Chaque jour, en France, deux à trois personnes décèdent faute d’accès à la greffe. Plus de 20 000 sont inscrites sur la liste attente, tous organes confondus et, parmi ces patients, 10 000 doivent se tenir prêts, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, à être appelés si un organe est disponible pour eux.
La greffe rénale représente 62 % des transplantations en France : la maladie rénale chronique concerne 5,9 millions de Français (chiffre Ehesp), dont 56 700 (en 2022) sont en défaillance rénale et vivent grâce à la dialyse. C’est un enjeu de santé publique majeur qui met les décideurs et les professionnels de santé face au défi de la pénurie de greffons.
Dons après la mort : un taux de refus grandissant
En 2023, malgré la mobilisation remarquable des coordinations hospitalières de prélèvement, sur les 638 000 personnes décédées, seuls 1 512 donneurs en état de mort encéphalique (EME) ont pu être prélevés. On peut, certes, incriminer le taux d’opposition grandissant (36,1 % en 2023, un triste record). On peut aussi y voir l’effet de la mobilisation des équipes : plus elles rencontrent les familles, plus elles sont susceptibles de se heurter à des refus. Même si cela peut sembler paradoxal, c’est dans les régions où l’on prélève le moins que le taux d’opposition est le plus bas.
Il faut en parler, et ne pas renoncer à rencontrer tous les proches des donneurs potentiels, sans exception. Cela est bien plus efficace que l’abord ciblé des personnes dont on estime qu’ils sont plus enclins à restituer une position favorable du défunt. Un travail de fourmi, qui dépasse le champ de la communication et où chacun doit faire sa part.
La France à la traîne
Mais ne nous voilons pas la face, et regardons dans la bonne direction. La vraie marge de progression est du côté de la greffe rénale avec donneur vivant (DV). Certains pays ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, comme la Grande Bretagne ou les Pays-Bas, qui ont fait de cette option l’axe prioritaire de leur stratégie nationale. On réalise aujourd’hui deux fois plus de greffes rénales avec DV au Royaume-Uni qu’en France.
Tout plaide pour la greffe DV : la durée de vie du greffon est très significativement prolongée (l’ischémie froide est réduite) et la qualité de vie du donneur quasiment inchangée après la greffe. La logistique aussi est différente : on se donne rendez-vous pour deux interventions programmées (contrairement à la greffe avec donneur décédé, qui se fait toujours dans l’urgence). Et, sur le plan économique, la greffe est infiniment moins coûteuse pour notre système de santé, qui mobilise chaque année 3,6 milliards d’euros pour les patients dialysés.
La greffe est infiniment moins coûteuse pour notre système de santé, qui mobilise chaque année 3,6 milliards d’euros pour les patients dialysés
Malgré tous ces arguments, la greffe DV peine à atteindre ses objectifs, et seulement 14 dons croisés (procédure qui permet d’échanger les greffons rénaux entre plusieurs « paires » de donneur-receveur pour améliorer la compatibilité) ont pu être réalisés en dix ans en France, quand l’Italie en a fait 15, l’Espagne 24, et le Royaume Uni 128 en 2023 (1) !
Une procédure balisée
L’évolution des pratiques suppose la volonté de conduire le changement. Trop souvent, quand il s’agit de changer, nous entendons « c’est compliqué ! ». C’est compliqué pour les blocs opératoires, compliqué pour le personnel, compliqué à programmer, compliqué à organiser… Aussi, à l’hôpital, « c’est compliqué », cela veut dire : « non ».
Le donneur vivant, c’est pourtant la meilleure solution. À l’Agence de la biomédecine, nous avons considérablement accru nos efforts dans ce sens, avec la publication de nouvelles recommandations de bonne pratique sur le DV qui permettent, notamment, d’élargir les critères pour les donneurs et les receveurs, et qui renforcent et encadrent de façon plus précise et plus solide ces pratiques.
Cette année a également vu s’opérer un don croisé impliquant trois paires de donneur-receveur, une première en France. Mais surtout, depuis près d’un an maintenant, l’Agence a mandaté le Dr Laurent Durin pour qu’il accompagne, pas à pas, les établissements de soin et les équipes médicales sur cette voie. Le succès est au rendez-vous, et parfois dépasse toutes les attentes, cet accompagnement ayant permis à certaines régions de multiplier par dix le nombre de greffes réalisées avec un donneur vivant. Quand tout le monde s’y met, avec méthode et volonté, comme souvent en médecine, ce n’est pas si compliqué.
(1) Newsletter transplant, 2023, vol 28
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