Annoncé pour le début de l’année 2015, le décret gouvernemental sur l’Avastin a finalement été publié au Journal Officiel le 31 décembre. Il va permettre aux ophtalmologistes de prescrire, dans un cadre juridique sécurisé, de l’Avastin (bevacizumab) pour le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Il faut préciser que l’emploi de l’Avastin se fera sous la responsabilité de l’ophtalmologiste, qui prendra la décision en fonction de la situation clinique. Ce décret permet d’utiliser un médicament dans le cadre d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU), même quand existe un autre produit avec une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans cette indication. Le texte devrait donc permettre la délivrance de l’Avastin, lorsque l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) aura donné son accord. Auparavant, des informations concernant ce médicament devraient être transmises par le laboratoire Roche à cette agence.
« C’est un décret qui était attendu depuis plusieurs mois », souligne le Pr Bahram Bodaghi, coordonnateur du DHU « Vision et Handicaps » à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris.
Il est difficile de savoir si sa parution va mettre un terme au débat autour de l’utilisation de l’Avastin par rapport au Lucentis (ranibizumab), qui dispose d’une AMM pour la DMLA. Depuis plusieurs années, la question suscite une controverse, autant scientifique que médico-économique. Le coût élevé du Lucentis (780 euros par injection mensuelle actuellement) a conduit certains praticiens hospitaliers à prescrire l’anticancéreux Avastin (30 à 50 euros par injection) pour traiter la DMLA. Mais, en juillet 2012, la Direction générale de la santé (DGS) a interdit cette pratique « pour préserver les impératifs de sécurité sanitaire ».
Sous conditions
Des négociations menées avec le laboratoire (Novartis), via le Comité économique des produits de santé (CEPS), ont permis des baisses de prix du Lucentis (10 % en 2012, 11 % en 2013 et 9 % en 2014), selon le ministère. En avril 2014, Mme Marisol Touraine avait quand même souhaité que le traitement le moins coûteux puisse être utilisé en France. Lors du vote du budget rectificatif de la Sécurité sociale, en juillet, les députés ont donc adopté un amendement gouvernemental « Avastin », autorisant l’usage de médicaments hors de leur AMM, dans le cadre d’une RTU, sous conditions. Le texte nécessitait toutefois un décret, analysé par Bruxelles, ce qui explique qu’il a fallu pratiquement six mois pour qu’il puisse être publié.
Effets indésirables
L’autre volet, scientifique, a également été nourri avec la publication, ces dernières années, de diverses études prospectives randomisées, visant à comparer l’Avastin et le Lucentis. Une revue de la littérature, publiée en septembre dans la revue Cochrane, montre qu’en dehors des effets indésirables gastro-intestinaux, le bevacizumab ne présenterait pas plus de risque d’événements secondaires systémiques que le ranibizumab dans l’indication DMLA. « Une méta-analyse, réalisée sous la direction du Pr Laurent Kodjikian (CHU de Lyon, France), qui avait déjà coordonné l’étude GEFAL (Groupe d’Evaluation Français Avastin versus Lucentis), est parue en octobre. Ce travail, qui a porté sur l’analyse de plus de 2 600 patients randomisés dans cinq études contrôlées, montre a priori une efficacité équivalente entre les deux produits sur l’acuité visuelle à un an », explique le Pr Bodaghi. « Par ailleurs, il y aurait une tendance, en termes d’effets secondaires systémiques, en défaveur de l’Avastin. Cependant, si ce risque était avéré, il ne concernerait pas la mortalité et les maladies thromboemboliques », ajoute-t-il.
Aujourd’hui, la grande majorité des centres français continuent, selon le Pr Bodaghi, à utiliser le Lucentis ou l’Eylea (aflibercept), une nouvelle molécule arrivée sur le marché à la fin de l’année 2013 pour traiter la DMLA néovasculaire, toujours en injection intravitréenne. « À la Pitié-Salpêtrière, nous utilisons actuellement le Lucentis ou l’Eylea et nous réservons l’emploi de l’Avastin à quelquesnichesde néovaisseaux, où il n’y a pas d’AMM. Une des raisons est le contexte juridique : avant la parution de ce décret, un patient pouvait très bien, au moindre problème, se retourner contre le praticien en mettant en avant le fait qu’il n’avait pas utilisé le produit ayant une AMM dans l’indication concernée », indique le Pr Bodaghi. Une crainte, de nature juridique, qui est désormais en partie levée. Certains pharmaciens des hôpitaux pourraient inciter les praticiens à privilégier l’Avastin quand l’ANSM aura autorisé son utilisation.
Difficultés en libéral
Le Pr Bodaghi évoque aussi la difficulté d’utilisation de l’Avastin en cabinet libéral. « Aujourd’hui, 70 % des DMLA sont traitées en ville, où il n’est pratiquement pas possible d’utiliser l’Avastin. Il faut en effet pour cela que le médicament fasse l’objet d’une préparation spécifique, qui est souvent plus facile à réaliser par une pharmacie hospitalière. Un autre élément est à prendre en compte : pour que cela soit intéressant économiquement, il faudrait pouvoir préparer plusieurs ampoules à partir d’un même lot d’Avastin ». Le reconditionnement de l’Avastin pourrait augmenter le risque d’endophtalmie, comme cela a été rapporté dans la littérature. Ce point doit être également pris en considération.
D’après un entretien avec le Pr Bahram Bodaghi, coordonnateur du DHU Vision et Handicaps, université Pierre et Marie Curie, hôpital Pitié-Salpêtrière
Systemic safety of bevacizumab versus ranibizumab for neovascular age-related macular degeneration. Moja L, Lucenteforte E, Kwag KH, Bertele V, Campomori A, Chakravarthy U, D’Amico R, Dickersin K, Kodjikian L, Lindsley K, Loke Y, Maguire M, Martin DF, Mugelli A, Mühlbauer B, Püntmann I, Reeves B, Rogers C, Schmucker C, Subramanian ML, Virgili G. Cochrane Database Syst Rev. 2014 Sep 15;9:CD011230. doi: 10.1002/14651858.CD011230.pub2
Bevacizumab and ranibizumab for neovascular age-related macular degeneration: an updated meta-analysis of randomised clinical trials. Kodjikian L, Decullier E, Souied EH, Girmens JF, Durand EE, Chapuis FR, Huot L. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol. 2014 Oct;252(10):1529-37
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