LE QUOTIDIEN – La question des résistances bactériennes semble prendre une importance croissante en ophtalmologie, qu’en pensez-vous ?
Pr ISABELLE COCHEREAU* – Effectivement. Dans ses recommandations de 2004 sur les infections oculaires superficielles, l’Afssaps avait déjà attiré l’attention sur ce problème.
Ces recommandations s’adressent en premier lieu aux médecins généralistes, qui sont les premiers prescripteurs dans les conjonctivites, mais elles concernent naturellement aussi les ophtalmologistes.
Elles insistent sur l’origine virale et non pas bactérienne de la plupart des conjonctivites, qui relèvent d’un lavage mécanique associé à un collyre antiseptique.
L’antibiothérapie est réservée aux cas sévères ou lorsqu’il existe des facteurs de risque, et doit éviter les fluroroquinolones, puissantes, à spectre large, qui doivent, par conséquent, être gardées comme antibiotiques de réserve. La présentation des quinolones en collyre tend à les banaliser. Il faut avoir conscience de l’impact d’une utilisation trop large. Dernièrement, des publications américaines ont fait état d’une augmentation des résistances dans les isolats d’endophtalmie. L’usage systémique des fluroquinolones y est évidemment pour beaucoup. Mais la voie locale est également en cause.
Tous les antibiotiques sont-ils équivalents dans les conjonctivites bactériennes ?
Oui, leur efficacité est similaire et en conséquence, tout collyre antibiotique commercialisé peut être utilisé, habituellement 4 fois par jour pendant 7 jours. Le plus récemment mis sur le marché est Azyter, collyre à l’azithromycine, dont le schéma thérapeutique est le plus simple : une instillation matin et soir durant trois jours. Par ailleurs, grâce à sa demi-vie longue et à sa bonne pénétration intracellulaire, l’azithomycine est active contre Chlamydiae trachomatis. Les essais menés en Afrique ont montré que le collyre est aussi efficace que l’azithromycine per os contre le trachome. En pratique, c’est une donnée importante dans la lutte contre cette affection, puisque l’azithomycine orale est fréquemment détournée pour le traitement d’autres pathologies, en particulier les MST. Un collyre à l’azithomycine était d’ailleurs demandé par l’OMS.
En matière d’antibioprophylaxie, lors de la chirurgie ophtalmologique, quelles sont les recommandations ?
Il s’agit d’un problème essentiel, surtout pour la chirurgie de la cataracte, qui représente chaque année, en France, environ 600 000 interventions, dont 80 % dans le secteur privé. La tentation est grande pour les chirurgiens d’utiliser les fluoroquinolones en prophylaxie, par voie locale ou générale. Compte tenu du volume annuel de cataractes, cette pratique est loin d’être négligeable pour la pression de sélection de mutants résistants.
Un certain nombre d’experts se sont mis d’accord pour préconiser, dans les cas où le chirurgien décide de faire une antibioprophylaxie, l’injection de 1 mg de céfuroxime dans la chambre antérieure de l’oeil à la fin de l’intervention pour cataracte. Le céfuroxime a l’avantage de ne plus être beaucoup utilisé dans les pathologies extraoculaires, et de ne pas être un antibiotique de réserve. Quant à l’injection en chambre antérieure, elle limite la diffusion systémique.
Cette pratique, développée en Suède depuis une dizaine d’années, était en fait déjà reprise dans les recommandations de la Société européenne de chirurgie réfractive et de la cataracte (ESCRS) depuis 2005. Pour l’évaluer à grande échelle, une étude européenne a été menée. Initialement prévue sur 35 000 patients, elle a été interrompue prématurément, après recrutement de 16 000 patients, parce que l’injection de céfuroxime en chambre antérieure diminuait quasiment par 5 le risque d’endophtalmie postopératoire.
Au demeurant, les Suédois, qui tiennent des registres de qualité, n’ont rapporté aucun problème – à tel point qu’ils ont refusé de participer à l’étude européenne, l’estimant non éthique au regard de leurs propres résultats.
Aujourd’hui, la prévention par le céfuroxime en chambre antérieure, plutôt que par les fluroquinolones en collyre ou par voie systémique, ne paraît plus discutable. La seule difficulté est d’ordre pratique : à défaut de forme ophtalmologique adaptée, le chirurgien reconstitue la solution directement au bloc opératoire.
Quels autres messages souhaitez-vous faire passer ?
Les rappels sont toujours utiles. Face à un abcès de cornée, il est parfaitement licite d’employer une fluroroquinolone, éventuellement associée à un aminoside. Les cas graves doivent être adressés à un centre spécialisé, qui passera aux collyres fortifiés, plus concentrés et préparés à partir des solutions pour voie intraveineuse.
Dans la toxoplasmose oculaire, rétinite la plus fréquente en France, le traitement par pyriméthamine-sulfadiazine per os, avec son risque de syndrome de Lyell, est délaissé au profit de l’association pyriméthamine-azithromycine per os, aussi efficace et qui ne comporte pas ce risque grave.
Il faut enfin rappeler que les solutions hydro-alcooliques sont au moins aussi efficaces que la Bétadine pour le lavage chirurgical des mains, qu’elles sont souvent mieux supportées, et que lors du passage d’une salle à l’autre, situation fréquente en chirurgie ophtalmologique, il suffit de se frictionner les mains lorsqu’elles ont été lavées avec ces solutions, alors qu’il faut refaire un lavage complet avec la Bétadine.
*Fondation ophtalmologique Adolphe de Rothschild et hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris.
Le Pr Cochereau a présidé le groupe de travail à l’origine des recommandations de l’Afssaps, ainsi que le groupe de travail sur l’antibioprophylaxie dans la chirurgie ophtalmologique, en cours.
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