« Aujourd’hui, aucun pays ne peut agir seul dans son coin pour faire reculer le problème de l’antibiorésistance. Et il est clair que seule une mobilisation internationale forte, bien coordonnée et dotée de moyens importants pourra permettre d’obtenir de vraies avancées. Et nous serions bien inspirés, en France, de prendre exemple sur ce qui se fait en dehors de nos frontières. Dans les pays scandinaves, par exemple, où il y a très peu de problèmes de résistances. On pourrait aussi regarder ce qui se passe aux États-Unis ou au Royaume-Uni où ce combat est mené au niveau politique au plus sommet de l’État et avec des moyens financiers conséquents », indique Céline Pulcini, professeuse d’infectiologie au CHU de Nancy et vice-présidente de l'Alliance mondiale contre la résistance aux antibiotiques (World Alliance Against Antibiotic Resistance).
Pour la Pr Pulcini, un tournant majeur a été l’engagement de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) lors de son assemblée mondiale en mai 2015 (lire aussi page suivante). L’institution sanitaire a alors engagé un plan d’action mondial pour combattre la résistance aux antibiotiques et aux autres anti-infectieux. « Surtout l’OMS a réussi à faire voter par tous ses États membres l’engagement de mettre en place des programmes nationaux de lutte contre l’antibiorésistance d’ici à 2017. C’est une mesure très importante », souligne-t-elle.
La Pr Pulcini se félicite aussi de l’engagement de deux pays qui pèsent d’un poids particulier au niveau de la scène internationale : les États-Unis et le Royaume-Uni. En janvier 2015, c’est le président Barack Obama en personne qui a annoncé un doublement des crédits fédéraux destinés au plan de lutte contre la résistance et à la recherche sur de nouveaux antibiotiques. Et le président a mis en place une stratégie nationale sur cinq ans (2016-2020) avec un budget de 1,2 milliard de dollars.
En 2014, le Royaume-Uni s’était elle aussi mobilisé au plus haut niveau de l’État. « Ce n'est pas une menace lointaine, mais quelque chose qui se passe sous nos yeux. Si nous échouons, nous ferons face à un scénario où les antibiotiques n'auront plus d'effet, nous renvoyant au Moyen Âge de la médecine », avait alors déclaré David Cameron, le premier ministre britannique. Dans la foulée, le Royaume-Uni a annoncé la création d’un fond (« the Fleming Fund ») de 195 millions de livres, afin de créer un réseau mondial de surveillance des épidémies, ainsi que les moyens d’y répondre dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires.
« Le groupe de travail britannique va jusqu’à préconiser la création d’un fond mondial pour lutter contre l’antibiorésistance en soutenant le développement des projets des groupes pharmaceutiques », souligne le récent rapport du Dr Jean Carlet, rendu public en septembre 2015.
« D’autres pays, tels que l’Allemagne ou le Canada, ont également proposé des pistes de réflexion pour combattre la résistance bactérienne. Cependant, au-delà des mesures adoptées par chaque État, seule l’adoption d’une stratégie mondiale et d’actions concrètes communes dans le cadre de conférences internationales, tels que le G7 ou le G20, permettra de lutter contre l’antibiorésistance, au moyen d’une approche globale incluant les humains, les animaux et l’environnement », souligne ce rapport, pour lequel la Pr Pulcini a dirigé un groupe d’experts sur le bon usage des antibiotiques (lire aussi page suivante).
« Nous avons notamment préconisé l’engagement de 200 millions d’euros par an pour financer la totalité de postes des membres des équipes multidisciplinaires en antibiothérapie (incluant les référents en infectiologie) dans les établissements de santé, et de 5 millions par an pour les centres régionaux de conseils en antibiothérapie. C’est très important de chiffrer le coût des mesures et d’évoquer la question des moyens. Car, très souvent en France, on rédige des rapports, on fait des annonces mais la question des moyens et de la déclinaison pratique des mesures est très souvent mise de côté. Alors que dans les pays anglo-saxons, cette question est cruciale et les moyens sont au rendez-vous. Les anglo-saxons sont aussi plus forts que nous en général pour assurer le suivi des mesures qui ont été annoncées », souligne la Pr Pulcini.
Pour une grande cause nationale
En France, le dossier « antibiotiques » est pour l’instant porté par le ministère de la santé qui vient de nommer le Pr Christian Brun-Buisson (service de réanimation médicale, Henri Mondor, Créteil) comme délégué ministériel à l’antibiorésistance. « On sent une réelle volonté du ministère de faire bouger les choses. Mais c’est vrai qu’on aimerait que ce combat soit porté par le Président de la République. Dans le rapport du Dr Carlet, on demande aussi que ce problème de l’antibiorésistance soit déclaré Grande cause nationale. Cela permettrait d’identifier clairement ce sujet comme une priorité de santé publique au niveau national. Et peut-être de provoquer chez chaque citoyen une prise de conscience de la nécessité de mieux utiliser, individuellement et collectivement, les antibiotiques ».
D’après un entretien avec la Pr Céline Pulcini, professeuse d’infectiologie au CHU de Nancy et vice-présidente de l'Alliance mondiale contre la résistance aux antibiotiques (World Alliance Against Antibiotic Resistance)
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