Origine de l'épidémie de Covid-19 : les investigateurs de l'OMS ne peuvent conclure mais écartent l'hypothèse de la fuite d'un laboratoire

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Publié le 09/02/2021

Crédit photo : AFP

Après une vingtaine de jours d'enquête, la mission conjointe de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et de la République populaire de Chine n'a pu encore formuler que des hypothèses quant au scénario qui a abouti à l'émergence de la Covid-19 dans la région de Wuhan, en conférence de presse ce mardi 9 février. Une seule certitude cependant : l'hypothèse de la fuite du virus depuis l'un des laboratoires de la région est considérée comme « hautement improbable » par les 34 experts (17 chinois et 17 experts de l'OMS provenant de 10 pays) à pied d'œuvre depuis le 21 janvier.

La piste de l'accident de laboratoire a été écartée, compte tenu « de l'absence de projet de recherche identifié ou connu impliquant des coronavirus proches du SARS-CoV-2, explique le Pr Peter Karim Ben Embarek, directeur du programme de l'OMS spécialisé dans la sécurité alimentaire et les zoonoses, et chef de la délégation. Nous avons également interviewé les responsables des laboratoires de la région de Wuhan et aucun ne faisait état d'incidents ».

Les investigateurs se sont organisés en trois groupes de travail : épidémiologie, recherche moléculaire et recherche en santé animale. Au total, quatre hypothèses ont été réévaluées par les experts : la transmission directe à l'homme d'un virus muté depuis le réservoir animal, un passage à l'homme par le biais d'un réservoir intermédiaire, une introduction du virus dans la chaîne alimentaire, via des aliments congelés notamment et, enfin, l'accident de laboratoire.

L'hypothèse du réservoir intermédiaire privilégiée

À ce jour, une hypothèse est privilégiée : l'acquisition de mutation permettant une transmissibilité interhumaine au sein d'un hôte intermédiaire. La piste de la transmission directe du SARS-CoV-2 depuis l'hôte d'origine n'est pas pour autant écartée définitivement, mais semble peu probable. « La ville de Wuhan n'est pas un habitat pour les chauves-souris » qui sont les principales suspectes, « il est donc peu probable qu'elles aient été en contact suffisamment longtemps avec les habitants pour générer un cluster », estime le Pr Ben Embarek.

Quant à l'introduction du virus dans la chaîne alimentaire, cette éventualité est confortée par des données montrant que le SARS-CoV-2 survit bien à des basses températures et résiste à la congélation. Le groupe de l'OMS a cependant buté sur la difficulté de tracer l'origine des aliments vendus et consommés en lien avec le marché de Wuhan, au centre de l'épidémie de Wuhan.

La piste s'arrête

« La recherche de l'origine du SARS-CoV-2 doit se concentrer sur la compréhension de sa circulation dans les réservoirs animaux », poursuit le Pr Ben Embarek. C'est là que le bât blesse : malgré leurs recherches chez des chauves-souris et plusieurs réservoirs intermédiaires potentiels (pangolins, chevaux, animaux d'élevage…), les enquêteurs ne sont pas parvenus à retrouver une souche de coronavirus suffisamment proche du SARS-CoV-2. Les chercheurs ont également exploré la base de données de l'autorité nationale chinoise chargée de répertorier les pathogènes retrouvés dans les aliments. Sans succès.

À ce titre, le rapport d'expertise formule un certain nombre de recommandations pour les futures investigations sur l'origine de la pandémie : mettre en place des bases de données mondiales rassemblant les données moléculaires et cliniques, y compris provenant de l'animal, diversifier les sources d'information (en mobilisant les banques de sang par exemple), renforcer les moyens d'analyse sérologique, favoriser les recherches sur les réservoirs viraux, travailler sur le rôle potentiel de la chaîne du froid et le transport de nourriture congelée, etc.

Le marché de Wuhan n'est pas l'origine unique de l'épidémie

Le groupe d'experts a néanmoins progressé dans sa compréhension des premières étapes de l'épidémie chez l'Homme. Ils sont désormais en mesure d'affirmer que le marché aux animaux de Wuhan n'est pas un point d'origine unique. Un premier cas lié au marché a été détecté le 12 décembre mais un autre non lié au marché datait du 9 décembre. « Les séquençages montrent aussi une diversité génétique dans les virus prélevés en décembre, il n'y a donc pas une chaîne simple de transmission », ajoute le Pr Ben Embarek, estimant que des cas sporadiques ont dû avoir lieu dans les semaines précédentes, peut-être même dans d'autres régions.

Il écarte cependant l'hypothèse d'une circulation très active : « Les données des réseaux de surveillance des SARS et des influenzas n'ont pas montré une augmentation de l'activité au mois de novembre, argumente-t-il. Nous avons aussi regardé l'évolution des prescriptions dans la région au cours du mois précédent, les données d'analyse des banques de sang ainsi que les données de mortalité de la province. Il n'y a pas de preuve d'une circulation du virus avant décembre 2019. » Si les centres de santé de la région rapportent 76 cas évocateurs d'une infection pulmonaire compatible avec le SARS-CoV-2 au cours d'octobre et novembre 2019, le diagnostic de Covid-19 n'a pas pu être établi.


Source : lequotidiendumedecin.fr