« La route est encore longue mais c’est un grand pas. Depuis les résultats obtenus sur le nettoyage des plaques amyloïdes chez la souris, cela fait 25 ans que l’on attend de pouvoir les reproduire chez l’Homme et traiter le processus pathologique », rapporte lors d’un live YouTube sur les nouveaux médicaments de la maladie d’Alzheimer organisé par la Fondation Recherche Alzheimer (FRA) le Pr Bruno Dubois, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et directeur scientifique de la fondation.
Après de nombreux échecs de l’immunothérapie, les nouveaux « disease modifiers », comme le lécanémab et le donanémab, semblent efficaces sur les lésions et aussi sur les symptômes avec plusieurs essais de phase 3 sur des milliers de personnes. « Il n’y a pas encore de stabilisation ni même de régression de la maladie, mais le déclin cognitif est ralenti chez les patients pris en charge au stade précoce », tempère le directeur de l'Institut de la mémoire et de la maladie d'Alzheimer (IM2A). Au bout de 18-19 mois, la différence de progression clinique est de 25-27 % pour le lécanémab, de plus de 30 % pour le donanémab.
À la suite de l’essai de phase 3 Clarity, le lécanémab des laboratoires Eisa et Biogen est autorisé depuis juillet 2023 aux États-Unis. Après le retrait du contesté aducanumab, c’est le seul traitement de la maladie autorisé outre-Atlantique. Après un faux bond de la séance initialement prévue mi-mars et ajournée (pour raisons de procédure sur la composition du groupe d’experts évaluateurs) sans qu’une date ne soit encore fixée, l’Agence européenne du médicament (EMA) doit rendre sa décision à son tour. Quant au troisième candidat, le donanémab du laboratoire Lilly, l’Agence américaine du médicament, la FDA, n’a pas accordé l’AMM début mars comme attendu, réclamant des données complémentaires de sécurité. Malgré ces contretemps et les déconvenues passées, les neurologues se préparent et attendent avec espoir une AMM européenne pour le lécanémab qui ouvrirait la possibilité d’un accès précoce en France.
Des critères d’éligibilité restreints
Toute la difficulté sera d’appliquer les résultats à la vraie vie. Le profil des patients éligibles devrait être proche de celui de l’étude, notamment pour des critères tels que : le stade précoce de la maladie bien sûr (ce qui signifie de refuser les patients à un stade plus avancé), mais aussi l’âge (quelle limite ?), les scores sur les échelles fonctionnelles et comportementales, les résultats d’IRM/ponction lombaire/TEP et l’absence de comorbidités cardiovasculaires. « Tous les patients ne seront pas de bons candidats, met en garde la Dr Hélène Mollion, du CMRR de Lyon en charge de la recherche. Les critères des essais sont très stricts, seuls 10 % des patients volontaires ont pu être inclus » .
Le traitement sera prescrit par les neurologues, gériatres et psychiatres. Pour sélectionner les candidats, la Pr Audrey Gabelle, neurologue au centre Mémoire de ressources et de recherche (CM2R) du CHU de Montpellier, se veut confiante. « Même s’il faut optimiser le parcours et le suivi, la France peut s’appuyer sur le maillage assuré par les médecins généralistes et la Fédération des CM2R », assure-t-elle. Un constat partagé par le Pr Dubois, qui nuance le propos en concédant « un impact sur le système de santé déjà en tension » au vu du coût de ces nouveaux traitements (26 500 dollars par an, soit 24 500 euros).
Bientôt des biomarqueurs sanguins pour dépister précocement ?
Un repérage plus précoce aura globalement un impact positif sur le parcours de soins. « Informer sur la maladie change la trajectoire cognitive à travers plusieurs leviers : activité physique, sommeil, appareillage d’une surdité, prise en charge d’un diabète et d’une hypertension artérielle », liste la Pr Gabelle.
À l’avenir, un repérage à large échelle pourrait être facilité à l’aide des biomarqueurs sanguins en développement, alors qu’actuellement le diagnostic repose sur un examen invasif, la ponction lombaire, non adaptée au dépistage de masse. Une étude récente publiée dans Nature Medicine* apporte la preuve d’une performance au moins égale. « Ces résultats obtenus dans des conditions optimales et contrôlées sont très encourageants mais il faut s’assurer qu’ils puissent être transposés en vie réelle, tempère le Pr Dubois. Si c’est le cas, cela ouvre des perspectives pour le diagnostic mais aussi la prévention avec un repérage précoce avant l’apparition de symptômes ». Des projets de recherche sur les biomarqueurs plasmatiques sont en cours en France. Mi-avril, Roche a annoncé avoir reçu le statut de percée thérapeutique par la FDA pour son test sanguin Elecsys pTau217 développé avec Eli Lilly, statut qui permet une revue accélérée des résultats du produit par l’autorité sanitaire.
La survenue possible d’anomalies radiologiques liées à l’amyloïde (Aria) nécessite une surveillance par IRM
Autre difficulté, la survenue possible d’effets indésirables appelés anomalies radiologiques liées à l’amyloïde (Aria) à type d’œdème ou d’hémorragie. « Des précautions sont à mettre en place pour des patients plus à risque, ceux porteurs du génotype APOE4 ou ayant des antécédents cardiovasculaires. Il y aura peut-être des restrictions d’utilisation dans l’AMM européenne », suppose la Pr Gabelle.
Si ces événements indésirables restent relativement peu fréquents et en majorité asymptomatiques, une surveillance par IRM est à mettre en place, surtout au début. « À quel rythme par la suite ? Pour quelles décisions, sachant que les Arias peuvent être répétées ? », s’interroge la Pr Gabelle.
L’exemple canadien
Les résultats des anticorps monoclonaux ont redynamisé la recherche dans la maladie d’Alzheimer
Faut-il développer la participation des médecins généralistes ? C’est ce que suggère le Pr Serge Gaultier, codirecteur de l’université McGill à Montréal, qui invite ses homologues français à s’inspirer du modèle canadien. « Depuis l’introduction des traitements symptomatiques tels que l’Aricept, des regroupements multidisciplinaires se sont mis en place dans les provinces entre les différents acteurs : médecins de famille, pharmaciens, cliniques de la mémoire, travailleurs sociaux, ergothérapeutes, etc. », explique le spécialiste montréalais. Ce dispositif améliore le diagnostic des troubles neurocognitifs mineurs (MCI) et majeurs (démence) ainsi que le suivi en première ligne. Même en l’absence d’anticorps anti-amyloïde (le Canada évalue l’AMM pour le lécanémab comme l’Europe), environ 90 % des patients ayant une démence sont pris en charge en première ligne, seuls 10 % sont référés dans les cliniques. L’organisation se veut proactive, « les équipes se préparant à l’arrivée de nouvelles molécules et de biomarqueurs sanguins avec des recommandations d’utilisation ».
Les résultats des anticorps monoclonaux ont redynamisé la recherche dans la maladie d’Alzheimer et contribuent à changer la perception de la maladie. Médecins, patients, chercheurs se sont remotivés. Si les traitements de type disease modifiers concentrent trois quarts des efforts de recherche avec la protéine amyloïde (mais aussi d’autres cibles comme la protéine tau), « tous les patients ne peuvent pas y prétendre, il ne faut pas oublier les traitements symptomatiques », souligne la Pr Hélène Mollion. Sans oublier que les modes d’administration occupent également une place importante en recherche (voie plus acceptable orale ou sous-cutanée ou à l’inverse plus agressive intrathécale). En 2022, 141 études, dont 55 en phase 3, ont été recensées totalisant plus de 57 000 participants, un chiffre en hausse en 2023 avec 184 études pour plus de 60 000.
*Barthélemy N.R.et al., Nature Medicine, février 2024. doi.org/10.1038/s41591-024-02869-z
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