L’addiction chez les sportifs, un sujet à part entière

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Publié le 01/08/2024
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Mens sana in corpore sano… Mais pas toujours. Si les chiffres de prévalence sont mal connus et très changeants d’une discipline à l’autre, les sportifs de haut niveau ne sont pas à l’abri des troubles addictifs. Les médecins et psychologues du sport ont identifié les moments à risque dans la carrière des athlètes, où tout peut basculer.

Les troubles psychologiques et les problèmes d’addiction ne sont plus un tabou chez les sportifs de haut niveau. « Un nombre croissant d’athlètes vient nous parler de leurs troubles psychologiques, en particulier après la fin de leur carrière », explique le Dr Vincent Gouttebarge, ancien footballeur professionnel, professeur au département de chirurgie orthopédique des centres hospitaliers universitaires d’Amsterdam et chef médical de la Fédération internationale des footballeurs professionnels (Fifpro).

Les données sont peu nombreuses sur l’importance réelle des addictions dans le sport de haut niveau. Le Comité international olympique a exploré le sujet en 2018 au moment de produire des déclarations de consensus sur la santé mentale. Ce texte a été publié en même temps que 11 textes parallèles, dans le British Journal of Sports Medicine. Dans l’un d’entre eux, le Dr Gouttebarge et ses collègues divulguaient les résultats d’une méta-analyse sur les différents troubles psychiques touchant les sportifs et anciens sportifs. Il en ressortait que 21,1 % des anciens athlètes et 19 % des athlètes en exercice reconnaissaient souffrir de troubles de l’usage liés à l’alcool.

La même année, une équipe de psychiatres américains avaient publié les résultats d’une enquête selon laquelle l’alcool, le cannabis, le tabac, les opiacés sur prescription et les psychostimulants en général étaient moins consommés par les athlètes de haut niveau que par le reste de la population générale. Mais certaines pratiques comme le binge drinking (alcoolisation massive) et la consommation de tabac inhalé, les opiacés qui ne font pas l’objet de description et les stéroïdes anabolisants sont au contraire plus fréquents chez les athlètes, en particulier dans les sports de puissance et de collision. « L’addiction aux jeux pourrait aussi être plus répandue, surtout chez les sportifs retraités », complète le Dr Gouttebarge. Il existerait donc un profil addictif propre aux athlètes.

Identifier les moments de faiblesse

Dans la carrière d’un sportif, trois moments sont particulièrement à surveiller au regard du risque psychique et addictif : « le début de carrière et l’entrée dans une structure d’entraînement, la fin de carrière avec la perte des repères et lors de tout évènement qui met en danger la carrière et la participation à des compétitions comme la contreperformance ou la blessure, et enfin les périodes de surentraînement », résume le Dr Sébastien Le Garrec, chef du pôle médical de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep, Paris). « Il y a aussi les risques liés à la pression familiale ou de l’entraînement », ajoute-t-il.

Pour Ornella Corazza, professeur en sciences de l’addiction à l’université de Trente, les sportifs en général, et certains sportifs de haut niveau en particulier, pâtissent également des nouvelles normes sociales en matière de représentation des corps et de la performance symbolisés par la « fitspiration ». Cette mouvance consiste à diffuser sur les réseaux sociaux des vidéos et photos faisant la promotion des physiques extrêmement minces et musclés, assortis de slogans et de conseil de fitness et d’alimentation. L’objectif initial est d’inciter les abonnés à adopter un mode de vie sain et sportif mais « cela a créé un véritable fossé entre notre apparence et celle que l’on est censé avoir, explique Ornella Corazza. Cela implique un certain nombre de risques, à commencer par celui de développer une addiction à l’exercice et aux produits augmentant la performance. »

À l’occasion d’une enquête menée au cours de la première période de confinement, sur une population de sportifs de haut niveau, Ornella Corazza et ses collègues ont relevé que les symptômes de manque vis-à-vis de l’exercice touchaient entre 16 à 25 % des athlètes interrogés, selon les pays. Dans 20 % des cas, les sportifs interrogés utilisaient des traitements pour améliorer leurs performances et leur physique. « Au Royaume-Uni, 30 % des répondants affirmaient prendre des amphétamines, indique la chercheuse. Il y avait aussi beaucoup de réponses positives concernant la prise de sibutramine ».

Entre dopage et addiction, une frontière floue

La consommation de substances addictives est-elle de nature à disqualifier un athlète d’une compétition ? Depuis 2021, le code antidopage intègre des produits comme la MDMA ou le cannabis. « Pour qu’une consommation soit prohibée, il faut déjà qu’elle ait le potentiel d’améliorer la performance sportive, décrypte Olivier Rabin, directeur principal du département Science et médecine de l’Agence mondiale antidopage. Ensuite, nous prenons en compte la protection de la santé des athlètes et enfin la protection de l’esprit du sport : une notion moins médicale que philosophique et éthique. »

Certaines substances sont interdites dans tous les cas de figure, comme les anabolisants, mais les narcotiques, opiacés et cannabinoïdes font l’objet de réflexions au sein de l’agence, notamment en ce qui concerne les seuils de détection. « Nous ne souhaitons pas sanctionner un consommateur régulier de cannabis, sauf si sa consommation récente peut avoir un effet sur la performance le jour de la compétition », assure Olivier Rabin.


Source : lequotidiendumedecin.fr