Alors que la stéatopathie liée ou non à l’alcool sera la principale cause de maladies du foie en Europe à l’avenir, quel dépistage proposer ? LiverScreen est la première étude prospective européenne à étudier ce sujet sur une large cohorte en population générale. Avec 5 % de patients à risque de maladie hépatique dépistés et la démonstration du rôle prépondérant des facteurs de risque, ce travail pose les premiers jalons en faveur d’un dépistage de la fibrose.
Pour de nombreux spécialistes, un dépistage organisé de la fibrose est une nécessité. Si la pathologie semble relativement répandue en population générale, la prévalence exacte reste inconnue. Depuis 2020, l’Association française pour l’étude du foie (Afef) préconise le Fibroscan pour le diagnostic et le suivi de l’ensemble des pathologies chroniques du foie, et l’Association européenne pour l’étude du foie est parvenue aux mêmes conclusions. L’Organisation mondiale de la santé a également émis des recommandations d’utilisation clinique du Fibroscan dans l’ensemble des indications de pathologies chroniques du foie. En France, cet examen non invasif est remboursé uniquement dans le cadre du diagnostic et du suivi des hépatites B et C.
Entre mai 2018 et décembre 2024, 30 541 patients de plus de 40 ans, sans fibrose connue, ont été recrutés dans neuf pays européens dont la France et l’Espagne (qui compte plus d’un tiers des participants). Leur degré de fibrose a été évalué par élastométrie en utilisant le Fibroscan (société Echosens). Les facteurs de risque étaient le surpoids et l’obésité, (respectivement 40 % et 26 % des participants), la dyslipidémie (53 %), l’hypertension (35 %) et le diabète de type 2 (10 %). En outre, 18 % des participants avaient une consommation problématique d’alcool (plus de 14 verres d’alcool par semaine chez les femmes et 21 chez les hommes), et 3,4 % avaient une consommation à risque (plus de 35 verres par semaine chez les femmes, plus de 42 pour les hommes).
La fibrose est bien associée au risque de maladie chronique
« À partir de 8 kPa, il y a une fibrose significative qui correspond à l’ancienne classification F2, explique le Pr Victor de Lédinghen, ancien chef de l'unité d'hépatologie et de transplantation hépatique au CHU de Bordeaux, et désormais chef médical d’Echosens. À partir de 10 kPa, la fibrose est plus marquée et correspond aux anciens F3, et au-delà de 15 kPa, le foie est atteint de cirrhose. » Dans l’étude, l’élasticité hépatique était de plus de 8 kPa chez 4,6 % des participants, supérieure à 10 kPa chez 2,5 %, et supérieure à 15 kPa chez 0,7 %. De tels chiffres étaient attendus, selon le Dr Pere Ginès, coordinateur de l’étude et hépatologue à la clinique Barcelona (Barcelone). « On s’attendait à trouver une prévalence de l’ordre de 5 % de patients à risque de lésion du foie, mais on voulait surtout savoir si les données d’élasticité étaient corrélées au risque de maladie hépatique », précise-t-il.
Les maladies hépatiques ont une histoire naturelle silencieuse qui dure parfois plus de vingt ans, ce qui laisse le temps d’intervenir
Dr Pere Ginès, hépatologue à la clinique Barcelona (Barcelone)
Les patients à risque étaient adressés à des hépatologues hospitaliers qui ont confirmé une maladie chronique hépatique avec fibrose chez 31 % d’entre eux. L’étiologie majoritaire (71 %) était la maladie hépatique stéatosique associée à un dysfonctionnement métabolique (MASLD, nouveau nom de la NAFLD). Complètement asymptomatiques, ces patients auraient pu n’être diagnostiqués que des années plus tard. « Les maladies hépatiques ont une histoire naturelle silencieuse qui dure parfois plus de vingt ans, rappelle le Dr Ginès. On a donc beaucoup de temps pour poser un diagnostic, intervenir et éviter ainsi les symptômes. »
La prévalence de la fibrose hépatique augmente avec le nombre de facteurs de risque, passant de 1,3 % en présence d’un seul d’entre eux à 21,6 % pour quatre présents, voire à 28,5 % si une consommation d’alcool trop élevée se surajoute. Les auteurs notent une association statistiquement significative entre stéatose et fibrose. En analyse multivariée, les facteurs prédictifs de fibrose hépatique les plus solides étaient l’obésité, le diabète de type 2 et la consommation d’alcool à haut risque.
Un dépistage fondé sur les facteurs de risque
L’un des objectifs de l’étude est de savoir si un dépistage universel des pathologies hépatiques aurait un intérêt. « Nous n’avons pas encore de réponse complète à fournir », prévient le Dr Ginès, mais quelques éléments sont d’ores et déjà clairs : « Premièrement, on sait qu’on doit fixer une limite d’âge à 40 ans », indique-t-il. Avant cet âge, le risque de maladie chronique est très faible, même en présence d’un syndrome métabolique ou d’un diabète de type 2.
« Le problème est que presque 70 % de la population européenne de plus de 40 ans présente l’un ou l’autre de ces facteurs de risque, ce qui nous obligerait à dépister toute la population », ajoute le Dr Ginès, pour qui, à ce stade, les données de LiverScreen plaident en faveur d’un dépistage opportuniste chez les médecins généralistes, à l’aide d’un algorithme simple.
Pour le Pr de Lédinghen, « il ne faudra sans doute pas dépister tout le monde, mais il est évident qu’un dépistage fondé sur les facteurs de risque permettrait de prévenir bien des complications. » L’ancien président de l’Afef ajoute qu’« un dépistage ciblé de la fibrose est nécessaire chez tous ceux qui ont un trouble de l’usage de l’alcool, chez les patients diabétiques et ceux atteints d’obésité. »
Les membres du consortium LiverScreen ont développé un score LiverRisk fondé sur six critères simples utilisables en médecine de ville. « Il est possible de s’en servir pour stratifier les patients et les orienter vers des examens plus poussés comme le Fibroscan », espère le Dr Ginès. Une étude est en cours en Croatie, en Espagne, au Danemark et en Allemagne pour valider le LiverRisk en conditions réelles, sur 6 000 à 8 000 personnes.
Une autre étude randomisée, l’essai LiverAIM, financé par l’Union européenne, est prévue sur 100 000 personnes, dont 50 000 témoins et 50 000 qui auront un dépistage. « Nous souhaitons vérifier que le dépistage réduit la mortalité de cause hépatique », précise le Dr Ginès.
Hépatite B : un score simple du risque de cancer du foie
Deux scores prédictifs combinant des facteurs comportementaux et biologiques permettraient d’évaluer le risque de carcinome hépatocellulaire (CHC) chez les patients atteints d’hépatite B. Tels sont les résultats de chercheurs Inserm du laboratoire Sesstim à Marseille. Les auteurs se sont fondés sur la cohorte ANRS CO22 Hepather et ses données de 4 370 patients atteints d’hépatite B chronique, dont 56 ont développé un cancer du foie au cours des huit années de suivi. Le premier score appelé Adaptt (compris entre 1 et 14) est déterminé à partir des six facteurs de risques majeurs identifiés : âge, surinfection par le VHD, consommation d’alcool à risque, taux de plaquettes inférieur à 200x109/L, consommation de plus de 20 paquets-années de cigarettes, traitement anti-VHB. Ce dernier paramètre est un reflet indirect du niveau d’atteinte hépatique, les antiviraux étant prescrits lorsque le virus est trop actif ou que le foie est sévèrement atteint, afin de ralentir la progression de la maladie.
Consommation de sodas
Le second score, Sadaptt (entre 0 et 13), reprend les six mêmes facteurs et en ajoute un supplémentaire : la consommation quotidienne de sodas, connue pour favoriser la stéatose hépatique. Un score Adaptt ou Sadaptt supérieur ou égal à 3 indique un risque accru de CHC. Les chercheurs, qui ont comparé ces deux scores avec des outils déjà existants, mais plus complexes, ont constaté que les performances prédictives étaient similaires. Ils estiment que leurs scores pourraient être utilisés très largement, en médecine de ville. La prochaine étape consistera à valider ces scores dans d’autres cohortes, dans des contextes géographiques variés. « Cela permettra de s’assurer que les scores ne sont pas influencés par des facteurs liés à l’origine ethnique », conclut la chercheuse du Sesstim Clémence Ramier.
C. Ramier et al., Liver International, 2025 ;45(4):e70065
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