Avec l'inflation, 16 % de Français sont en situation de précarité alimentaire, selon le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc). Dans ce contexte, comment ne pas sacrifier la qualité nutritionnelle ? Du particulier aux banques alimentaires, chacun peut activer des leviers.
Comment a évolué le panier des ménages ? Les prix de consommation courante ont augmenté de 7,1 % de janvier 2022 à janvier 2023, selon UFC-Que choisir, et l'inflation a encore grimpé depuis. L'Observatoire des prix des fruits et légumes 2023 de l'association Familles rurales rapporte, de son côté, une hausse de 16 % en un an sur un panier de neuf fruits et dix légumes frais conventionnels et bios, soit bien plus que l'inflation générale. Au point que manger cinq fruits et légumes par jour et par personne devient un luxe.
Rien d'étonnant, dans ces conditions, à ce que les ventes de bio reculent de 8,6 % dans les magasins spécialisés et de 4,6 % dans la grande distribution (Agence bio, 2022). Seules les marques de distributeurs voient leurs parts de marché rester stables, tandis que les ventes des grandes marques ont baissé, en volume, de 6,5 % entre avril 2022 et avril 2023. Les consommateurs cherchent à réaliser des économies…
Comment le Nutri-score peut aider à comparer malin
Acheter local, privilégier les fruits et les légumes de saison, compléter les repas avec des conserves ou des surgelés non cuisinés, cuisiner soi-même, éliminer le superflu (boissons sucrées, apéritifs salés, charcuteries, etc.), a fortiori quand c'est néfaste pour la santé (alcools, cigarettes), sont autant de pistes pour économiser sans rogner sur l'équilibre des repas.
Pour la Pr Chantal Julia, nutritionniste, épidémiologiste et enseignante-chercheuse à Paris-XIII et qui a participé au développement du Nutri-score, il est possible d'aller encore plus loin : « Le Nutri-score informe sur la valeur nutritionnelle des produits. Il n'a pas vocation, à proprement parler, à lutter contre l'inflation (il ne tient pas compte du prix) mais peut malgré tout aider à faire des choix pour mieux manger ».
Comment ? « Sur l'ensemble de l'alimentation, les produits les plus riches en nutriments et moins riches en gras, en sel et en sucres, ont tendance à être plus chers : la qualité nutritionnelle a un coût. Cependant, si l'on compare les produits à l'intérieur d'un même rayon, il n'y a pas forcément de corrélation entre le prix et la qualité nutritionnelle. Des premiers prix et des produits de marque distributeur peuvent avoir une composition équivalente ou parfois meilleure que des produits de marque nationale. Ainsi, l'idée selon laquelle un produit moins cher est forcément de moins bonne qualité nutritionnelle est fausse, et le Nutri-score peut aider à s'en rendre compte », insiste la Pr Julia.
Le Nutri-score peut aussi aider à choisir entre divers produits à consommer au même moment dans la journée : pain ou céréales ou viennoiseries au petit déjeuner par exemple. Seul bémol : « Certaines marques n'ayant pas souhaité aller vers ce système de transparence vis-à-vis du consommateur, le Nutri-score n'est pas affiché sur tous les produits. On peut donc trouver deux produits a priori semblables dont un qui affiche le Nutri-score mais pas l'autre, ce qui laisse planer le doute sur le second, d'autant que ce score est bien moins présent sur les produits gras, salés, sucrés que sur des produits plus sains », poursuit la Pr Julia, qui milite pour que chacun retrouve le goût de cuisiner. « Le fait maison est le meilleur moyen de contrôler ce que l'on met dans son plat, argumente-t-elle. C'est aussi une façon de limiter les produits ultratransformés, les additifs, etc. C'est enfin utile pour transmettre des compétences culinaires à ses enfants et ne pas surdoser en ingrédients au Nutri-score E, comme le beurre par exemple. »
Utile, le Nutri-score devrait encore s'améliorer. Un comité scientifique y a travaillé. Ses recommandations ont été rendues et entérinées par le comité de pilotage qui comprend les autorités sanitaires des sept pays ayant adopté le Nutri-score. Il reste à transposer ces modifications dans la législation. Les nouvelles modifications pourraient ainsi entrer en vigueur en France courant 2024.
Les banques alimentaires multiplient les initiatives
Comme le rappelle Stéphanie Férey, responsable du service relations associations et innovation sociale à la Fédération française des banques alimentaires (FFBA), « le réseau des banques alimentaires aura 40 ans l'année prochaine. On en compte 79 en métropole et en Outre-mer et chacune accompagne le tissu associatif local, des plus connues - Croix-Rouge, Emmaüs, Armée du salut, Entraide protestante, etc. - aux plus petites ». Au total, sur le territoire français, 2,4 millions de personnes sont accueillies contre 800 000 il y a 10 ans. Entre les premiers trimestres de 2022 et 2023, le nombre de bénéficiaires a grimpé de 9 %. « Les profils se diversifient et l'on compte désormais des salariés à temps partiel en CDI et 130 000 nourrissons de 0 à 3 ans », déplore-t-elle.
Pour relever cet immense défi, les banques alimentaires reçoivent des subventions de l'Europe et de l'État. De quoi compléter les dons par des achats et rééquilibrer les assiettes. À l'initiative du gouvernement, le programme 2023 « Mieux manger pour tous » vise à aider les banques alimentaires afin qu'elles distribuent une aide de qualité : la FFBA a reçu 11 millions d'euros cette année.
Des partenariats avec le monde agricole
Mais pour répondre à la demande en augmentation constante, la FFBA a dû se réinventer, le modèle historique partant du seul gaspillage alimentaire ne suffisant plus. « Depuis 2019, nous achetons des produits à hauteur de 4 % de nos collectes (les dons volontaires des grandes entreprises et des coopératives agricoles représentent encore l'essentiel de nos sources) », explique Stéphanie Férey. Mais, surtout, la FFBA développe des partenariats innovants avec le monde agricole dans une dynamique d'économie sociale et solidaire, « l'idée étant, grâce aux subventions que nous recevons, d'acheter au prix juste pour les agriculteurs locaux », souligne-t-elle.
Sur l'île de La Réunion, la banque alimentaire dispose d'un atelier de transformation mis gratuitement à disposition des agriculteurs adhérents à la chambre d'agriculture, pour qu'ils transforment leurs produits. En retour, ils s'engagent à donner 10 % de ce qu'ils transforment à la banque alimentaire (conserves, soupes, compotes, plats préparés, etc.). La FFBA développe d'autres partenariats, par exemple avec les coopératives d'utilisation de matériel agricole (Cuma), pour mettre en place d'autres ateliers de transformation sur le même modèle.
Se développent également, depuis quatre ans, des espaces agricoles et jardins partagés (une trentaine de projets en cours) : ces espaces sont cultivés par des agriculteurs locaux avec des personnes accueillies dans les associations d'aide alimentaire. « Outre le fait de lutter simultanément contre le gaspillage et la précarité alimentaire, nous utilisons désormais l'aide alimentaire comme créatrice de lien social, participons à l'amélioration de l'alimentation distribuée (plus qualitative et équilibrée) et respectons des objectifs de développement durable », conclut Stéphanie Férey.