Un implant perfectionné dans la cécité rétinienne

Le braille pour lire plus vite avec de « nouveaux yeux »

Publié le 27/11/2012
Article réservé aux abonnés

LIRE LE BRAILLE, tout le monde le sait, cela se fait avec le toucher. Ce que l’on sait moins, c’est que le cerveau visuel est activé aussi, y compris chez les aveugles. Une fois ce principe posé, il devient plus facile de comprendre les résultats surprenants obtenus par une équipe internationale chez un patient français équipé d’une prothèse rétinienne. Chez ce patient aveugle ayant appris à lire couramment le braille avec les mains, la lecture visuelle du braille s’est révélée plus rapide que celle de grosses lettres à l’aide du dispositif. « Nos résultats illustrent la capacité du cerveau à traiter l’information visuelle, explique le Pr José-Alain Sahel, l’un des auteurs principaux et chef de service à l’hôpital des Quinze-Vingts. Quand un sujet aveugle lit avec les mains, il active au niveau du cerveau la région de la lecture. Le canal visuel n’est qu’un des canaux qui activent cette zone précise. Les réseaux de la sensorialité ne fonctionnent pas de façon disjointes. Ce qui explique pourquoi notre patient habitué à lire en braille a pu le lire deux fois plus vite que l’écriture classique avec notre système d’implant rétinien ».

L’implant rétinien est proposé aux patients devenus aveugles suite à une dégénérescence rétinienne génétique, la rétinite pigmentaire. « Il est nécessaire que le nerf optique soit encore intact et fonctionnel », souligne le Pr Sahel. Cet implant composé de 60 électrodes est posé chirurgicalement au niveau de la rétine lors d’une intervention sophistiquée d’environ 2 heures « sans difficulté particulière par un praticien entraîné ». Bien entendu, l’implant seul ne sert pas à grand-chose. Pour recueillir, coder et lui transmettre l’information visuelle, le système mis au point comporte une caméra montée sur une paire de lunettes, un microprocesseur visuel externe et un émetteur-récepteur fixé sur l’une des branches. Déjà commercialisé en Europe, ce dispositif appelé Argus II a été testé auparavant lors d’un essai clinique international chez 30 sujets aveugles incluant le patient français en question.

Vitesse de lecture doublée

« La vitesse de lecture via le système a été multipliée par deux avec l’écriture en braille, souligne le Pr Sahel. Les sujets équipés du dispositif mettent environ une dizaine de secondes par lettre et lisent en moyenne 5 mots par minute. Pourquoi de telles différences de performances entre l’écriture classique et le braille ? « Certes notre patient est assez exceptionnel, concède le professeur parisien. Il lisait 10 mots par minute avec les grosses lettres classiques.De plus, il lit particulièrement bien le braille de façon tactile et les réseaux neuronaux sont alors d’autant mieux activés». Il reste que la connaissance de la lecture du braille est un préalable indispensable. « Il faut que le cerveau soit habitué à l’écriture braille ». Mais ce n’est pas le seul élément expliquant l’amélioration des performances. « Le braille est plus simple à traduire par le micro-processeur, explique le Pr Sahel. Le codage se fait point par point sans aucune redondance. L’écriture braille est très intéressante car elle est riche en contenu avec très peu de signaux à traduire ».

Un système en évolution

Est-ce que lire le braille avec Argus II est plus rapide que de le lire tout bêtement avec les doigts ? « Nous n’en sommes pas là pour le moment, explique le Pr Sahel. Dans l’immédiat, cela peut être intéressant dans les situations où le recours aux mains n’est pas possible, par exemple en extérieur sur les panneaux d’affichage. Mais ces résultats montrent bien la capacité de faire progresser le système de codage avec le temps. Il suffit simplement pour cela de modifier le micro-processeur externe, en incluant un codage en braille ». Le système Argus II a reçu le marquage CE en Europe et est déjà remboursé en Allemagne et en Italie. Il vient de recevoir un avis favorable aux États-Unis par la FDA. « Nous attendons avec impatience la réponse pour la France », glisse-t-il. Près d’une cinquantaine de patients sont équipés à travers le monde. « Le système n’est pas encore au point pour d’autres atteintes rétiniennes bien plus fréquentes comme la dégénérescence maculaire à l’âge, explique le Pr Sahel. Mais il est tout à fait envisageable qu’après quelques évolutions il le devienne ».

Frontiers in Neuroscience, publié en ligne le 22 novembre 2012.

 Propos recueillis par le Dr IRÈNE DROGOU

Source : Le Quotidien du Médecin: 9196