« DEPUIS LA CRÉATION des cellules d’écoute et d’accompagnement au sein de France Télécom, en 2008, le conseil national de l’Ordre a été alerté par plusieurs médecins du travail sur des risques de dérapage déontologique, explique au « Quotidien » le Dr André Deseur, président de la section Exercice professionnel au conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM). En octobre 2008, nous avions déjà jugé nécessaire de publier des « recommandations sur les dispositifs de prise en charge des risques psychosociaux » (lire encadré). Cette fois, c’est la publication d’un courrier adressé aux médecins du travail de France Telecom qui a fait déborder le vase. Il met les médecins du travail dans une posture tellement intenable que nous jugeons nécessaire de leur apporter publiquement notre soutien, à la fois pour les défendre et pour protéger les salariés de cette entreprise qui risquent d’éprouver une perte de confiance dans leurs médecins du travail. »
Dans son communiqué, le CNOM rappelle que « les dispositifs créés pour l’accompagnement doivent respecter la déontologie médicale (indépendance professionnelle des médecins du travail, secret médical...) ainsi que la confidentialité de la vie privée des salariés. Ils doivent enfin respecter le rôle et les missions impartis par le code du travail aux médecins du travail et maintenir ceux-ci dans le processus d’aide aux salariés souffrants. Cela implique, lorsque le médecin du travail assure lui-même l’accompagnement de ce salarié, que les moyens de cet accompagnement lui soient donnés et que ses recommandations soient entendues et mises en uvre. »
Est-ce à dire que tel ne serait pas le cas ? Présenté comme une pièce à conviction, un courrier électronique adressé par le médecin coordinateur aux médecins du travail évoque « des mesures d’urgence afin de protéger les salariés les plus fragiles et (d’) enrayer tous les phénomènes éventuels de contagion », suggérant qu’ « il peut être utile de déclencher une conférence sanitaire d’urgence avec les DRH pour passer en revue l’ensemble des personnes qui devraient faire l’objet d’une attention redoublée ».
Le secret bafoué ?
Pour le Dr Bernard Salengro, président du Syndicat général des médecins du travail CFE-CGC, « le secret médical est bafoué de manière flagrante, puisqu’il est demandé, en infraction avec le code de déontologie et avec le code pénal, de repérer les salariés psychologiquement fragiles sans les informer et de les signaler, à leur insu, à la direction. »
« À aucun moment nous n’avons demandé aux médecins d’établir des listes nominatives, proteste un responsable de la communication de France Télécom . Et si le courrier litigieux n’évoque pas expressément la notion de secret médical, c’est parce qu’il va de soi, s’agissant d’un médecin qui s’adresse à ses confrères. Cette correspondance s’accompagnait d’ailleurs d’un courrier signé du directeur des ressources humaines de France Télécom, Olivier Barberot, qui demandait aux médecins du travail de lui "indiquer, dans les limites du secret professionnel, les cas de salariés en situation de fragilité". Que ne nous aurait-on pas reproché si nous n’avions pas adopté des mesures d’urgence comme celle-là ? ».
Pour le Dr Deseur, « les documents publiés ne permettent peut-être pas, à eux seuls, de conclure que les limites du secret aient pu être franchies, mais plusieurs praticiens nous ont fait part des difficultés qu’ils rencontraient dans leur exercice professionnel. Ils nous ont indiqué qu’ils ressentaient de manière nette et répétitive les pressions de leur direction, nous demandant d’instaurer un coupe-feu. Quels que soient les démentis de France Telecom, les témoignages sont là : quand un salarié sollicite le médecin du travail dans le cadre des cellules d’écoute et d’accompagnement et qu’il fait l’objet d’un suivi, avec plusieurs rendez-vous, il s’expose à être fléché par sa direction, quand bien même le médecin du travail ne procède pas à un signalement à son sujet. La relation médecin-salarié s’en trouve gravement altérée. »
D’après le journal « Le Parisien », la révolte des médecins du travail est telle qu’une dizaine d’entre eux, parmi les 70 que compte l’entreprise, ont démissionné. « Cette information est une pure manipulation, rétorque-t-on chez l’opérateur, qui reconnaît seulement « deux démissions, de la part de médecins qui avaient invoqué, l’un et l’autre des raisons personnelles ». En septembre, Didier Lombard, le P-DG de l’entreprise, avait annoncé le recrutement de dix médecins supplémentaires. Finalement, France Télécom va finir l’année avec 68 praticiens, au lieu des 80 qui avaient été promis.
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