L’Anses alerte sur la toxicité rénale associée à certains produits de lissage brésilien

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Publié le 16/10/2024

Depuis deux ans, plusieurs cas de néphropathie possiblement liés à l’utilisation de produits de lissage capillaire ont été publiés dans des revues scientifiques. Après le signalement de quatre cas d'insuffisance rénale aiguë en France en 2024, l’Anses déconseille leur utilisation, le temps d’obtenir les résultats d’une expertise qu’elle vient de commencer.

Crédit photo : Shutterstock/SIPA

L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) vient de publier une note dans laquelle elle déconseille l'utilisation de produits dits « de lissages brésiliens » contenant de l’acide glyoxylique à la suite de soupçons de toxicité rénale. Dans le cadre de ses missions de cosmétovigilance, l’Anses a en effet reçu depuis le début de l’année quatre signalements d’insuffisance rénale aiguë après l’application de ce type de produit en salon de coiffure.

Hospitalisées, ces quatre personnes âgées de 28 à 42 ans, intoxiquées entre janvier et août 2024, « ont guéri après un traitement », précise l'agence, qui a lancé une expertise de la toxicité rénale, en application capillaire, de cette substance chimique. L'acide glyoxylique employé dans les produits capillaires pour ses qualités d'agent lissant, a remplacé le formaldéhyde, classé cancérigène depuis 2013 et interdit en 2019.

Par mesure de précaution, l’Anses, la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) et la Direction générale de la santé (DGS) ont informé les professionnels des salons de coiffure et des commerces de produits cosmétiques de la possibilité de survenue d’insuffisance rénale aiguë en lien avec l’application de produits lissants contenant de l’acide glyoxylique. Un avertissement qui vaut aussi pour les particuliers.

Lorsque l'acide glyoxylique « passe dans le sang par le cuir chevelu, il peut se transformer en cristaux d'oxalat de calcium, qui vont causer des dommages rénaux », a expliqué à l'AFP la Dr Juliette Bloch, directrice des alertes et des vigilances sanitaires à l'Anses. « Il est très probable que d'autres cas soient passés sous les radars : parfois, la personne va aller boire et les cristaux vont s'éliminer, cela passera donc inaperçu. Et même s'il y a eu des insuffisances rénales diagnostiquées dans les heures qui suivent, la personne peut ne pas faire le lien », a-t-elle poursuivi. « L'intérêt de notre alerte est que les gens et notamment les médecins y pensent ». « Une vingtaine de cas ont été rapportés en Israël ces dernières années, la même chose que ce qui a été observé en France, et un en Suisse », a indiqué Sandrine Charles, cheffe de projet produits cosmétiques à l'Anses.

Des cas de néphropathies publiés depuis 2023

Des cas de néphropathies, parfois très sévères, sont publiés dans les revues médicales depuis 2023. En mars 2024, des médecins et chercheurs français avaient publié les données d'une patiente tunisienne de 26 ans ayant subi plusieurs épisodes de troubles rénaux sévères entre juin 2020 et juillet 2022 dans The New England Journal of Medecine.

Chaque crise avait été précédée de quelques heures d'un lissage réalisé dans le même salon, et se caractérisait par des vomissements, une diarrhée, de la fièvre et des douleurs dorsales. Les analyses sanguines ont révélé un taux de créatinine anormalement élevé. L'hypothèse de l'uropathie obstructive a pu être écartée par un CT scan, et les analyses d'urine ont confirmé la présence de sang et de leucocytes dans les urines. Chaque épisode s'est résolu assez rapidement, avec une normalisation de la créatinémie, et sans séquelles à long terme.

Les chercheurs ont poussé leur investigation et ont pu se procurer le produit utilisé pour le lissage par le salon fréquenté par la jeune fille. Cette crème contient 10 % d'acide glyoxylique mais pas d'acide glycolique. Ils ont alors appliqué la crème sur le dos d'une souris dont les analyses d'urine ont montré la présence de cristaux de monohydrate d'oxalate similaires à ceux déjà décrits après une intoxication à l’éthylène glycol. Les niveaux plasmatiques de créatinine de la souris exposée étaient également significativement plus élevés que ceux d’une souris non exposée. Le scanner a quant à lui révélé la présence de déformations tubulaires causées par des dépôts de monohydrate d'oxalate de calcium.

« Ces résultats apportent des preuves que cette crème lissante contenant de l'acide glyoxylique est responsable de néphropathies induites par des dépôts d'oxalate de calcium, concluent les auteurs. Ce composé devrait être retiré du marché ».

Précédente alerte de l’Académie de médecine

En juillet 2023, une équipe israélienne avait déjà publié une étude de 26 cas de patients ayant souffert de lésions rénales sévères, dont 3 ont dû être mis sous dialyse, après plusieurs lissages avec acide glyoxylique. L'âge médian était de 28,5 ans. Les symptômes les plus communs étaient des nausées, des vomissements, une douleur abdominale. Un rash au niveau du cuir chevelu était observé chez plus d'un tiers des patients (38 %). Concernant la sévérité, les troubles rénaux se sont chronicisés chez deux malades. Une biopsie réalisée chez 7 patients de l'étude a révélé des dépôts d'oxalate de calcium chez 6 d'entre eux, et une calcification des cellules du tubule collecteur rénal chez une personne. Toutes les biopsies présentent des signes de lésions tubulaires et une néphrite tubulo-interstitielle a été diagnostiquée dans 4 cas.

Dans son alerte, l'Anses précise que les signes d’insuffisance rénale apparaissent quelques heures après l’exposition à l’acide glyoxylique inclus dans les produits lissant. Ils se manifestent par des douleurs abdominales ou lombaires, des nausées et/ou des vomissements. En cas d’apparition de tels symptômes, il est recommandé de consulter rapidement un médecin ou d'appeler un centre antipoison, en indiquant bien l’utilisation d’un produit de lissage. Ces données avaient déjà conduit l’Académie de Médecine à alerter sur le risque d’insuffisance rénale aiguë causée par les produits de lissage brésilien en juin dernier. En octobre 2022, une étude des NIH associait par ailleurs l’utilisation de produits lissant pour les cheveux à un surrisque de cancer de l’utérus.

Malgré ces « suspicions concernant la toxicité » de l'acide glyoxylique, « les éléments actuels ne permettent pas de tirer de conclusions définitives » a cherché à rassurer le syndicat professionnel des fabricants de produits cosmétiques, la Fébéa.


Source : lequotidiendumedecin.fr