Le soutien surprise des États-Unis apporté mercredi à une suspension de la protection des brevets sur les vaccins anti-Covid par l'Organisation mondiale du commerce (OMC), pour augmenter la production, a suscité de nombreuses réactions.
« C'est une excellente nouvelle ! », réagit auprès du « Quotidien » la présidente d'Unitaid, Marisol Touraine, grande militante pour l'accessibilité des vaccins et des traitements. « La question des brevets en négociation à l'OMC est majeure ! Il s'agit d'une étape fondamentale vers ce qui doit être notre objectif principal : aucun pays ne sera à l'abri de la pandémie tant que tous les pays n'auront pas accès aux traitements et aux vaccins. » Pour l'ancienne ministre française de la Santé, le président américain a pris un leadership : « J'appelle l'Europe et la France à se saisir de cette initiative et à l'amplifier. » En visite au vaccinodrome de la Porte de Versailles, à Paris, le président de la République Emmanuel Macron a emboîté le pas du président américain et affirmé qu'il fallait faire des vaccins contre le Covid-19 un « bien commun ».
Le directeur général de l'OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus a également salué la déclaration du président de la Maison Blanche : « Il s'agit d'un moment monumental dans le combat contre le Covid-19 », se réjouit le Dr Tedros. Un enthousiasme partagé par Winnie Byanyima, directrice de l'Onusida. « C'est le genre de leadership global dont nous avons désespérément besoin, au moment où nous assistons à des scènes d'horreur comme en Inde, réagit-elle. À cette date, plus de 1,1 milliard de doses de vaccins ont été administrées, mais plus de 80 % l'ont été dans les pays à haut revenu, et seulement 0,3 % dans des pays à faible revenu. »
Médecins sans Frontières a également réagi, de manière plus nuancée, par la voix de son directeur exécutif pour les États-Unis, Benoît Avril : « Il est crucial que cette impulsion se concrétise, non seulement pour les vaccins préventifs, mais aussi pour tous les traitements et outils médicaux, a-t-il affirmé. Mais si les États-Unis veulent vraiment mettre fin à cette pandémie, il faut également qu'ils partagent les surplus de vaccins dont ils disposent avec le dispositif Covax. »
Une lutte de longue haleine
Malgré le soutien de Joe Biden, et celui vraisemblable de l'Union européenne − la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a dit que l'Union était « prête à discuter » de la proposition américaine − il faudra de longues négociations avant qu'un consensus ne puisse être trouvé, l'industrie pharmaceutique étant fermement opposée à ce projet.
À l’origine, l'Afrique du Sud et l'Inde ont déposé, le 2 avril dernier, une proposition qui a depuis recueilli le soutien d'une centaine de pays (Maroc, Égypte, Indonésie, Pakistan…) et de grandes ONG. Le texte initial proposait d'accorder une dérogation temporaire à certaines obligations découlant de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) afin que n'importe quel pays puisse produire les vaccins sans se soucier des brevets, mais aussi des médicaments et autres équipements.
Jusqu'à présent, l'UE ne se disait pas favorable, arguant que cette solution prendrait du temps, faute de moyens de production immédiatement mobilisables. « Dans l'immédiat, nous appelons tous les producteurs de vaccins à autoriser l'exportation et à éviter toutes les restrictions susceptibles de perturber les chaînes d'approvisionnement pharmaceutiques », a insisté Mme von der Leyen jeudi. La présidente de la Commission européenne évoque en creux le Royaume-Uni et les États-Unis, qui bloquent l'exportation de vaccins depuis leur sol au moment où l'Union Européenne est « la seule région démocratique à exporter à large échelle ». Plus de 200 millions de doses produites en Europe ont été exportées, soit autant de vaccins que l'UE n'en a fournis à ses propres citoyens, a-t-elle ajouté.
Le conseil général de l'OMC, l'organe de décision suprême, a débattu du sujet mercredi. Trois autres réunions consacrées au sujet doivent se tenir probablement d'ici fin mai puis le 8 et le 9 juin.
Un « game changer » ou presque
Pour le Dr Éric D'Ortenzio, infectiologue à l'hôpital Bichat (Paris) et responsable du département Stratégie et partenariat de l'ANRS, la renégociation des brevets « serait un véritable game changer ». Questionné par le « Quotidien », le Pr Alain Fischer, président du conseil d’orientation de la stratégie vaccinale, reste prudent. « Pour produire des vaccins, il faut la capacité juridique et technologique, explique-t-il. On peut imaginer des transferts de technologie, mais il faut aussi des hommes et des femmes pour produire les vaccins, des usines, des matières premières, de flacons et des bouchons. Tous ces produits sont aujourd'hui en forte tension dans le monde », craint-il.
Qu'à cela ne tienne, répond Marisol Touraine : « Il faut traiter tous les problèmes en même temps. En même temps que l'on traite l'aspect juridique, il faut permettre aux pays africains, latino-américains et asiatiques d'amplifier les moyens de production. Les entreprises pharmaceutiques sont généralement capables de concessions pour les pays les plus pauvres, mais il ne faut pas oublier les pays qui ont un peu plus de moyens mais qui sont aussi en difficulté. »
L'industrie pharmaceutique sur le reculoir
Pour Thomas Cueni, président de la Fédération internationale de l'industrie pharmaceutique (Ifpma), « supprimer les brevets ou imposer une suspension ne produirait pas une seule dose de plus. C'est avant tout une question de savoir-faire ». Les industriels qu'il représente font valoir l'effort financier réalisé par les laboratoires ayant développé les vaccins. En outre, les règles actuelles en matière de propriété intellectuelle prévoient, à leurs yeux, la possibilité d'accorder des « licences obligatoires », prévues spécifiquement pour des situations d'urgence. Quelque 275 accords de partenariat, y compris de transfert technologique, ont déjà été passés pour augmenter la production le plus rapidement possible et arriver à produire 10 milliards de doses en 2021.
Les industriels soulignent les problèmes de barrières douanières et de pénurie de certains ingrédients et outils. Ils craignent aussi que des fabricants moins aguerris n'accaparent des matières premières et ingrédients, voire du personnel, déjà difficiles à trouver sans arriver à produire des sérums sûrs. Selon eux, plus d'une centaine d'ingrédients entrant dans la fabrication de vaccins sont difficiles à trouver actuellement soit parce que leur exportation est bloquée, soit parce que la demande est trop forte.
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