PAR LES Drs MARIE-BÉNÉDICTE ROUGIER ET MARIE-NOËLLE DELYFER ET LE Pr JEAN-FRANÇOIS KOROBELNIK*
L’IL A CECI de particulier qu’il est, comme la peau, très exposé à la lumière. Cette exposition a comme conséquence une production très importante de radicaux libres oxygénés dont on connaît bien les effets délétères. Ainsi, il a été montré que la lumière est un facteur favorisant la survenue de la cataracte. Outre la lumière, le stress oxydatif intervient aussi par d’autres biais, comme le tabac. Il est admis aujourd’hui, grâce aux études épidémiologiques, que le tabac est l’un des facteurs de risque principaux (avec les facteurs génétiques) de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Les phénomènes inflammatoires sont également sources de radicaux libres et peuvent favoriser la sécheresse oculaire ou la DMLA. Ainsi, l’un des rôles du facteur H du complément est de moduler la cascade des réactions qui aboutit au processus inflammatoire au sens large. Or, il est actuellement démontré que les sujets qui présentent un polymorphisme du gène codant pour le facteur H du complément ont un risque augmenté de développer une DMLA (augmentation du risque d’un facteur de 2 à 4 pour les sujets hétérozygotes et d’un facteur de 5 à 7 pour les homozygotes).
On comprend dès lors que bien des maladies oculaires sont multifactorielles et que, pour ne citer que la DMLA (première cause de cécité après 50 ans dans les pays industrialisés), des facteurs génétiques et environnementaux entrent en jeu. Comment la micronutrition peut-elle jouer un rôle au minimum protecteur, voire dans l’idéal, thérapeutique, dans ces maladies oculaires ?
Rationnel scientifique.
Quand on parle de micronutrition en ophtalmologie en 2010 (car cette sphère est en mutation permanente), on entend les vitamines (C et E), les oligo-éléments et les minéraux (plus particulièrement zinc et cuivre) auxquels s’ajoutent les acides gras polyinsaturés (essentiellement oméga 3) et certains caroténoïdes (lutéine et zéaxanthine). Le rationnel scientifique sur lequel repose cette micronutrition est le résultat d’études interventionnelles et d’études épidémiologiques. L’étude AREDS (1), première du genre, a permis de démontrer que l’apport de compléments alimentaires permet de réduire de 25 % le risque de survenue d’une DMLA sévère chez des patients présentant, soit des signes de maculopathie débutante, soit de DMLA sévère sur l’il controlatéral. Cependant, les doses administrées (vitamine C et E, zinc, cuivre et ß-carotène) étaient bien supérieures aux apports journaliers recommandés. L’AREDS 2, dont les résultats ne seront pas disponibles avant 2012, pourra peut-être affiner ces premières données, d’autant qu’on attend beaucoup de la supplémentation en lutéine et zéaxanthine, antioxydants puissants naturellement présents dans la macula. En effet, l’étude POLA a bien mis en évidence que les sujets ayant un taux plasmatique plus élevé en zéaxanthine avaient un risque de développer une DMLA diminué de 93 %. Mais l’étude CARMA, étude interventionnelle, n’a pas permis de montrer qu’un apport en lutéine et zéaxanthine diminuait globalement le risque de développer une DMLA sévère, alors que la concentration maculaire de ces mêmes caroténoïdes était augmentée. En revanche, elle a suggéré qu’il existe probablement des répondeurs et des non-répondeurs à la supplémentation. On comprend dès lors qu’on ne peut pas déduire directement d’un taux plasmatique, ou d’une concentration oculaire, un risque d’évolution vers une DMLA.
Une autre voie d’exploration est représentée par les acides gras polyinsaturés, et plus particulièrement les oméga 3 (acide alpha-linolénique, EPA, DHA et le DPA qui est une forme de transition entre EPA et DHA). Ils ont en effet des propriétés anti-inflammatoires qui sont utilisées contre la sécheresse oculaire et la DMLA (EPA). Ils interviennent également dans la constitution des membranes des disques des photorécepteurs (DHA), ce qui justifie leur utilisation dans la prévention de la DMLA. Cette approche a été confortée par des études épidémiologiques qui ont toutes montré la diminution du risque de développer une DMLA dans les populations ayant un régime riche en oméga 3, et les résultats préliminaires de l’étude ALIENOR vont également dans ce sens. Une étude interventionnelle française (NAT2) pourrait permettre de confirmer cette donnée.
Identifier les sujets à risque.
Tous ces éléments amènent inévitablement à se demander comment déterminer les patients qui tireront un bénéfice d’une micronutrition. C’est peut-être là qu’intervient l’impact du patrimoine génétique. En effet, s’il est maintenant possible de repérer les sujets à haut risque génétique de développer une DMLA, pourquoi ne pas leur réserver la supplémentation qui permettrait de diminuer le risque de développer une pathologie cécitante ? Oui, mais alors, faut-il faire un dépistage de masse ou simplement des sujets à risque (antécédents familiaux de DMLA, par exemple) ? À quel prix ? Par ailleurs, dépister les sujets à risque ne permet pas, dans l’absolu, d’agir efficacement, car tous ne répondent probablement pas de manière identique à la supplémentation, comme l’a suggéré l’étude CARMA. Et rien n’indique que la même supplémentation serait efficace pour tous. On peut en effet penser que certains sujets nécessitent davantage d’oméga 3 et d’autres de lutéine ou de zéaxanthine. Il reste donc encore quelques questions en suspens : qui traiter, à quelles doses ? Il n’en demeure pas moins que de nombreuses études, interventionnelles et épidémiologiques, nous encouragent à proposer une micronutrition à nos patients.
*CHU de Bordeaux
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024