LE QUOTIDIEN : Le Centre de crises sanitaires s’inscrit dans la continuité de la sous-direction de la veille et de la sécurité sanitaire. Quelles sont ses missions ?
MARIE BÂVILLE : Nous restons rattachés au Directeur général de la santé et nos missions principales restent les mêmes : la préparation et la gestion de crises sanitaires via notre centre opérationnel, le Corruss (Centre opérationnel de régulation et de réponses aux urgences sanitaires et sociales, NDLR). En revanche, il y a une vraie montée en puissance des moyens alloués à la gestion de crise : avec le Covid, les ministères ont décidé de créer un centre de coordination interministériel disposant de moyens élargis.
Dans une même entité, nous avons désormais des équipes qui travaillent sur la gestion des alertes et des crises sanitaires. En matière d’anticipation, elles mettent à jour régulièrement la cartographie des risques de demain, les doctrines et les plans gouvernementaux et nationaux qui pourraient être déployés pour préparer le système de santé à une situation exceptionnelle. Ces équipes agissent en collaboration avec une unité dédiée aux moyens à mettre en adéquation avec ces plans, y compris en ressources humaines (RH) à projeter sur le terrain. Enfin, toujours au sein de ce pôle, nous aurons une équipe, nouvelle, qui travaillera sur les exercices, les viviers et les retours d’expérience pour parfaire notre préparation.
Vous rédigez une feuille de route en ce moment. En quoi consiste-t-elle ?
Il s’agit d’une stratégie que nous partagerons avec les agences régionales de santé (ARS), les agences sanitaires et les collègues de l’interministérialité, afin de construire avec eux une réponse coordonnée pour faire face aux crises de demain. Un comité stratégique et trois comités techniques lui sont d’ailleurs dédiés.
Pour sa rédaction, nous avons commencé par nous fonder sur notre connaissance des alertes sanitaires que nous traversons aujourd’hui, afin d’anticiper celles auxquelles nous pourrions être confrontés dans les trois à cinq ans à venir. Nous avons sollicité le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et le Comité de veille et d'anticipation des risques sanitaires (Covars) pour qu’ils nous fassent parvenir leurs propres travaux. Cette étape étant achevée, nous allons maintenant définir les risques principaux, ainsi que les moyens et dispositifs à mettre en place afin de pouvoir y répondre.
Concrètement, comment prédit-on une crise qui n’existe pas encore ?
Nous nous ouvrons à un spectre assez large de crises. Tout le monde a en tête le risque infectieux, mais nous devons aussi anticiper la modification de la cartographie des risques sous l’effet du réchauffement climatique. Il existe aussi des risques technologiques, comme ceux liés aux cyberattaques ou aux troubles géopolitiques.
Avec le changement climatique et l’intensification des échanges commerciaux, des risques sanitaires nouveaux émergent. La présence sur notre territoire d'arboviroses et de leurs vecteurs ne cesse de progresser depuis les années 2000. Aujourd'hui, dès que l’on identifie des cas importés de dengue, de Zika ou de chikungunya sur un territoire où le moustique tigre est présent, on court le risque de voir une chaîne de transmission interhumaine se mettre en place.
Avec le changement climatique et l’intensification des échanges commerciaux, des risques sanitaires nouveaux émergent
Nous nous appuyons également sur nos réseaux d’agences – Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), Santé publique France –, qui assurent une veille sanitaire. C’est en analysant les alertes actuelles que nous pouvons déduire ce que seront les futures.
Nous étudions par exemple de près toutes les publications américaines sur les cas de transmissions de la grippe aviaire aux bovins. Il n’y a pas encore d’alerte de ce type sur le territoire national, mais nos équipes préparent déjà les éléments de réponse sur la base des données américaines.
Collaborez-vous avec vos homologues européens et internationaux ?
Oui, cette collaboration s’inscrit dans le cadre du règlement sanitaire international de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Nous échangeons des informations avec le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et l’OMS. Nous portons une vigilance particulière aux risques infectieux qui concernent les personnes susceptibles de venir en France.
Dans le centre, 70 personnes travaillent de façon permanente. De quels types de profils s’agit-il ?
Notre personnel est composé de profils très variés : médecins, pharmaciens, épidémiologistes, gestionnaires de crise, avec des collègues porteurs de diplômes dédiés, des cadres de santé et des cadres infirmiers. Nous avons également recruté des spécialistes de la communication de crise, dont une partie du travail est de lutter contre la désinformation et les fake news.
Le Corruss a un rôle central dans l’organisation. Comment fonctionne-t-il ? Quelles sont les conditions à remplir pour qu'il s'active ?
Au quotidien, le Corruss a pour mission de recueillir les signaux d'alerte qui proviennent soit des coopérations internationales, soit des ARS, soit de Santé publique France, qui est notre opérateur national en matière de veille sanitaire, ou d’autres agences sanitaires et partenaires. Une réunion dédiée aux signaux d'alerte sanitaire réunissant ces opérateurs a lieu tous les mercredis.
Les alertes peuvent aussi venir des centres opérationnels des autres ministères, comme celui de l’Intérieur ou de l'Environnement. En effet, nous ne sommes pas uniquement chargés d'articuler la réaction à des situations épidémiques ; nous pouvons également être amenés à gérer des événements d’autres types, par exemple les accidents industriels qui pourraient avoir un impact sur la santé.
À partir de l'analyse de ces signaux, plusieurs niveaux d'alerte sont activables. Au niveau 1, le Corruss est en veille opérationnelle. Au niveau 2, une équipe est dédiée à la gestion d’une crise importante mais locale, par exemple le choléra à Mayotte. Au niveau 3, c’est toute une task force qui est mise sur le pied de guerre, avec une salle consacrée à une crise importante, telle qu’une canicule majeure ou l’épidémie de mpox. Enfin, le niveau 4 est enclenché en cas de situation sanitaire exceptionnelle, comme l’a été la pandémie de Covid-19.
Des événements non médicaux peuvent-ils déclencher une réaction du Centre de crises sanitaires ?
Dans notre évaluation des risques, nous avons pris en compte tout évènement qui peut porter atteinte à notre système de santé. À ce titre, nous pouvons citer le risque énergétique et le risque cyber. Certaines équipes vont travailler sur la prévention et l'anticipation de ces types d’attaques, tandis que nous travaillons sur leurs impacts.
À titre d’exemple, il avait été annoncé un risque de délestage électrique lors de l'hiver 2022-2023. Nous avions alors conduit des travaux pour préparer les établissements de santé à un tel événement, et leur permettre de continuer à assurer les soins des patients à haut risque. Les hôpitaux figurent en effet sur la liste des structures qui ne doivent pas être délestées. Chacun d’entre eux est par ailleurs tenu de garder en réserve des groupes électrogènes bien entretenus pour faire face à des coupures de courte durée.
Nous pouvons aussi recevoir des alertes concernant des pénuries ponctuelles de médicaments essentiels. Notre rôle est alors de mettre en place des mesures d’application immédiate, avec l'ANSM, et en lien avec la sous-direction en charge des produits de santé de la Direction générale de la santé (DGS), qui travaille plus spécifiquement sur les questions de souveraineté en matière de médicaments.
L'alimentation en eau risque de devenir problématique dans un certain nombre de régions. Cela fait-il partie des situations auxquelles vous vous préparez ?
L'alimentation en eau en soi n'est pas de notre ressort. En revanche, nous assurons une veille sur tout ce qui relève du stress hydrique, car cela peut avoir un impact sur la qualité de l'eau de consommation humaine.
Les territoires ultramarins font-ils l'objet d'une surveillance particulière ?
Ces territoires sont sous surveillance du fait de certaines caractéristiques qui leur sont propres, comme le risque infectieux, qui n'est pas le même qu'en métropole, et le risque de catastrophe climatique, puisqu'une partie d’entre eux est exposée à un risque cyclonique.
Une autre particularité est qu'il s'agit de territoires éloignés et isolés. La problématique des renforts en RH se pose donc tout particulièrement. À Mayotte, par exemple, nous avons mis des moyens pour déployer la dernière campagne de vaccination contre le choléra. En Nouvelle-Calédonie, nous sommes également intervenus pour appuyer le système de santé dans les suites des épisodes de violence qui ont affecté le territoire.
Repères
Juin 2013
Création du Centre opérationnel de régulation et de réponses aux urgences sanitaires et sociales (Corruss)
2014
Première mobilisation maximale du Corruss lors de l'épidémie d’Ebola en Afrique de l'Ouest
2015
Les attentats de Charlie Hebdo et du 13 novembre obligent le Corruss à réorganiser la réponse hospitalière
2017
En Outre-mer, l'ouragan Irma et l'incendie du CHU de Pointe-à-Pitre mobilisent le Corruss
2020
La pandémie de Covid-19 fait prendre conscience de la nécessité d'amplifier le dispositif de réponses aux crises sanitaires
1er mars 2024
Création du Centre de crises sanitaires au sein de la DGS. Première mission : être activé 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 tout au long des Jeux olympiques et paralympiques
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
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