Les États-Unis remplissent désormais les critères pour intégrer la liste des pays, où les poliovirus dérivés du vaccin (PVDV) circulent, ont annoncé les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies américains (CDC), le 13 septembre.
Comme au Royaume-Uni et en Israël, des traces de PVDV ont été détectées dans les eaux usées de plusieurs comtés de l’État de New York. Et en juillet, un cas de polio dans le comté de Rockland, près de New York, a été identifié chez un jeune homme devenu paralysé à la suite de la maladie.
« Les séquences génétiques du virus du patient du comté de Rockland et des échantillons d'eaux usées prélevés à New York ont été liés à des échantillons d'eaux usées à Jérusalem, en Israël, et à Londres, au Royaume-Uni, indiquant une transmission communautaire », poursuivent les CDC.
Une « alerte collective »
Cette circulation d’un même PVDV dans les eaux usées de plusieurs pays et surtout ce « cas dramatique de paralysie » doivent servir d’« alerte collective » en faveur de la vaccination. « On oublie trop facilement que la vaccination est un acte de prévention indispensable », estime auprès du « Quotidien » Michel Zaffran, ancien directeur du programme de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l'éradication de la poliomyélite.
Les cas liés à la souche vaccinale, « qu’ils surviennent dans les pays occidentaux ou ailleurs », sont « un problème de vaccination », abonde Maël Bessaud, expert des poliovirus à l’Institut Pasteur. « Ils se produisent soit dans des populations où la couverture vaccinale est insuffisante, soit, comme à New York, dans une poche de population insuffisamment couverte », rappelle-t-il au « Quotidien ».
La circulation actuelle du PVDV dans les pays non endémiques dérive du vaccin vivant atténué oral contre le type 2 du virus, le Sabin. Excrété par les selles des vaccinés, le virus atténué peut infecter des non-vaccinés (par transmission orofécale) et a alors l’opportunité de se répliquer, de muter et de redevenir virulent.
Lorsque la souche de type 2 du virus sauvage a été déclarée officiellement éradiquée en 2015, un retrait synchronisé du vaccin atténué a été décidé : 150 pays sont ainsi passés du vaccin oral trivalent au vaccin oral bivalent qui ne contenait plus la souche atténuée de type 2. Mais certains continuent d’utiliser le vaccin oral trivalent pour mettre fin à la transmission de la polio, comme en Afghanistan et au Pakistan. Dans les pays exempts de poliomyélite, un vaccin injectable à base de virus inactivé est utilisé en routine. S'il protège contre la maladie, il n'empêche pas l'infection et donc la transmission.
Dans les pays où le vaccin inactivé est déployé, la circulation du PVDV, détectée par la surveillance environnementale, signifie « qu’une personne a été exposée au vaccin oral de type 2, sans doute en Afghanistan ou au Pakistan, peut-être en Afrique, a ensuite voyagé et a excrété ce virus qui a continué de circuler », explique Michel Zaffran. Le PVDV peut ainsi circuler dans une population non vaccinée ou protégée par le vaccin injectable inactivé.
« Des chaînes de transmission peuvent s’établir dans des zones disposant d’une bonne couverture vaccinale avec le vaccin inactivé sans qu’il n’y ait de cas de polio. La circulation reste silencieuse jusqu’au jour où le virus atteint une personne insuffisamment immunisée », précise Maël Bessaud. Le chercheur rappelle l'expérience d’Israël en 2014 où la surveillance environnementale a permis de détecter un poliovirus du Pakistan qui a circulé pendant un an sans déclencher de cas de poliomyélite grâce à une bonne couverture vaccinale. Mais, « pour stopper la transmission, le vaccin oral a été temporairement réintroduit ».
La circulation de PVDV continuera « tant que des gens entreront en contact avec le virus et lui permettront de se répliquer et de muter », poursuit Michel Zaffran, rappelant le nécessaire respect des mesures d’hygiène face à un risque de transmission orofécale. Si le risque est « faible » en termes de santé publique dans les populations vaccinées, des cas pourront toujours émerger chez les non-vaccinés, souligne-t-il, « comme on le voit aussi avec la rougeole qui refait surface par manque de vaccination ».
Dynamique épidémique difficile à suivre
Pour l’heure, la surveillance est compliquée par l’importance des cas asymptomatiques. « On estime que les cas symptomatiques qui vont développer une poliomyélite représentent moins de 1 % des personnes infectées par un poliovirus », souligne Maël Bessaud. Difficile dans ces conditions d’évaluer le niveau de circulation du PVDV à partir du nombre de cas identifiés. De même, la surveillance et l’analyse des eaux usées ne permettent pas de déduire le nombre de personnes infectées.
La méthode reste néanmoins utile pour attester de la circulation d'un variant vaccinal. En France, cette surveillance se met en place, via un groupe de travail*, coordonné par l'ANRS - Maladies infectieuses émergentes (MIE). Un protocole commun a été défini pour les prélèvements et analyses, et les sites pertinents à cibler (présence de populations potentiellement vaccinées avec la formule orale) ont été identifiés. Le dispositif devrait être effectif « dans les semaines qui viennent », assure le Pr Hervé Raoul, directeur adjoint de l’ANRS-MIE.
Pour l'heure, l’espoir que la circulation reste silencieuse (sans entraîner de cas de poliomyélite) réside dans la vaccination. Des campagnes ont été lancées dans les trois pays concernés. En France, où la vaccination infantile obligatoire confère une bonne protection à la population, une inconnue demeure quant à l’immunité des plus de 50 ans, alors que des rappels sont recommandés à 45, 55 et 65 ans. « On n’a pas de données sur l’immunité dans ces tranches d’âge », indique Maël Bessaud, qui porte un projet d’étude sur le sujet auprès de Santé publique France.
À l’échelle internationale, le passage général au vaccin inactivé est entravé par la persistance de flambées épidémiques. Dans ces pays, « le vaccin oral est indispensable pour stopper la circulation virale avant de vacciner avec l’inactivé », poursuit le chercheur.
Depuis mars 2021, un nouveau vaccin oral est disponible. Lui aussi vivant et atténué, il a été modifié génétiquement pour réduire au minimum le risque de réversion, c’est-à-dire le risque que la souche vaccinale ne redevienne virulente. L’OMS l’a autorisé en exigeant une surveillance environnementale pour s’assurer qu’il est génétiquement plus stable que la souche historique. « Au moins deux années de suivi sont nécessaires pour être sûr qu’une circulation ne permette pas à la souche de redevenir pathogène », précise Maël Bessaud, qui se montre confiant : « Ce vaccin sera au minimum aussi efficace que son prédécesseur. La crainte est qu’il ne soit pas meilleur et qu’il permette une réversion aussi facilement. »
Quel que soit le vaccin, l’enjeu est d’atteindre une couverture vaccinale suffisante. L’horizon doit rester celui de la « lutte contre le virus sauvage et le retrait du vaccin oral », juge l’ancien responsable du programme pour l'éradication de la poliomyélite. « Personne ne sera à l’abri tant que le virus n’a pas été éradiqué », conclut-il.
*avec SPF, l’Institut Pasteur, les CNR sur les entérovirus, l’Anses et Obépine.
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