourrait expliquer les résultats retrouvés.
Le dernier facteur influant sur la durée de vie est le lieu d’habitation, dont on ne sait pas si c’était le lieu d’exercice. Les médecins londoniens vivent en moyenne 2,4 années de plus et ceux qui vivent en Irlande du Nord 3,4 ans.
Moins de complications du tabagisme ou de maladies cardio-vasculaires
De quelle pathologie fatale sont atteints les médecins qui décèdent entre 25 et 74 ans ? En 1997, une étude menée sur 20 000 médecins consultants du NHS précisait les causes de décès des médecins à partir de l’analyse de 2 798 certificats de décès sur 30 années. Chez ces praticiens, les décès d’origine cardio-vasculaires, les cancers du poumon et les autres pathologies en lien avec le tabagisme étaient moins élevés que dans la population globale. En revanche, le taux de suicide était plus élevé.
L’analyse par spécialité montre une surreprésentation de certaines pathologies dans des contextes particuliers : ainsi les gynécologues obstétriciens se suicident plus, les anesthésistes meurent plus de suicides, de cirrhose ou de mélanome. Les psychiatres eux aussi se suicident plus que la moyenne mais ils ont aussi plus tendance à décéder de cancer du côlon. Les radiologues succombent de maladies respiratoires, les chirurgiens de cancers ORL ou de la vessie et les ophtalmologistes à des cancers laryngés.
En France, très peu de données
En France, la CARMF estimait en 2005 que l’espérance de vie moyenne d’un médecin de 50 ans homme était de 32,67 ans et d’une femme de 37,89 ans. Ces chiffres sont tout à fait superposables à ceux de la population générale. Pourtant, en 2013, l’Académie nationale de chirurgie avançait une espérance de vie de 72 ans pour les chirurgiens libéraux. En 2017, le Dr Bernard Salengro, médecin du travail et vice président de l’Institut recherche et sécurité avançait que « la durée de vie d’un médecin est comparable à celle d’un ouvrier, pas d’un cadre supérieur ». Reste que ni l’Ordre des Médecins ni la CARMF ne disposent de données précises sur l’espérance de vie des médecins français. Pourtant, elles seraient très éclairantes.
Nishi M, Miyake H, Yamazoe M et coll. Life span of Japanese male medical doctors. J Epidemiol. 1999 Nov;9(5):315-9. McManus I. Increased mortality in women doctors. Lancet. 1995 Mar 25;345(8952):796-7.
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