Les patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique (ICC) sont souvent âgés et présentent de nombreuses comorbidités : hypertension artérielle (HTA), obésité, diabète de type 2, maladie coronarienne, insuffisance rénale, bronchopneumopathie obstructive… Ils sont ainsi plus à risque d’être infectés par le SARS-CoV-2 et de développer des formes sévères de pneumopathie liée au Covid-19, la maladie cardiaque sous-jacente pouvant aggraver les conséquences de l’infection pulmonaire (3,4).
Une sévérité exacerbée par les maladies cardiovasculaires
Les patients atteints de maladies cardiovasculaires préexistantes représentent une proportion importante des décès au cours de cette épidémie, comme l’ont souligné d’emblée les premières données provenant de Chine. Ces dernières ont montré qu’environ 50 % des patients hospitalisés pour une infection par le SARS-CoV-2 présentaient une pathologie chronique, d’origine cardiovasculaire dans 80 % des cas. Alors que dans ce pays la mortalité de cette maladie virale était de 2,3 %, elle augmentait de 7,3 % chez les diabétiques et 10,5 % chez les patients ayant une pathologie cardiovasculaire préexistante. Une méta-analyse, portant sur six études ayant inclus 1 527 sujets atteints par le Covid-19 en Chine, a confirmé que les antécédents cardiovasculaires et leurs comorbidités métaboliques rendent les patients plus à risque d’être atteints par le SARS-CoV-2. Effectivement, le nombre d’HTA (17,1 %), de maladies cardiovasculaires (16,4 %) et de diabète (9,7 %) était notablement élevé. Ces pathologies exacerbent la sévérité de l’infection et leur prévalence augmente chez les patients les plus gravement atteints, hospitalisés en soins intensifs (chez lesquels elle est triplée en cas d’antécédents cardiovasculaires et doublée en cas d’HTA ou de diabète), par rapport aux sujets n’ayant pas nécessité de soins intensifs (5). Les données des équipes italiennes, portant sur 1 591 patients admis en unités de soins intensifs pour Covid-19, ont confirmé le rôle des comorbidités retrouvées dans 68 % des cas, l’HTA étant de loin la plus fréquente. Quant au sexe masculin, il prédomine (82 %) dans ces formes graves (6).
Deux fois plus de risques de décès en cas d’antécédents d’ICC
Depuis lors, les résultats des équipes américaines ont confirmé l’impact pronostique d’une ICC chez les patients hospitalisés pour une infection par le SARS-CoV-2. Parmi les 6 439 patients hospitalisés au Mount Sinaï Hospital de New York (âge moyen de 63,5 ans), ceux ayant un antécédent d’ICC ont un risque multiplié par 3,6 d'avoir besoin d'une ventilation assistée et un risque de décès 1,9 fois plus élevé, indépendamment de la valeur de leur fraction d’éjection ventriculaire gauche (7). Chez 8 910 patients hospitalisés en Amérique du Nord, en Europe ou en Asie (âge moyen de 49 ans), le risque de décès intra-hospitaliers est multiplié par 2,48 pour les patients avec antécédent d’ICC et par 2,7 pour ceux atteints de maladie coronarienne (8). Dans un registre de 132 312 patients insuffisants cardiaques hospitalisés entre avril et septembre 2020 (18 % pour IC aiguë, 6,4 % pour Covid-19 et 75,6 % pour d’autres raisons), l’infection par le SARS-CoV-2 est associée à une plus grande probabilité de décès hospitaliers (24,2 %) que l’IC aiguë (2,6 %) [9].
Des poussées congestives plus rares
À l’opposé, les complications cardiaques cliniques, notamment les poussés congestives lors d’une infection pulmonaire liée au Covid-19, apparaissent plus rarement (à l’exception des embolies pulmonaires), y compris chez les patients présentant des antécédents cardiovasculaires (2). Le registre international CAPACITY-COVID a inclus 3 011 patients (67 ans d’âge moyen) hospitalisés pour une atteinte pulmonaire due au SARS-CoV-2 et dont 31 % présentaient des antécédents de maladie cardiovasculaire. Une complication cardiaque n’est survenue que chez 11,6 % de ces patients : la fibrillation atriale (4,7 %) étant la plus commune, avant l’insuffisance cardiaque (1,8 %) et le syndrome coronarien aigu (0,5 %) ou l’arythmie ventriculaire (0,5 %). Une myocardite n’est apparue que chez 0,1 % des patients, alors qu’une embolie pulmonaire était diagnostiquée chez 6,6 % des sujets (2).
Des mécanismes indirects en jeu
Les mécanismes à l’origine de la susceptibilité des insuffisants cardiaques à développer des formes sévères de Covid-19, outre l’aggravation de la dysfonction myocardique sous-jacente par la majoration du travail cardiaque générée par l’infection, restent discutés (10). Une atteinte myocardique directe par le virus a été évoquée. En effet, celui-ci pourrait pénétrer dans les cellules cardiaques (de même qu’au niveau pulmonaire) après une liaison à une protéine membranaire lui servant de récepteur fonctionnel de la cellule haute : l’enzyme de conversion de l’angiotensine de type 2 (ACE2). Cette enzyme de contre-régulation dégrade l’angiotensine 2 en angiotensine 1-7, ayant des propriétés antioxydantes, antifibrosantes et anti-inflammatoires. Cependant, cette action directe du virus ne semble pas être l’élément déterminant. Les mécanismes indirects prédominent largement. Ils sont liés à l’hypoxémie induite par l’atteinte pulmonaire, l’inondation catécholaminergique et surtout la réponse immunitaire excessive. Cette dernière est à l’origine d’une inflammation intense avec une libération importante de cytokines, qui possèdent un effet myocardique toxique. En effet, l’augmentation des concentrations des marqueurs de souffrance myocardique apparaît d’autant plus importante que la maladie progresse et que l’état clinique se dégrade.
Les insuffisants cardiaques font ainsi partie des populations à très haut risque en cas d’infection par le SARS-CoV-2 et méritent de bénéficier au plus tôt de la vaccination !
*Fédération des services de cardiologie, CHU Toulouse-Rangueil
**UMR UT3 CNRS 5288 Evolutionary Medicine, Obesity and heart failure: molecular and clinical investigations. INI-CRCT F-CRIN, GREAT Networks
***Université Paul Sabatier-Toulouse III; Faculté de Médecine (Toulouse)
(1) European Society of Cardiology. ESC Guidance for the diagnosis and management of CV disease during the COVID-19 Pandemic.
https://www.escardio.org/Education/COVID-19-and-Cardiology/ESC-COVID-19…
(2) Linschoten M, et al. Eur Heart J Acute Cardiovasc Care 2020;9(8) :817-23
(3) Zheng YY, et al. Nat Rev Cardiol 2020;17(5):259-60
(4) Zhou F, et al. Lancet 2020;395(10229):1054-62
(5) Li B, et al. Clin Res Cardiol 2020;109(5):531-8
(6) Grasselli G, et al. JAMA 2020;323(16):1574-81
(7) Alvarez-Garcia J, et al. J Am Coll Cardiol 2020;76(20):2334-48
(8) Mehra M, et al. N Engl J Med 2020;382 :e102
(9) Bhatt AS, et al. JACC Heart Fail 2021;9(1):65-73
(10) Clerkin KJ, et al. Circulation 2020;141(20):1648-55
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