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Dossier

19e Congrès national de la SFETD

Douleur, des pistes pour faire feu de tout bois

Publié le 13/12/2019
Douleur, des pistes pour faire feu de tout bois

douleur
GARO/PHANIE

TCC et neurostimulation dans les douleurs neuropathiques, hypnoses, cannabis thérapeutique, etc. Le récent congrès français de la douleur a permis de faire le point sur les alternatives thérapeutiques en matière de douleur. Alors que la recherche peine à aboutir, les spécialistes tentent de composer avec l’existant, sur fond de crise des opioïdes.

À mesure que l’on comprend mieux la physiologie de la douleur, la recherche foisonne pour imaginer les antalgiques d’avenir. Opioïdes moins toxiques, stimulants des récepteurs endocannabinoïdes, molécules dirigées vers de nouvelles cibles (canaux ioniques ou sodiques) ou encore bloquant la dégradation des enképhalines naturelles, etc. : les pistes sont multiples et les candidats médicaments nombreux, mais avec pour le moment beaucoup d’appelés pour peu d’élus. « Sitôt passée la phase I, on découvre souvent beaucoup de toxicité, explique le Dr Philippe Sitbon, (IGR, Villejuif), et la peur d’effets sur le système nerveux central limite la poursuite des essais. »

En attendant la molécule idéale, les spécialistes de la douleur drainent tous azimuts, avec un intérêt accru pour les traitements non médicamenteux. Une tendance dont le récent congrès de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD, Strasbourg, 27-29 novembre) s’est fait l’écho.

Douleurs neuropathiques : de nouvelles recos moins pharmaco

Les recommandations françaises pour la prise en charge des douleurs neuropathiques ont été révisées et doivent être prochainement publiées dans la revue Neurologies. Par rapport aux recos antérieures, la nouvelle mouture compile pour la première fois dans un même texte, options pharmacologiques et non pharmacologiques.

Parmi les stratégies non médicamenteuses, la neuro-stimulation électrique transcutanée (TENS) apparaît ainsi en première intention pour traiter des douleurs périphériques focales : « Huit études sur neuf jugent cette technique non invasive positive, mais le niveau de recommandation reste faible vu la taille d’effet », précise Xavier Moisset (Clermont-Ferrand). Que la douleur soit périphérique ou centrale, les psychothérapies apparaissent aussi désormais en deuxième ligne de traitements. Trois études sur trois plaident en faveur des TCC, deux pour la méditation. Curcuma, auriculo ou aroma-thérapies, Tai chi ou encore art-thérapie : aucune donnée ne permet en revanche d’étayer l’usage des ces approches souvent plébiscitées par les patients. Quant à la vitamine E, son niveau de preuve apparaît faible.

Côté pharmacologique, parmi les antidépresseurs recommandés en première ligne de traitement pour les douleurs périphériques (non focales) ou centrales, les IRSN (Duloxetine en priorité, Venlafaxine) prennent le pas sur les tricycliques, plusieurs études récentes ayant conforté leur efficacité dans cette indication avec une meilleure tolérance. Parmi les anti-épileptiques, la gabapentine est à privilégier en première intention alors que la prégabaline sera plutôt utilisée en deuxième intention, éventuellement en association avec un antidépresseur. Le Tramadol n’est à prescrire qu’en deuxième intention.

Le cannabis en mal de preuves

Lecannabis thérapeutique, vous en pensez quoi ? Si la question « s’invite désormais souvent en fin de consultation », observe le Pr Serge Perrot (Paris), la réponse est tout sauf simple, vu le manque de données solides en la matière. Peu d’études précliniques ont été menées, en raison de l’extrême complexité pharmacologique du cannabis. Les études chez l’homme, surtout observationnelles, sont plus nombreuses ; « mais menées dans un grand nombre de pathologies, elles n’apportent que des preuves très minces en raison de leurs faiblesses méthodologiques », détaille Serge Perrot. Une méta-analyse de 2001 portant sur 9 études et un total de 222 patients, toutes douleurs confondues, concluait que le cannabis n’avait pas plus d’effet que la codéine. La dernière en date (Pain 2018) évaluait 104 études portant sur 995 patients douloureux chroniques (hors cancer), « mais certaines études mélangeaient cannabinoïdes et cannabis et on ne savait pas bien qui avait reçu quoi et pendant combien de temps », souligne le Pr Perrot. Les résultats mettaient en évidence quelques effets sur les douleurs neuropathiques, mais aucun sur les douleurs ostéo-articulaires. Pour la fibromyalgie, « nos patients en parlent beaucoup, mais une étude de la Cochrane de 2016 a conclu à l’absence d’efficacité de la Nabilone (THC synthétique). Globalement, sur les douleurs ostéoarticulaires, le bénéfice apparaît modeste », conclut Serge Perrot.

Même faiblesse des études portant spécifiquement sur les douleurs neuropathiques, observe le Dr émilie Piquet (Nice). Parmi les synthèses récentes, celle de la Cochrane portait sur 16 essais contrôlés et 1750 participants traités par spray oral de Nabilone sur une durée minimale de deux semaines. Manque de données sur la posologie, évaluation de douleurs liées à des pathologies disparates, petits effectifs, etc., Là encore, la qualité des études laisse à désirer. Et au final, l’amélioration de la douleur d’au moins 50 % n’est atteinte que dans huit études, « avec un niveau d’évidence faible puisqu’il faut traiter 20 patients pour obtenir une réponse ».

Seul point rassurant, « la dépendance semble moindre par rapport à toutes les autres drogues antidouleur », pointe Serge Perrot qui souligne la nécessité de favoriser la recherche pour mieux connaître posologie, usage et effets secondaires à long terme.

Une gageure, car « contrairement aux apparences, le cannabis, mélange plus de 400 molécules, a une composition complexe qui varie selon la provenance de la plante et la saison, ce qui freine à la fois la fabrication de médicaments et un usage rationnel », explique le Pr Nicolas Authier, président du comité de l’ANSM pilotant l’expérimentation de cannabis thérapeutique qui doit débuter en France l’année prochaine.

L’ hypnose, une approche complémentaire crédible

L’hypnose qui a fait son apparition en fac de médecine il y a 20 ans est désormais volontiers proposée en prise en charge pluridisciplinaire de la douleur chronique. Une fois en état de conscience modifié (transe), le patient voit son niveau de conscience de soi fortement augmenter et sa perception de l’environnement diminuer. Son jugement critique devenu plus faible permet de répondre aux suggestions du thérapeute avec une réorganisation de l’activité et des connexions cérébrales. Les examens d’imagerie en attestent. Et les effets sur le ressenti douloureux sont réels : « 85 études évaluées dans une méta-analyse de 2019 plaident toutes en sa faveur », souligne Audrey Vanhaudenhuise, neuropsychologue clinicienne. Au centre hospitalier universitaire de Liège où elle exerce, entre 2005 et 2010, 1 832 patients consultant au service d’algologie pour des douleurs évoluant depuis 7 ans en moyenne se sont vus proposer une des prises en charge suivantes : kiné seule / pyscho-éducation + kiné / auto-hypnose à raison de 6 sessions de 2 heures / pyscho-éducation seule. Au terme d’une première étude menée sur 525 patients, ceux du groupe auto-hypnose rapportent une douleur diminuée, une moindre anxiété et une modification de leur stratégie de coping : « Ils ont repris le contrôle, ce n’est plus la douleur qui les dirige et ils sont moins dans l’attente d’une stratégie miraculeuse. » 84 % des patients du groupe hypnose rapportent ainsi une amélioration globale de leur qualité de vie, contre 54 % dans le groupe psycho-éducation + kiné.

Opioïdes, faut-il craindre une crise à l’américaine ?

« Une crise sociétale désormais plus mortelle que le VIH. » A l’occasion du congrès, le Pr Fréderic Aubrun, président de la SFETD, est revenu sur la crise des opioïdes qui sévit aux états-Unis, faisant près de 45 victimes par overdose tous les jours. L’épidémie est telle qu’outre Atlantique l’espérance de vie a marqué le pas pour la troisième année consécutive.

La France en est loin, mais la consommation clignote à la hausse. Selon le rapport de l’ANSM de février 2019, 17,3 % des Français ont eu une prescription d’opioïde en 2015, initiée dans 62,9 % des cas par leur généraliste. La consommation d’opioïdes faibles reste globalement stable, mais celle d’opioïdes forts – initiée à 88 % par les généralistes – a augmenté de 120 % entre 2004 et 2017 : « +22 % pour la morphine, +71 % de Fentanyl et + 1350 % d’oxycodone », énumère le Pr Aubrun. Avec à la clef une augmentation mécanique de la morbi-mortalité : 7 hospitalisations/jour (+ 167 % en 17 ans) sont liées à une intoxication accidentelle aux opioïdes, selon l’Observatoire français des médicaments antalgiques.

« On en prescrit plus, mais on part de très très bas », rassure néanmoins le Pr Aubrun, soulignant que tourner le dos à toute prescription n’est pas la solution : « La douleur continue elle aussi de tuer, comme en atteste une étude de l’European heart journal : la douleur généralisée est associée à une augmentation de 16 % de la mortalité cardiovasculaire. »

À défaut de 4e plan douleur, attendu depuis 2010, la France a quelques remparts pour éviter une crise à l’américaine, estime le président de la SFETD, avec des modalités de prescription sécurisées et un maillage de 171 consultations et 72 centres antidouleurs « certes insuffisant, mais à même de prendre en charge 400 000 patients. » La SFETD a aussi émis des recommandations sur la prescription des opioïdes. Avec une règle simple : pas plus de trois mois d’opioïdes en l’absence de bénéfices ; pas plus de 150 mg/j sauf avis spécialisé ; et pas de prescription sans évaluation préalable du risque de mésusage via des outils comme l’Opioïd Risk tool (ORT).

Claudine Proust

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