Comment prédire la sensibilité d’un individu aux agents émulsifiants ? Telle est la question explorée par l’équipe Interactions Microbiote-Hôte à l’Institut Pasteur (Inserm/Université Paris Cité/CNRS), à travers le développement en laboratoire d’un modèle de microbiote humain. Ses résultats, publiés ce 27 janvier dans Gut, ouvrent la voie à une approche de nutrition personnalisée fondée sur le microbiote intestinal.
Les agents émulsifiants – un type d’additifs alimentaires – sont largement utilisés par l’industrie agroalimentaire, notamment dans le pain de mie, la crème fraîche, les laits végétaux, les glaces, les barres chocolatées, les produits allégés, etc., pour améliorer la texture et allonger la durée de conservation de ces produits. Or plusieurs études ont mis en évidence leurs effets néfastes sur la santé intestinale et métabolique, en lien avec leurs interactions avec notre microbiote.
« Dans tout ce qui est allégé en gras, à partir du moment où on enlève le gras, on doit le remplacer par quelque chose d'autre pour garder la texture : les crèmes fraîches 0 % de matière grasse – ce qui est quand même une aberration – sont chargées en agents émulsifiants. De même, pour avoir la texture crémeuse du lait d'avoine ou d'amande, il faut une transformation industrielle où on rajoute des additifs, y compris dans des produits bio », explique à l'AFP le chercheur Inserm Benoît Chassaing, à la tête d'une équipe de recherche à l'Institut Pasteur.
Depuis des années, son équipe s’intéresse au carboxyméthylcellulose (CMC ou E466 sur les produits transformés). Dès 2015, ses travaux suggèrent qu’une consommation à long terme de cet addictif peut impacter négativement le microbiote (en diminuant la diversité des bactéries qui le composent) et favoriser les maladies inflammatoires chroniques ainsi que des dérégulations métaboliques. Puis son équipe a mis en évidence des différences de sensibilité entre individus face à ces composés : certains, sensibles, posséderaient un microbiote très réactif à ces agents, tandis que d’autres semblent posséder un microbiote complètement résistant à leurs impacts négatifs.
Prédire la sensibilité à partir d’un échantillon de selles
Dans ce nouvel article de Gut, l’équipe dirigée par Benoît Chassaing décrit comment elle est parvenue à prédire la sensibilité d’une personne donnée au CMC. Les chercheurs ont d’abord développé un modèle de microbiote en laboratoire, ceci afin de tester in vitro l’effet du composé sur différents microbiotes. Ils ont eu la confirmation qu’un microbiote donné peut être soit sensible soit résistant à cet agent émulsifiant. De plus, la sensibilité prédite d’un microbiote donné a pu être parfaitement validée grâce à des approches de transfert de microbiote dans un modèle souris, avec l’observation que seuls les microbiotes prédits sensibles aux agents émulsifiants étaient en effet capables de conduire à une colite sévère chez les animaux consommant du CMC.
Puis les chercheurs ont identifié à partir d’échantillons de selles, une signature spécifique (analyse de l’ADN bactérien dans le microbiote intestinal) de la sensibilité au CMC, permettant ainsi de prédire, grâce à de simples analyses moléculaires, si un microbiote donné est sensible ou résistant à cet agent émulsifiant. « Ces découvertes pourraient être utilisées dans un futur proche afin de déterminer la sensibilité ou la résistance d’une personne à des agents émulsifiants, et ceci afin de proposer à chacun un programme nutritionnel adapté, explique dans un communiqué Benoit Chassaing, dernier auteur de l’étude. Détecter cette sensibilité chez les personnes saines pourrait, de plus, permettre d’éviter la survenue de certains troubles intestinaux et, chez les patients malades, d’empêcher la progression de la maladie ou d’en atténuer les symptômes. »
Les scientifiques vont maintenant exploiter une cohorte bien plus large de patients atteints de la maladie de Crohn afin de valider ces approches prédictives. Ils tentent aussi d’expliquer les raisons moléculaires de cette sensibilité aux agents émulsifiants, avec l’espoir de pouvoir « convertir un individu sensible en résistant pour être protégé contre l'impact négatif de ces additifs », selon les mots de Benoit Chassaing. S'il est peu probable de voir l'industrie agroalimentaire renoncer à l'usage d'additifs, la recherche pourrait permettre de l'aiguiller vers ceux que notre microbiote tolère le mieux.
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