LES ANOMALIES de la surface oculaire – qui est constituée de deux éléments tissulaires, la cornée et la conjonctive – et du film lacrymal affectent une proportion importante de la population générale. Son impact réel sur la vision étant mieux apprécié, la surface oculaire fait aujourd’hui l’objet de toutes les attentions.
La sécheresse oculaire est un problème fréquent, or aucun substitut n’est aujourd’hui capable de faire aussi bien que le film lacrymal naturel, qui assure une hydratation optimale de la cornée et permet 22 clignements par minute. Il existe bien des traitements substitutifs (larmes artificielles) efficaces à court terme – 2 heures au maximum – mais, pour qu’ils soient efficaces, il faut que le patient se traite suffisamment. Cela nécessite plusieurs instillations quotidiennes, associant deux substituts : l’un sous forme de gel à forte capacité de rétention d’eau, l’autre sous forme plus liquide, plus maniable et plus pratique. « Si la fréquence des instillations nécessaires est désormais bien étudiée, on s’intéresse de plus en plus à l’œil sec sur le plan fonctionnel et à son retentissement sur la vision, et non plus seulement sous l’angle anatomique. Ainsi, l’évaluation de la qualité de vision du patient souffrant d’œil sec par des techniques d’aberrométrie permet désormais de quantifier cette gêne souvent décrite et mal définie, mais aussi de tenter de comprendre, et c’est nouveau, quel est l’impact réel du traitement et s’il est bien adapté aux besoins du malades », explique le Pr Pisella.
Autre tendance toujours d’actualité : éviter les traitements trop agressifs pour la surface oculaire et donc privilégier les substituts de larmes, mais aussi les collyres sans conservateur, car l’utilisation fréquente de produits contenant des conservateurs a tendance à fragiliser la couche supérieure de l’œil. Ceux-ci modifient les composants lipidiques des larmes (avec un effet savon des ammoniums quaternaires), détruisent l’épithélium en provoquant l’élargissement des espaces intercellulaires, la disparition des microvillosités, l’altération des membranes cellulaires et peuvent obstruer les voies lacrymales par un processus fibrotique. Or cette toxicité est cumulative et dirigée, à la fois contre le film lacrymal et contre les cellules épithéliales de la cornée et de la conjonctive. C’est la raison pour laquelle dans le syndrome sec glaucomateux, par exemple, pour lequel on va traiter le patient pendant des années, de nouvelles formulations de collyres sans conservateur, sont attendus ou en préparation.
Des progrès notables.
L’administration locale unique de riboflavine (vitamine B2) par l’ophtalmologiste, suivie d’une séance de photosensibilisation par une lumière bleue, permet le renforcement de la rigidité cornéenne (les Anglo-Saxons parlent de «cross linking»). Cette technique a montré son intérêt dans certaines pathologies comme le kératocône, bien avant le stade de la greffe. « On la réserve aux patients ayant un astigmatisme soudainement évolutif et on obtient une stabilisation de la déformation cornéenne (mais pas un retour à la normale) pendant plusieurs mois, voire plusieurs années. A ce stade des connaissances, on ne peut pas encore dire si cette mesure est suffisante pour éviter la greffe de cornée, mais elle permet au moins de la reculer et de gagner plusieurs années », précise le Pr Pisella. Ce sont surtout les centres de greffe de cornée qui proposent cette technique, avec un certain succès.
Lorsque l’administration de riboflavine ne suffit plus, il faut envisager la greffe de cornée lamellaire, afin d’échanger la partie centrale de la cornée malade par la même partie de la cornée saine d’un donneur décédé. Les kératocônes représentent près de la moitié des indications. On parle de greffe lamellaire antérieure lorsqu’on ne transplante que la partie antérieure du stroma de la cornée et de greffe endothéliale lorsque seule la couche la plus profonde est remplacée. « Le laser femtoseconde, surtout utilisé en chirurgie réfractive, a permis de réaliser des progrès dans cette indication », fait remarquer le Pr Pisella. Avec la greffe lamellaire, la récupération de l’acuité visuelle se fait plus rapidement qu’après une greffe totale, même si les résultats optiques demandent à être améliorés. Et le risque de rejet est diminué. Enfin, la couche endothéliale – qui est saine dans le kératocône – est préservée, assurant le respect de l’architecture cornéenne.
La greffe de cellules souches limbiques ne se pratique pas encore en France, mais elle a débuté en Italie avec des séries encourageantes.
Enfin, en cas d’épithélium très abîmé (comme cela se voit au cours du syndrome de Lyell ou dans les séquelles de brûlures, par exemple), le Pr Marc Muraine (Rouen) a remis au goût du jour la technique du verre scléral, une sorte de grosse lentille appliquée sur la cornée, comme pour la mettre « sous cloche ». Une centaine de patients par an sont potentiellement concernés. Une étude est en cours avec des premiers résultats intéressants.
D’après un entretien avec le Pr Pierre-Jean Pisella, CHU de Tours.
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